Édition
Nouvelle parution
P. Claudel, L. Massignon, Correspondance 1908-1953.

P. Claudel, L. Massignon, Correspondance 1908-1953. "Braises ardentes, semences de feu"

Publié le par Marc Escola

Correspondance 1908-1953 - "Braises ardentes, semences de feu"
Par Paul Claudel
Louis Massignon, Dominique Millet-Gérard (Annotateur)

Paru le: 15 mars 2012
Editeur: Gallimard (Editions)
Collection: les cahiers de la nrf
ISBN: 978-2-07-012937-9
EAN: 9782070129379
Nb. de pages: 527 pages

Prix éditeur : 48,00€

      
De 1908, année de la " conversion " de Louis Massignon (1883-1962), à 1953, deux ans avant la mort de Paul Claudel (1868-1955), les deux hommes ont échangé une belle et profonde correspondance, qui touche aux choses essentielles de l'esprit, du coeur et de l'âme, pour l'un comme pour l'autre indissociables.
Une partie de ces lettres, celles de la première période (1908-1915) avait déjà été publiée en 1973. Il était cependant regrettable de voir cette correspondance arbitrairement interrompue, et, de surcroît, amputée, du fait de nombreuses coupures, de son intérêt intime et puissamment spirituel. Toutes les lettres retrouvées sont ici restituées dans leur intégralité, mettant au jour la " passion " intérieure de Massignon, être calciné, et la sagesse parfois quelque peu interloquée de son aîné, toujours patiente et compatissante, sauf quand le poison de la politique vint, dans les derniers temps, gravement affecter sans pourtant la ruiner une amitié fondée sur une confiance absolue et de douloureuses confidences.

Mais même la politique est ici, à sa manière, une sphère du spirituel. Le face-à-face épistolaire de Claudel et Massignon, c'est aussi celui du poète et de l'érudit, le premier cherchant à s'instruire dans le domaine de l'orientalisme, le second lui livrant, pêle-mêle mais dans une étonnante cohérence intérieure, le résultat de ses recherches, ses méditations, ses innombrables pérégrinations savantes qui étaient autant de pèlerinages, ses lieux de prédilection et tout le réseau des " intersignes " qui assurent l'unité de ces curieuses expériences.

Ils se rencontrent dans l'acceptation commune d'une vie réglée par la prière, la liturgie, la direction et les exercices spirituels ; la " coopérative de prières " fondée par Claudel, et qui trouvera une prolongation spécifique dans la " Badaliya " de Massignon, les réunit autour de la haute figure sacerdotale de l'abbé Fontaine, qui fut le dernier confesseur de Huysmans. Une commune piété mariale nourrit leurs échanges, mais aussi leurs oeuvres et le subtil système analogique qui les régit.

Enfin, nous assistons ici au dialogue de deux vrais écrivains, dont l'un n'a plus à faire ses preuves, tandis que l'autre s'impose par la densité elliptique et l'étrangeté rythmique d'une phrase poreuse à l'influence d'une longue familiarité avec le " lyrisme saccadé, condensé, disruptif " des langues sémitiques, et surtout de l'arabe.

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Dans Le Figaro du 4/4/12, on pouvait lire cet article de Fabrice Hadjadj

"Rares sont les correspondances où l'on se correspond autant. Je ne parle pas de la quantité des lettres, mais de la qualité des auteurs. Entre Claudel et Massignon, on s'imagine une conversation où s'échangent les méditations du poète et de l'érudit, du dramaturge et de l'islamologue, à la hauteur du catholicisme auquel tous deux communient. Il y a toutefois ici quelque chose de plus profond qu'un échange littéraire: une certaine correspondance de destins.

L'un et l'autre sont des convertis absolus: «C'est toujours un miracle étonnant qu'une conversion, cette interpellation directe par laquelle Dieu s'adresse personnellement à nous…» (Claudel). L'un et l'autre écartelés entre leur génie d'écrivain et l'appel d'une vie religieuse. L'un et l'autre rescapés toujours à vif de passions violentes (Claudel, pour une femme adultère ; Massignon, pour des hommes): «J'ai de furieuses révoltes des sens, en ce moment, qui m'ébranlent tout entier de désir pour des choses que je sais clairement affreuses, que je vois clairement condamnées (…), balbutiant avec ténacité des prières - l'imagination ivre d'ordures…» (Massignon). L'un et l'autre, enfin, éprouvant le désir de réconcilier les mondes, qu'il s'agisse des mondes musulman et chrétien, ou, plus encore, du visible et de l'invisible.

Dès lors, la question de fond de cette correspondance, celle qui porte toutes les autres, est celle de la vocation. Il ne s'agit plus seulement de littérateurs dans leur exercice d'appeler toutes choses ; il s'agit d'hommes qui cherchent à entendre à quoi ils sont appelés.

Une amitié brisée

Claudel est de quinze ans l'aîné, il prend naturellement la position de grand frère. Sans condescendance, toutefois: il voudrait plutôt que ­Massignon le «dépasse» et imite le père Charles de Foucauld dont il est l'ami. Aussi, quand Massignon lui annonce son prochain mariage: «Ah, gémit Claudel, ce sera un vrai crève-coeur pour moi de vous voir entrer dans la voie plate et médiocre où je suis moi-même.» Mais c'est bientôt pour se reprendre et rappeler que «l'homme marié lui aussi est une espèce de religieux: il a reçu sa clôture».

Cette longue amitié se brise trente années plus tard, avec la création de l'État d'Israël. Massignon dénonce l'«affreux nazisme de Tel-Aviv» (sic!): «Ils rendent aux pauvres ­fellahs le mal que leur a fait Hitler.» Claudel est résolument sioniste: «Ce retour des Juifs dans leur patrie d'origine (…) est un événement hautement providentiel et que je salue avec joie.» Là se trouve le signe de contradiction. Et les deux hommes ne correspondront plus.

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