Questions de société
Pétition contre la nouvelle épreuve du CAPES

Pétition contre la nouvelle épreuve du CAPES "Agir de manière éthique et responsable" + Lettre du département de philosophie de Clermont-Ferrand II au président du jury de l'agrégation de philosophie (mars 2010)

Publié le par Bérenger Boulay

Ci-dessous:

- Non au contrôle de moralité des futurs enseignants. Pétition contre la nouvelle épreuve du CAPES "Agir de manière éthique et responsable"

- Lettre des enseignants-chercheurs du département de philosophie de l'Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand II au président du jury de l'agrégation de philosophie (10 mars 2010)

Non au contrôle de moralité des futurs enseignants

Pétition contre la nouvelle épreuve du CAPES "Agir de manière éthique et responsable"

http://www.petitiononline.com/azby1111/petition.html

Les Arrêtés du 28 décembre 2009 réformant les concours de recrutementdes enseignants du premier et du second degrés (J.O. du 6 janvier 2010)prévoient à compter de la session 2011, dans les épreuves orales, uneévaluation de la compétence dite « Agir en fonctionnaire de l'Etat etde façon éthique et responsable », dont la définition est donnée dansl'annexe de l'Arrêté du 19 décembre 2006 (point 3 « les compétencesprofessionnelles des maîtres »). Cette évaluation occupe en apparenceune place mineure dans l'oral de l'Agrégation (4 points sur 20 del'épreuve orale où elle s'insère), ou même dans l'oral du Capes (6points sur 20), mais il est aussi prévu par les Arrêtés que lorsqu'uneépreuve comporte plusieurs parties, la note zéro obtenue à l'une oul'autre des parties est éliminatoire. Et il est par ailleurs annoncéque les jurys des concours pourraient, outre les membres (issus ducorps de l'Inspection ou des corps enseignants) proposés par lePrésident du jury, « comprendre des personnes choisies en fonction deleurs compétences particulières ».
En somme, les futurs candidats seraient supposés faire la preuve,au cours d'un entretien d'une vingtaine de minutes avec le jury («exposé du candidat à partir d'un document fourni par le jury (dixminutes) et entretien avec le jury (dix minutes) »), de leur bonnemoralité, cette évaluation pourrait être confiée à des personnes aux «compétences particulières », et une prestation insatisfaisante pourraitleur valoir une note éliminatoire.

Nous ne pouvons accepter qu'un certificat de bonne moralité – en vertu de quels principes, de quels critères ? - soit désormais requis pour accéder aux fonctions d'enseignant ; nous ne pouvons admettre qu'un jury puisse éliminer des candidats, en supputant dans le cadre d'une épreuve orale aux contours opaques leur incompétence en matière d'éthique et de responsabilité ; nous ne pouvons comprendre comment pourrait être suspecté le désir d'être un enseignant compétent et dévoué, s'agissant de personnes qui, au terme de plusieurs années d'étude exigeantes, et d'une ou plusieurs années de préparation spécifique, se présentent aux concours de recrutement de l'enseignement.
Enfin, cette disposition nous paraît des plus dangereuses car elle suggère une volonté de contrôle des consciences, étrangère à notre tradition républicaine. Les concours de recrutement ne sauraient évaluer que les compétences disciplinaires et les aptitudes pédagogiques des candidats.
C'est pourquoi nous demandons solennellement à Monsieur le Ministre de l'Education Nationale que l'évaluation de la compétence « Agir en fonctionnaire de l'Etat et de façon éthique et responsable » soit retirée au plus vite de l'ensemble des concours de recrutement de l'Education Nationale, pour lesquels elle est actuellement programmée.

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Lettre des enseignants-chercheurs du département de philosophie de l'Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand II au président du jury de l'agrégation de philosophie (10 mars 2010)

Le Département de philosophie de l'Université Blaise Pascal à Clermont-Ferrand réuni le 10 mars 2010 a pris connaissance du texte de décret fixant par arrêté du 28 décembre 2009 les modalités d'organisation des concours d'agrégation, publié au J. 0. du 6 janvier 2010, et dont les termes lui inspirent, s'agissant de l'agrégation de philosophie, les plus vives et profondes inquiétudes et perplexités.

La modification de la nature de l'épreuve, présentée sans titre comme quatrième épreuve de l'oral, suscite en particulier l'étonnement et l'embarras le plus total quant à ce que pourrait être sa mise en oeuvre, et l'inquiétude de voir transformées par arrêté ministériel en matières d'enseignement et base de sélection pour un concours de la fonction publique d'enseignement tel que l'agrégation, ce que le document de référence cité pour base de ce programme intitule « la compétence Agir en fonctionnaire de l'Etat de façon éthique et responsable » (arrêté du 19 décembre 2006) .

Si en effet l'ensemble des autres épreuves est reconduit conformément aux usages précédents, une interrogation portant sur les « connaissances », mais aussi « les attitudes » et « les capacités » relevant de cette « compétence » est intégrée à titre de partie dans la 4e épreuve d'oral, et doit être préparée par les candidats en même temps que l'épreuve d'explication de texte étranger. La durée de cette épreuve se trouve portée à 2 heures de préparation en tout, et 1 h 20 de passage devant le Jury (contre 40 minutes pour les leçons et 30 minutes pour l'explication de texte en français). 20 minutes sont prévues pour la seconde partie, distribuée en exposé du candidat à partir d'un document fourni par le jury (de quelle nature ?) et dix minutes d'entretien (selon quelle déontologie ?). Le temps de l'explication de texte étranger est par ailleurs doublé, puisqu'il est décomposé en 30 minutes d'explication et 30 minutes d'entretien (pourquoi ici et en introduisant une différence avec l'autre explication de texte ? sera-ce devant un jury élargi à des non universitaires ou non philosophes ?).

Il est en effet préoccupant que cette adjonction d'une telle « matière » au programme puisse s'assortir d'une modification de la composition du jury : l'article 4 du décret prévoit que les membres nommés puissent être, outre les collègues jusqu'ici sollicités « des personnes choisies en fonction de leurs compétences particulières » ; et il faut noter que la faiblesse du coefficient attribué à cette partie d' épreuve (4 points contre 16 sur 20 à l'autre partie) doit être relativisée par la disposition précisée à l'article 9 : « Les épreuves sont notées de 0 à 20. Pour toutes les épreuves, la note zéro est éliminatoire. Lorsqu'une épreuve comporte plusieurs parties, la note zéro obtenue à l'une ou l'autre partie est éliminatoire ».

Enfin, le référentiel visé sous l'appellation Agir en fonctionnaire de l'Etat et de façon éthique et responsable dans le décret correspond, au sein du document d'ensemble formant un cadre commun à tous les corps d'enseignement primaire et secondaire qui «  justifie un seul référentiel de compétences pour tout type d'enseignant », au premier des titres de ladite « compétence professionnelle des maîtres ». Le Département de Clermont a plusieurs fois récemment exprimé ses réserves quant à l'introduction d'une formation professionnelle initiale extérieure à son offre de formation au sein même des parcours enseignement des Master. Il est inquiétant que la compétence retenue pour la sélection des agrégés soit celle qu'ils pourraient, à l'oral et hors anonymat, manifester, devant un jury éventuellement élargi, quant à leur connaissance des « valeurs de la République » décrites en leur contenu détaillé dans un arrêté ministériel, ainsi que de « la politique éducative de la France, les grands traits de son histoire et ses enjeux actuels », et quant aux « attitudes » pratiques, ici aussi détaillées, que ces connaissances exigeraient.

Le Département de philosophie de Clermont s'étonne donc autant qu'il s'inquiète de cette modification de l'organisation des concours, qui consiste à arrêter par décret, voire même au mépris des avis recueillis auprès des acteurs du système éducatif, non seulement une nouvelle organisation du concours de l'agrégation, mais le contenu de notre éthique professionnelle, et ce au moment même où il nous est imposé de contrôler la connaissance par les candidats de la tradition républicaine de transmission des savoirs et de liberté de pensée, et leur adhésion à cette tradition… Le Département espère au vu de cette adjonction, dont le ridicule dans la formulation le dispute trop à l'arbitraire pour qu'en soit sérieusement envisagée l'application, que le bon sens prévaudra autant que l'éthique dans le nécessaire réaménagement de ces dispositions. Prises à la lettre, elles risqueraient de plus de détourner de l'agrégation, jusqu'ici dans notre discipline admise à l'Université comme titre d'excellence, les meilleurs de nos étudiants, et ce au moment même où la pénurie de postes ouverts en philosophie pour l'entrée à l'Université ne permet en aucune façon aux universitaires responsables de se résigner à la disparition d'un des principaux débouchés professionnels stables pour les études universitaires au sein des Départements de philosophie.