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Penser le (non-)travail : Perspectives interdisciplinaires Appel à contributions pour le numéro 6 de trajectoires

Penser le (non-)travail : Perspectives interdisciplinaires Appel à contributions pour le numéro 6 de trajectoires


Penser le (non-)travail : Perspectives interdisciplinaires

 

Appel à contributions pour le numéro 6 de trajectoires, revue de jeunes chercheurs du Centre Interdisciplinaire d'Études et de Recherches sur l'Allemagne (CIERA)

 

 

« Ces condamnations de tous ceux qui ne travaillent pas, assimilés aux ‘mauvais pauvres’ d’autrefois, sont dangereuses pour la démocratie car elles instituent un clivage qui se creuse entre deux catégories de la population. »

Robert Castel, « La citoyenneté sociale menacée », in Cités (2008).

 

Que ce soit sous sa forme stigmatisée du chômage, sous sa forme stylisée du dandyisme, de la vie de bohémien et artiste, ou encore sous des formes hybrides comme le crowd-sourcing1, l’engagement bénévole ou la créativité freelance : la question du non-travail est un sujet virulent, clivant et créateur de tensions puisque la norme dominante dans nos sociétés occidentales impose le travail comme une forme d’activité humaine incontournable. Par son acuité politique, le chômage constitue certainement la forme la plus évidente de non-travail2. Les souffrances qu’il cause en font un problème social central. Pour autant, il ne résume pas à lui seul la question du non-travail.

Les figures du « non-travailleur », sous toutes les formes qu’il peut prendre dans l’histoire, la littérature, les arts ou la société contemporaine, ne manquent pas. Les jugements à leur égard non plus. De la fainéantise du profiteur au repos bien mérité de l’ancien travailleur, les différentes représentations des ceux qui ne travaillent pas alimentent l’imaginaire collectif. Pourquoi le désoeuvrement du chômeur paraît si révulsant alors que l’oisiveté du rentier fait, elle, tellement fantasmer ? Quelle est donc cette particularité du travail qui rend son absence ou même son irrégularité (spatio-temporelle) autant crainte que désirée ? Que l’on pense aux fresques littéraires qui exaltent le dandysme ou qui dépeignent la décrépitude du monde ouvrier ou aux discours politiques sur les profiteurs « d’en bas » comme « d’en haut », l’absence de travail fascine et effraie : l’Oblomov de Gontcharov, qui fait de la sieste l’occupation centrale de sa vie et laisse tomber en ruines le domaine hérité de son père, ou le Bartleby de Melville, qui commente chaque exhortation à l’activité de son fameux I would prefer not to.3 Aujourd’hui, ce sont des personnes comme Tom Hodgkinson, auteur du livre Anleitung zum Müßiggang (How to be idle) et éditeur de la revue annuelle The Idler qui déclarent la guerre au rôle central que le travail occupe dans nos vies4. Diverses figures de non-travailleurs, bohémiens-artistes ou non-conformistes, ont dessiné une image du non-travail tout à fait attirante.

Tout un ensemble de « déserteurs du marché du travail » (mis en exergue dans le film Attention Danger Travail5) cherchent en effet des moyens de s’extraire de marché de l’emploi : individuellement, en mobilisant les solidarités primaires (famille, amis) et secondaires (État social) ou collectivement, à travers diverses forment de vies communautaires (squats, coopératives). Ils développent alors d’autres activités assurant des ressources alternatives – autoproduction, glanage, ... – et/ou restreignent leur consommation, à l’image des promoteurs de la « simplicité volontaire »6. D’autres personnes, à l’instar des tenants du revenu universel7, planifient des formes d’organisation sociale du non-travail8. À l’opposé de ces utopies, on peut se demander si l’« activation » des sans-emploi (proposition de service citoyen, 1-Euro-Job) n’est pas déjà une forme dystopique de gestion politique du non-travail. La porosité de la frontière entre travail et non-travail (Entgrenzung)9 apparaît de plus en plus évidente dans le cas de ce que l’on pourrait appeler le Kreativprekariat ou « la bohème du numérique »10, que l’on pense par exemple au freelancer qui pianote sur son portable, travaillant dans un café sans heures de travail et sans salaire fixes. S’agit-il de travail ou de non-travail de la part de tous ces journalistes, recruteurs, propriétaires de start-ups plus au moins profitables ? S’agit-il ici d’une adaptation pragmatique aux conditions du marché du travail ou d’une politique du (non-)travail ?11 Qu’en est-il aussi par exemple de la situation des (post)doctorants ? En revenant aux formes anomiques de non-travail, dont le développement serait inéluctable12 sans une remise en cause de la centralité de l’emploi pour l’intégration sociale13, on pourrait aussi s’interroger sur les coûts psychologiques, sanitaires, sociaux que génère l’absence de travail. Quelles sont les formes d’économies (informelles) qui apparaissent dans les zones durement frappées par l’absence d’emploi ? Peut-on d’ailleurs faire une géographie du non-travail ?

Le non-travail pourrait ainsi être pensé selon trois axes : 1) le non-travail comme antithèse stigmatisante du monde du travail et de la productivité capitaliste, 2) le non-travail comme alternative à cette productivité aveugle, voire attitude choisie pour accéder à la liberté et 3) le non-travail comme nouvelle forme du travail.

Si le non-travail semble être l’objet privilégié des sciences économiques et sociales, il concerne en réalité également de nombreux autres domaines (de la littérature au cinéma, en passant par le droit, la philosophie, l’histoire culturelle et sociale, la psychologie, les sciences politiques, etc.). Nous invitons donc les doctorant-e-s et les jeunes chercheurs et chercheuses de toutes les disciplines à proposer une contribution pour ce nouveau numéro de trajectoires. Cette proposition doit, d’une manière ou d’une autre, s’inscrire dans une approche franco-allemande (terrain français ou allemand, études comparées ou croisées, francophones travaillant sur l’Allemagne, germanophones travaillant sur la France, etc.). Différentes perspectives – non exclusives – pourront être explorées comme 1) la dialectique non-travail/travail en analysant notamment la question des luttes ou de l’autonomisation du champ du non-travail, 2) la figure du « non-travailleur » dans l’histoire, la littérature ou la société moderne, ou encore 3) l’économie du non-travail et les zones de non-travail en s’interrogeant sur les formes de contournement du travail conventionnel et sur les lieux du non-travail.

Les propositions d’article de 5.000 signes maximum (espaces compris) devront faire apparaître clairement la problématique, la méthode, le corpus/le terrain et les éléments centraux de l’argumentation. Elles sont à envoyer au plus tard le 26 mars 2012 au comité de rédaction : <trajectoires@ciera.fr>. Les auteur-e-s sélectionné-e-s seront averti-e-s à la mi-avril et devront envoyer leur texte avant le 25 juin 2012. Les articles seront ensuite soumis à une double peer-review.

trajectoires, revue de jeunes chercheurs du Centre Interdisciplinaire d’Études et de Recherches sur l’Allemagne (CIERA), est publiée sur le portail Revues.org :

 

1Papsdorf Christian, Wie Surfen zu Arbeit wird. Crowdsourcing im Web 2.0, Frankfurt a.M./New York, Campus, 2009.

2Demazière Didier, Sociologie des chômeurs, Paris, La Découverte, 2006.

3Fuest Leonard, Poetik des Nicht(s)tuns: Verweigerungsstrategien in der Literatur seit 1800, München, Fink, 2008.

4http://idler.co.uk/about/

5Film documentaire de Pierre Carles, Christophe Coello et Stéphane Goxe, 2003, cf. aussi, Dorival Camille, Le travail, non merci !, Les Petits Matins, 2011.

6Mongeau Serge, La Simplicité volontaire, ou comment harmoniser nos relations entre humains et avec notre environnement, Montréal, Éditions Québec Amérique, 1985.

7Van Paris, Philippe et Yannick Vanderborght, LAllocation universelle (avec), Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2005.

8On pense également aux partisans de la décroissance. La décroissance, Paul Alliès, Golias, 2007

9Gerrit Herlyn (Hg.), Arbeit und Nicht-Arbeit : Entgrenzungen und Begrenzungen von Lebensbereichen und Praxen, München [u.a.], Hampp, 2009.

10Friebe Holm und Sascha Lobo, Wir nennen es Arbeit. Die digitale Bohème oder: intelligentes Leben jenseits der Festanstellung, München, Heyne, 2006.

11Jörn Etzold, Schäfer Martin Jörg (Hg.), Nicht-Arbeit : Politiken, Konzepte, Ästhetiken, Wien, Facultas.wuv, 2009.

12Rifkin Jeremy, La Fin du travail, Paris, La Découverte, 1996.

13Méda Dominique, Le Travail. Une valeur en voie de disparition, Paris, Champs-Flammarion, 1998.