Essai
Nouvelle parution
P. Vilain, L'Autofiction en théorie

P. Vilain, L'Autofiction en théorie

Publié le par Alexandre Gefen

Philippe Vilain, L'Autofiction en théorie, suivi de deux entretiens avec Philippe Sollers & Philippe Lejeune, Paris, éditions de la transparence, 2009.

isbn 13 (ean): 9782350510484

L'avènement fulgurant de l'autofiction dans le paysage littéraire contemporain, l'adhésion et le rejet qu'elle rencontre, le débat théorique, le discours médiatico-mondain et la production romanesque qu'elle suscite participent de la singularité de ce genre indiscernable, hypothétique à sa façon, dont chacun parle, pense savoir ce qu'il est, sans pouvoir bien le définir.

Texte transmis par Isabelle Grell :

PhilippeVilain, dans sa toute récente publication sur le genre de l'autofictiond'autant plus vivant que maints critiques structuralistes - etaujourd'hui dépassés - le prétendaient mort-né, propose avec son récentessai L'Autofiction en théorie untour de piste, axé et donc enraciné dans ce qui constituel'autofiction : sa propre écriture. Dès son second paragraphe,l'écrivain-théoricien rend hommage à l'illustre et trèsvivant inventeur de ce terme, Serge Doubrovsky, tout en se distinguantensuite de la première définition du genre qui date de 1977: "Fiction,d'événements et de faits strictement réels".  Nous savons gré àl'essayiste de nous épargner les sempiternelles mêmes citations de laquatrième de couverture puis mieux exploiter le vaste champ générique àpartir de son expérience d'écrivain. En passant par les plus jeunespublications (Philippe Gasparini, Jean-Louis Jeannelle, ArnaudSchmitt) et reprenant des livres et articles moins récents mais pasmoins fameux (Philippe Lejeune, Vincent Colonna, Annie Pibarot,Dominique Noguez, Philippe Forest, Marie Darrieussecq...), PhilippeVilain tente de cerner de plus près cette fameuse "hybridité",l'"ambiguïté" du genre sans pour autant l'enfermer dans une liste dedéfinitions trop contraignante qui retirerait le souffle personnelnécessaire à tout auteur. Pour ce faire, l'écrivain-essayiste sort dunoir cavernal ses divers manuscrits afin de comparer ses avants-textesà l'ouvrage publié et l'approche génétique s'avère fructueuse, car ellelui révèle premièrement que les diverses étapes de réécritureéloignaient le texte du purement biographique pour laisser place au"style", et donc, pour parler avec Sartre, pour offrir au destinataire,son lecteur, de multiples strates, de chemins de lecture,d'interprétations possibles dudit texte. En se remémorant, l'auteur seréinvente, le souvenir n'est plus derrière lui, mais devant lui. Lamémoire, justement, est amplement interrogée dans cet essai de PhilippeVilain sur l'autofiction. En quoi le simple et si décrié enlisement ensoi-même se métamorphose-t-il en dépassement de soi vers l'autre, etceci par le biais de l'écriture? Le fait de récrire ce qui s'est ancrédans sa mémoire l'éloigne-t-il ou le rapproche-t-il de la vérité, SIvérité existe ? Philippe Vilain, à ce moment, s'éloigne de ladéfinition première de Serge Doubrovsky (que l'auteur du Livre Briséavait lui-même corrigée à plusieurs reprises au fil des années) pours'approcher de celle de Vincent Colonna qui élargit la premièredéfinition et y intègre aussi une réelle invention de sa vie, maistoujours sous son propre patronyme. Mais que fait le lecteur de cette"invention de soi", lui qui est toujours à la recherche du fameux"pacte de vérité" entre l'écrivain autofictionniste et lui-même?Philippe Vilain remet le lecteur – qu'il est aussi lui-même – à saplace et rend au dieu-écrivain ce qui lui est dû : la toute-puissance ducréateur. Fi des attentes simplistes du peule lisant! "Laisser lelecteur dans cette ambiguïté, brouiller les pistes, s'arroger laliberté d'exagérer des événements vécus, et, ce faisant, de leur donnerun nouveau destin : ce sont là quelques-uns des aspects qui me poussentà faire de l'autofiction mon genre de prédilection […]" (p. 38.) Cette"fabulation de soi", pour l'auteur, le rapprocherait plus dudévoilement de soi qu'une trop grande insistance sur la loi dunon-mentir, du dire-vrai doubrovskyen. La preuve: dans tous sesromans, Philippe Vilain "invente", "fictionnalise" à un moment donnéune partie de son vécu et, ce faisant, prévoit ce qui va arriver enréalité, dans sa vie : la séparation avec Annie Ernaux (L'Etreinte), la peur, voir le refus de devenir père dans un proche avenir dans Faux pèreetc. L'écrivain-Cassandre voit donc dans la prospection inventive del'écriture romanesque un pendant indispensable à la rétrospectionfactuelle d'un passé figé (p. 42). Rarement, et le genre de l'essai yest surement pour quelque chose, les équations de ce genre nousparaissent un peu trop rapides. Lorsque Philippe Vilain écrit que sonéquation personnelle "fiction-écriture-vie" est inverse de celle deDoubrovsky "vie-écriture-fiction", il nous semble qu'ici, ses souvenirsdes textes doubrovskyens datent (de peu) car SD n'a cesse de répéterque lui aussi est écrit par sa vie. Le Livre Brisé n'est-il pas l'exemplede la fonction prospective de l'autofiction, même involontaire?D'ailleurs Philippe Vilain conclue par une définition qui pourraitrejoindre celle de l'inventeur du terme: "Fiction homonymique ouanominale qu'un individu fait de sa vie ou d'une partie de celle-ci.(p. 74). Philippe Vilain a réussi, avec ce second livre théorique surles questionnements autour de l'autofiction, de nous faire voyager àtravers des flots de pensées diverses tout en nous gardant bien dans sabarque de romancier autofictionnel et il nous donne envie de lire sonprochain "roman" à travers ce qu'il dévoile de ses procédés d'écriture.Faites vite, Philippe! Ecrivez!

Isabelle Grell