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Panoramas, mosaïques et séries : formes collectives ou sérielles du portrait de la société (Sarrebruck)

Panoramas, mosaïques et séries : formes collectives ou sérielles du portrait de la société (Sarrebruck)

Publié le par Marc Escola (Source : Robert Lukenda)

Panoramas, mosaïques et séries : formes collectives ou sérielles du portrait de la société

Comment peut-on représenter et analyser de manière adéquate la société ? Au XIXe siècle, cette question a déjà occupé les milieux scientifiques et littéraires pour aboutir, avec Balzac et Zola, à de grands cycles romanesques inspirés par la sociologie. Or, les innovations médiales ainsi que la mise en place des sciences sociales ne conduisirent pas seulement au développement du roman de société ou de mœurs, mais aussi à des projets innovateurs d’analyse sociale. Ces œuvres « panoramiques » (W. Benjamin) comme Les Français peints par eux-mêmes (1840-42) ou Paris, ou le livre des cent-et-un (1831-34), moins analysées par la critique littéraire que les grandes fresques romanesques et auxquels participèrent des écrivains comme Balzac, mais aussi des journalistes et des scientifiques, se présentaient comme des encyclopédies morales de leur temps : ainsi, un portrait étendu de la société française naquît dans l’interaction de différentes cultures du savoir (littérature, sociologie, arts plastiques, etc.), de différents médias (texte, images), écritures et genres (essai, reportage, etc.). L’émergence de procédés valorisant une multitude de perspectives correspond à la société basée sur la répartition du travail, en même temps que ces travaux collectifs, en tant que formes profondément hybrides situées dans l’intersection de la littérature et des sciences sociales, représentent, de manière symptomatique, la perte d’un ‘grand récit’.

Ces dernières années et décennies, il semble que ces projets d’une écriture alternative de l’histoire connaissent une renaissance insoupçonnée. Ainsi, les œuvres panoramiques du XIXe siècle, dans lesquelles la société s’est analysée elle-même, sont rééditées et adaptées de multiples manières. Ces tentatives de réanimation d’une tradition française témoignent d’une « fièvre d’autoanalyse » (P. Rosanvallon), fièvre qui, face aux signes de ‘décadence’ sociale, identitaire et politique, tient en mouvement la société française depuis les années 80. Comme l’a montré notamment La misère du monde (1993) de Bourdieu, on attribue de nouveau à la littérature un potentiel épistémologique et créateur de cohésion sociale. C’est justement en France, modèle de la culture de la mémoire et de la politique de l’identité au XIXe siècle et qui, à la fin du XXe siècle, a dû se battre avec l’affaiblissement de la force cohésive de la nation, qu’on a entrepris, depuis les années 80, de grandes tentatives d’analyse de l’image de soi collective, tentatives qui imitées parfois au-delà des frontières européennes (cf. P. Nora, Les lieux de mémoire). En 2013, l’historien Pierre Rosanvallon lança le projet littéraire Raconter la vie , un projet qui offre aux Français ‘moyens’ la possibilité de raconter leur vie quotidienne et de prendre connaissance de celle de leurs contemporains. A partir de nombreux récits et petits livres, une fresque sociale polyphone et inspirée tout aussi de la littérature comme des sciences sociales naît ici comme une mosaïque. Ce projet, en se référant aux projets littéraires panoramiques du XIXe siècle et comparable au Federal Writers’ Project états-unien des années 1930, prétend représenter le « roman vrai de la société d’aujourd’hui » (raconterlavie.fr).

Le désir d’offrir à l’individu une image parlante de la réalité sociale et une possibilité de s’identifier à une histoire collective se perçoit également derrière les nombreuses séries télévisées produites actuellement à l’échelle internationale. Un exemple de productions qui ne servent pas seulement la fièvre d’autoanalyse mais qui en plus la représentent, est avant tout la série états-unienne In Treatment (2008-2010), une série sur la vie professionnelle d’un psychothérapeute. Le spectateur, qui peut se glisser dans les séances thérapeutiques de ce dernier, devient témoin d’un panorama étendu de souffrances propres à la société actuelle. Celles-ci se présentent comme les publications partielles de Raconter la vie dans une série au cours de laquelle le spectateur peut faire sa propre thérapie avec et à travers les personnages.

L’objectif de la journée d’étude est d’inventorier et d’analyser des projets et des phénomènes actuels du portrait de la société. Nous proposons de rendre compte des stratégies médiales, narratives et épistémologiques de projets actuels ainsi que de leurs références historiques. Les comparaisons entre les projets littéraires et d’autres médias et formats d’une autoréflexion sociale (film, séries télévisées, radio) sont les bienvenues. Nous proposons de réfléchir aux conditions spécifiques de production et de réception des tableaux collectifs de la société : comment et dans quelles conditions peut-on écrire le « roman vrai de la société » dans l’ère des réseaux sociaux ? Comment la sérialité ou la multimédialité influencent-elles la production d’un discours sur la réalité sociale ? Qui décide de ce qu’est le ‘roman vrai’ de la société et quelles mécanismes de régulation et d’exclusion influent sur sa production ? Alors que, sur des canaux comme youtube, ce roman s’écrit quasiment lui-même, les projets littéraires et filmiques tendent à la cohérence, ne serait-ce que par le rassemblement de récits et d’observations. Ils contribuent dès lors, à côté de leur composante analytique, à produire du sens. Il faudra pour cela demander quelle est la force effective de ces projets : quelles fonctions symboliques et concrètes ont-ils dans l’autoanalyse et l’organisation sociales ? Quel rôle occupent-ils dans les divers champs du discours public (politique, science etc.) ?

Nous aimerions analyser un débat social actuel en proposant les pistes suivantes :

- mises en scènes narratives de la société/de la vie quotidienne

- formes collectives, hybrides et sérielles de la représentation de la société dans la littérature, la télévision ou la radio

- le recours à la littérature pour renforcer la cohésion sociale

- science, littérature et identité collective

- le rôle de la littérature et d’autres médias face aux crises de la représentation politique

- littérature et discours démocratique / participation sociale

 

Pauline Peretz (univ. de Nantes, EHESS, Paris), rédactrice en chef du projet Raconter la vie, dont elle est responsable avec Pierre Rosanvallon, présentera ce projet littéraire collectif.

La journée d’étude aura lieu le 11 novembre 2016 à l’université de la Sarre, Sarrebruck.

S’il vous plaît, envoyez vos propositions (résumé d’une contribution de 20 min. et courte référence biobibliographique, 1 page max.) par mail, avant le 4 juillet 2016, aux adresses suivantes :

Robert Lukenda (lukenda@uni-mainz.de)

Lisa Zeller (lizeller@uni-mainz.de)

  • Responsable :
    Robert Lukenda
  • Adresse :
    Université de la Sarre, Sarrebruck (Allemagne)