Essai
Nouvelle parution
P. Mauriès, Nietzsche à Nice.

P. Mauriès, Nietzsche à Nice.

Publié le par Marc Escola

Nietzsche à Nice
Patrick Mauriès


Paru le : 17/04/2009
Editeur : Gallimard (Editions)
ISBN : 978-2-07-012504-3
EAN : 9782070125043
Nb. de pages : 67 pages

Prix éditeur : 10,00€


Nietzsche a séjourné cinq fois à Nice ; lorsqu'il quitte une dernière fois la ville, le 2 avril 1888, c'est pour sombrer quelques mois plus tard dans la folie.
A Nice, il retrouve la lumière d'acier, sèche et limpide, l'air " africain ", la légèreté diététique, l'alacrité de pensée, les courants alcyoniens. Dans la librairie où il se rend régulièrement pour provoquer le hasard, il lève peut-être la tête du livre qu'il feuillette et croise le regard d'un jeune homme aux yeux clairs, philosophe lui aussi, aux thèmes et à l'écriture souvent étonnamment proches des siens, en qui il pourrait reconnaître son double.
De Jean-Marie Guyau, célèbre alors, et destiné à disparaître quelques semaines plus tard, il ne reste plus aujourd'hui que quelques traces dans la mémoire des érudits, et l'ombre pâle d'un penseur fiévreux, trop tôt happé par la mort.

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Dans LE MONDE DES LIVRES du 07.05.09

Entretien Patrick Mauriès : "S'en tenir à sa part d'irrégularité"
Revue élégante et éclectique ; maison d'édition aux ouvrages soignés et délicieusement "inactuels"; marque inclassable aux allures de bibliothèque idéale, constituée parun amoureux de l'art et de la littérature, un écrivain subtil etcollectionneur invétéré... Ainsi pourrait-on tenter de définir LePromeneur, si justement la marque n'échappait pas à toute définition.Comme Patrick Mauriès, son créateur qui a fait sienne, dans sonémouvant Soirs de Paris, la leçon transmise par Roland Barthes, son maître : "S'entenir à sa part d'irrégularité, faire de cette impossibilité à selaisser décrire, à rentrer dans le rang, de la manière la plus douce,une valeur de vie et de création."

 

35326534393030383437353938663730?&_RM_EMPTY_ De Normale Sup à Libération, du QuaiVoltaire - où il fit ses premières armes d'éditeur - à Gallimard, quiabrite aujourd'hui Le Promeneur, Patrick Mauriès n'a eu de cesse dedemeurer un "homme à part", seul qualificatif convenant à cethomme d'allure adolescente (il est né en 1952), aux éclats de riressonores, qui rejette le terme d'éditeur - "une raison sociale" - et plus encore celui d'esthète -"c'est un terme dont je me trouve souvent affublé, et que je considèrecomme une manière de ne pas voir l'engagement politique et moral quiest le mien".

 

Un engagement né lors du "retour à l'ordre et à la loi" des années 1980. "J'étais alors étudiant à Saint-Cloud lorsque, avec mon amie Michèle Hechter, nous avons créé la revue Le Promeneur.Il s'agissait d'abord d'un acte militant face à la réaction contre lesannées 1970, qui furent une période touffue, critique et libre. Nous nepouvions accepter le reniement d'un héritage encore riche de sens et deportée. Ensuite, un certain nombre d'auteurs étrangers, telsGiorgio Manganelli, ou même Mario Soldati, demeuraient méconnus enFrance. Il fallait donc les faire découvrir, mais aussi traverser lesgenres - d'où le nom du Promeneur - en ouvrant la revue à l'art et laphilosophie." Deux domaines à travers lesquels Patrick Mauriès s'initia adolescent "par capillarité"à la littérature. Le surréalisme en peinture et surtout le maniérismele conduisant d'un livre à l'autre, de Walter Benjamin à Mario Praz ouSir Thomas Browne, auteurs qu'il s'attachera à mettre en valeur dans sarevue.

Conçue sur le modèle des gazettes du XVIIIe siècle (notamment The Ramblers du Dr Johnson), Le Promeneurva ainsi offrir pendant dix ans des textes rares et précieux, présentéset annotés avec soin sur papier vergé. Une élégance que l'on retrouvedans la ligne graphique, confiée au designer milanais Luigi Cerri. Lieude trouvailles, de hasards, de curiosités, très vite la revue estremarquée. Par Franco Maria Ricci, qui apporte son soutien à sondirecteur (comme, plus tard, Karl Lagerfeld) et lui propose detravailler au lancement de la prestigieuse revue d'art FMR ;par Andrew Neurath, fils du fondateur de Thames & Hudson, maisond'édition anglaise dont il va diriger la branche française ; ou par lejournaliste Jean-Pierre Thibaudat, qui confie à Patrick Mauriès laresponsabilité de la rubrique livres de Libération. Mais ce "lymphatique hyperactif"s'adapte mal aux contraintes de temps et quitte le quotidien en 1989.Il fonde alors sa propre maison d'édition, au sein du groupe QuaiVoltaire, dirigé par un notaire, Gérard Voitey. "C'était unpersonnage fascinant et énigmatique, qui s'est ruiné d'une manièreincompréhensible. Tout a dérapé lorsqu'il s'est étrangement mis dans latête de constituer un pôle édition qui rivaliserait avec les grandsgroupes", explique Patrick Mauriès. Dès lors, contacté parplusieurs éditeurs, Le Promeneur, guidé par Pascal Quignard, choisit demigrer chez Gallimard en 1991.

Si, au gré de ses rencontres - lesel même de la vie de Mauriès -, Le Promeneur a changé de forme, laligne directrice est demeurée inchangée. Fondée sur le refus descanons, des classifications par genres, des distinctions entre auteursmineurs et majeurs, mais aussi sur la volonté de réparer les oublis etde réévaluer les oeuvres peu ou mal lues (on pense notamment à Kleist,dont Mauriès a publié tous les livres), Le Promeneur a ainsi remis enlumière classiques et excentriques anglais (Thomas De Quincey, LyttonStrachey, Edith Sitwell) ainsi que des italiens de renom tels AlbertoArbasino, Piero Camporesi, Alberto Savinio, Vincenzo Consolo...Surtout, cette bibliothèque d'un amateur éclairé peut s'enorgueillird'avoir accueilli pour la première fois en France Edmund White ou PeterAckroyd, mais aussi contribué à la réflexion sur la notion de styleavec les écrits de Massin, Federico Zeri, Erwin Panofsky. Enfin elle adonné un nouvel écho aux écrits de Vivant Denon et à ceux des "irréguliers" tels que Louise de Vilmorin, Olivier Larronde ou Pierre Herbart.

Derrière l'éclectisme d'un catalogue qui publie avec Walter Benjamin son 300e titre se dessine plus qu'une cohérence, une guerre du goût contre "l'hégémonie de l'actuel, l'exaltation monocorde du contemporain dont nul n'a vraiment fixé la nature". Un combat "éminemment moral et politique"qu'espère mener encore longtemps ce bibliophile exalté, qui redoutedavantage les logiques de rentabilité immédiate que les nouvellestechnologies.

"Aujourd'hui, sans doute serait-il plus difficile de lancer Le Promeneur, confie encore Patrick Mauriès, qui prépare la publication de la correspondance Mandiargues-Leonor Fini. Je tiens parce que je suis dans une maison, Gallimard, qui a conservé une exigence littéraire, sinon..." Puis, après un silence : "Maseule ambition est de pouvoir poursuivre dans la mesure du possiblecette "construction" en lui conservant sa singularité dans le monde del'édition, et ce que l'on pourrait appeler une forme d'intégrité."

Signalons Description raisonnée d'une jolie collection de livres, Le Promeneur vingt ans d'édition.Illustré notamment par Jean-Paul Goude et Christian Lacroix, ce trèsbeau livre comprend, outre des textes de Sir Thomas Browne ou CharlesNodier, une enquête menée auprès d'une quarantaine d'écrivains (MarcAugé, Yves Bonnefoy, Erri De Luca, Gérard Macé, Elisabetta Razy, EdmundWhite...) sur l'avenir des bibliothèques idéales à l'heure desnouvelles technologies.


Christine RousseauArticle paru dans l'édition du 08.05.09