Questions de société

"Phèdresse, tragédie", par J.-P. Grosperrin (pastiche).

Publié le par Marc Escola

[voir aussi: Rions un peu : "Mme de Pecqueresse et M. de Sarquise", "Cyrano avec nous", "Tartuffe à l'Université", "Hypertrichose palmaire", "Une aventure inédite du petit Nicolas", "Soutenance de V. Pécresse : la vidéo", etc.]


Phédresse, tragédie


pastiche de J.-Ph. Grosperrin


PERSONNAGES
Phédresse, fille de Minos et de Maniphaé
Hydarcos, ministre du temple de Sarkos



PHÉDRESSE.
N'allons point plus avant, demeurons, Hydarcos.
Je ne me soutiens plus : je sens qu'il y a un os.
Mes yeux sont offensés de la fronde où je voi
Les enseignants-chercheurs se soustraire à ma loi.
Hélas !
(elle s'assied et fouille dans son sac)

HYDARCOS.
    Dieux des Enfers, que nos pleurs vous apaisent !

PHÉDRESSE.
Que ce vain parlement, que ces motions me pèsent !
Quelle importune main, en formant tous ces noeuds,
S'ingénie sur mon front à dresser mes cheveux ?
Tout m'afflige et me nuit et conspire à me nuire.

HYDARCOS.
Comme on voit tous ses voeux l'un l'autre se détruire !
Vous-même, condamnant vos injustes desseins,
Tantôt à réformer vous excitiez nos nains.
Vous-même, rappelant votre force coquette,
Vous vouliez vous montrer et revoir la maquette.
Vous la voyez, madame, et prête à vous cacher,
Vous repoussez le jour que j'osais espérer !

PHÉDRESSE.
Noble et clinquant fauteur d'une triste escadrille,
Toi, qui toujours limogeas pour une peccadille,
Qui peut-être rougis du trouble où tu me vois,
Sarkos, je te viens voir pour la dernière fois.

HYDARCOS.
Quoi ! vous ne perdrez point cette cruelle envie ?
Vous verrai-je toujours hésitante, affaiblie,
Faire de votre exil les funestes apprêts ?

PHÉDRESSE.
Dieux ! que ne suis-je assise à l'ombre des décrets !
Quand pourrai-je au travers de mon nouveau mastère
Suivre de l'oeil un prof fuyant de la carrière ?

HYDARCOS.
Quoi, Madame ?

PHÉDRESSE.
         Insensée, où suis-je ? et qu'ai-je dit ?
Où laissé-je égarer mes voeux et mon crédit ?
Je l'ai perdu : les facs m'en ont ravi l'usage.
Hydarcos, la rougeur me couvre le visage.
Je te laisse trop voir mes honteuses fureurs,
L'autonomie m'enflamme et fait couler mes pleurs.

HYDARCOS.
Ah ! s'il vous faut rougir, rougissez d'un silence
Qui du cruel chercheur aigrit la violence.
Rebelle à tous nos soins, sourde à tous nos discours,
L'université seule accablerait vos jours ?
Ne suffisait-il pas de la crise des bourses ?
Quel charme a corrompu les humaines ressources ?
Les manifs par trois fois ont obscurci la rue
Depuis qu'avec horreur on voit la l.r.u.
Et le jour a trois fois chassé la nuit obscure
Depuis que le décret languit sans signature.
Songez qu'un même jour nous ravira le trône
Et rendra l'espérance à la plèbe bouffonne,
À ces fiers ennemis de vous, de votre loi,
Ces docteurs furieux, sans bureaux et sans foi,
Ces professeurs…

PHÉDRESSE.
            Ah ! dieux !

HYDARCOS.
                    Ma tirade vous touche ?

PHÉDRESSE.
Ô séide, quel nom est sorti de ta bouche ?

HYDARCOS.
Eh bien ! votre courroux éclate avec raison.
J'aime à vous voir frémir à ce funeste nom.
Réformez : que l'amour, le devoir vous anime ;
Réformez, et gardez qu'une tourbe unanime,
Portant hors des campus ses cours séditieux,
Ne fasse triompher la grève en mille lieux.
Mais ne différez point, chaque moment vous tue :
Réparez promptement votre force abattue.
De votre politique il faut tout espérer :
Le flambeau dure encore et peut tout embraser.

PHÉDRESSE.
J'en ai trop prolongé la coupable durée.

HYDARCOS.
Quoi ? De quelque repentir êtes-vous déchirée ?
L'obscure médiatrice attachée à vos pas…

PHÉDRESSE.
Je lui donne congé, je ne m'en repens pas.
Hydarcos, je sais trop que toute ton adresse
N'a pu jamais manquer aux désirs de Phédresse.
Ministre de Sarkos, instruit par ses discours,
Nourri dans le sérail, tu connais les détours
Par lesquels la faveur traîtresse et vagabonde
Traverse nos desseins aux yeux de tout le monde.  

HYDARCOS.
Ce discours sibyllin m'étonne et me confond.
Des rives de Dordogne au royaume de Pont,
Dans Trézène, dans Cnosse, et parmi tant de brigues,
Vous m'avez vu toujours seconder vos intrigues,
Madame, et dédaignant les chemins de l'honneur
M'élever le premier au rang de recruteur.
Ai-je dû craindre alors d'attenter au capesse,
Quand tout me répondait du succès de Phédresse ?
Régnez : ne souffrez pas qu'un monôme odieux
Commande insolemment au plus beau sang des dieux.

PHÉDRESSE.
Moi, régner ! Insensé, tu veux me voir perdue ?  
Braverai-je longtemps les clameurs de la rue ?            
Moi, régner ! Moi, ranger des docteurs sous ma loi,
Quand ma faible raison ne règne plus sur moi !
Hydarcos, c'en est fait, je dois jeter l'éponge.
Mesure mes douleurs aux ongles que je ronge.

HYDARCOS.
Madame, au nom des profs que pour vous j'ai lassés,
Par vos faibles genoux que je tiens embrassés,
Délivrez votre esprit de ce funeste doute !

PHÉDRESSE.
Tu le veux : lève-toi.

HYDARCOS.
            Plus fort : je n'entends goutte.

PHÉDRESSE.
Ciel ! que vais-je leur dire ? et par où commencer ?

HYDARCOS.
Votre amour acharné saura bien les tancer.   

PHÉDRESSE.
Ô preuves de Vénus ! ô réforme lanlère !
Dans quels égarements me jette un ministère !

HYDARCOS.
Oublions-les, madame, et qu'à tout l'avenir
Un silence éternel cache ce souvenir.

PHÉDRESSE.
Rachidane, ma soeur ! Par quel destin moulue
Vous quittâtes les ors dont vous fûtes exclue !

HYDARCOS.
Que faites-vous, madame, et quel mortel ennui
Contre tout votre clan vous anime aujourd'hui ?

PHÉDRESSE.
Puisque Sarkos le veut, de ce clan déplorable
Je brandis la bannière, et fléchis lamentable.


HYDARCOS.
Que ferez-vous ?

PHÉDRESSE.
        Je veux un nouveau médiateur.

HYDARCOS.
Mais qui ?

PHÉDRESSE.
        Connais Phédresse et toute sa fureur :
Je veux… À son seul nom je tremble, je frissonne.
Je veux…

HYDARCOS.
        Qui ?

PHÉDRESSE.
            Tu connais ce fils de la Sorbonne,
Ce géographe altier, cet illustre gourmet.

HYDARCOS.
Hypopitte ? Grands dieux !

PHÉDRESSE.
                C'est toi qui l'as nommé.

HYDARCOS.
Juste Ciel ! Tout mon sang dans mes veines se glace !
Ô réforme terrible ! ô formidable place !
Chaires infatuées ! fatales facultés !
Redoutez le fléau des universités !

PHÉDRESSE.
J'ai gâché dans les facs, dans leur noir labyrinthe,
Un plâtre que Médée apporta dans Corinthe.
De quoi m'ont profité ces inutiles soins ?
On me haïssait plus, je ne brûlais pas moins.
Misérable ! Et je vis ? Et je soutiens la vue
De ce sacré Sarkos dont je suis descendue ?
Que diras-tu, mon maître, à ce spectacle horrible ?
Je crois voir de ta main briser l'urne terrible.
Je crois te voir, cherchant un supplice nouveau,
Toi-même des campus devenir le bourreau.
Dissipe des chercheurs la foudre vengeresse :
Reconnais leurs ardeurs au malheur de Phédresse.