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Nouvelle parution
Ovide, Tristes Pontiques

Ovide, Tristes Pontiques

Publié le par Bérenger Boulay

Ovide, Tristes Pontiques

traduit du latin par Marie Darrieussecq

Paris, POL, 23/10/2008
ISBN : 978-2-84682-282-4

25,00€

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Dans Libération du 31/12/8, on pouvait lire un entretien avec la traductrice:

«Ovide, j'en ai l'image d'un brave homme»

OVIDE Tristes Pontiques Traduit du latin par Marie Darrieussecq, P.O.L, 424 pp, 25 euros.

En l'an 8 après J.-C., pour des raisons opaques, Ovide, le poète del'Art d'aimer et des Métamorphoses, est exilé par l'empereur Auguste àTomes (actuelle Constantza roumaine) sur les bords de la Mer Noire. Ily meurt neuf ans plus tard sans avoir revu Rome. C'est là-bas qu'ilécrit des lettres fameuses à ses amis, les Tristes puis les Pontiques,dans lesquelles il conte et plaint son exil. En 2006, Danièle Robertavait publié chez Actes Sud une excellente édition bilingue, bienannotée. Marie Darrieussecq publie sa propre traduction, d'une beauténue, proche d'un texte passé au décapage, sans ponctuation ni notes.Explications.

«Ma mère étant prof de français, j'ai échappé au grec mais pas aulatin. Je trouvais que c'était un pensum, une matière ingrate etrésistante. Les traductions étaient rébarbatives, pâteuses, avec desconjonctives partout. Jamais elles ne faisaient des textes unelittérature destinée à être lue. J'ai aimé le latin quand je n'ai plusété obligée de l'étudier.

Ovide, je l'ai découvert classiquement en hypokhâgne, dans le"Budé", ou dans l'édition Garnier. Plus tard, à Ulm, je l'ai retrouvédans des circonstances ridicules. Comme il n'y avait pas assez dechambres dans Paris, je me suis installée avec d'autres élèves àMontrouge. Pour certains normaliens, passer le périphérique, c'étaitl'horreur, et l'un de mes voisins s'est mis à réciter les vers d'exil.

J'ai commencé à m'intéresser au latin en licence, à la Sorbonne,quand un professeur de linguistique fabuleux, M. Berthomieux, nous amontré comment Apollinaire utilisait l'étymologie commune de certainsmots, tels que chèvre ou crevette. Le latin était l'inconscient de lalangue. Il permettait de saisir la profondeur des mots. J'ai eu accèslentement à cette richesse.

Il y a trois ans, j'ai relu Suétone, que je pourrais aussi traduire,contrairement à Tacite, beaucoup trop dense et elliptique pour monfaible niveau en latin. J'ai aussi regardé cette série américaine, Rome, qui montre bien quelle dictature effroyable était l'Empire. C'est alors, après avoir fini mon roman Tom est mort,que j'ai commencé à chercher des traductions d'Ovide. J'ai lu d'unetraite celle d'Emile Ripert, datant des années 1920, puis une autre,très bonne, en anglais. Et j'ai commencé à traduire, lettre par lettre,chronologiquement, tous les jours, comme un tâcheron.

La langue d'Ovide dans les Tristes et les Pontiques n'est pas la même que dans les Métamorphoses ou l'Art d'aimer :plus simple, moins érudite, ce n'est pas un emplâtre. Il s'adresse àses amis, écrit pour eux, en sachant que toutes les lettres peuventêtre lues, et le seront sans doute, par l'empereur : ce sont des cris.Dès le deuxième hiver, il sait que sa cause est sans espoir. On sentalors qu'en écrivant ses suppliques à Auguste, il a conscience des'abaisser. Mais il se rebelle contre ça, cette situation. Ce n'estplus l'espoir qu'on lui réponde qui le maintient en vie, maissimplement le fait d'écrire.

J'ai choisi l'austérité et l'absence de ponctuation, parce que l'uneet l'autre sont dans le latin. Mais l'époque d'Ovide est rhétorique :pour dire "faire de la poésie", on écrit "cultiver l'Hélicon" et toutle monde comprend, c'est un cliché que les gens respirent. Aujourd'hui,ces clichés ne signifient plus rien, il faut s'en débarrasser. J'aivoulu qu'un lecteur contemporain soit aussi peu arrêté par mon textequ'un lecteur de l'époque par la langue d'Ovide. Parfois, j'ai éliminédes passages trop redondants, parfois je n'ai pas osé ou su lesréduire. Il était difficile de faire passer la longueur des métaphores.Par exemple, "Si bien que soit, dans sa cage, la fille de Pandion captive…", de l'édition Garnier, devient chez moi : "On aura beau la mettre en cage/la fille de Pandion". J'ai cherché à trouver le point d'équilibre entre la justesse du sens et le naturel de l'expression.

Ovide, j'en ai l'image d'un brave homme, un poète un peu rêveur quia sans doute vu quelque chose qu'il n'aurait pas dû voir. Il vit enexil, dans les limbes, et il souffre. Il écrit qu'il ne veut pas errer,"fantôme romain parmi les barbares morts" : c'est pour ce genrede phrase que j'ai voulu le traduire. Il est arraché à sa femme, à toutce qu'il aime, et ça fait 2 000 ans qu'on lui dit : "Tu te plains trop."Je rêve ! Il a raison de se plaindre et il n'en a pas honte : il vitavant la culture judéo-chrétienne, ce n'est pas mal de parler de soi,de gémir. La vertu est d'abord ce qu'on se doit à soi-même.

J'ai naturellement choisi d'unir les deux recueils sous ce même titre, Tristes Pontiques, en référence aux Tristes Tropiques deLévi-Strauss. Ce qui rapproche les deux auteurs, c'est la présence etl'observation des "barbares", mais aussi la prescience d'un monde quiva disparaître. Ovide sent déjà la fin de Rome. Il est aux confins.Dans une lettre, il explique à son ami Maxime qu'il a cherché à luifaire un cadeau ; mais là-bas il n'y a pas d'or, pas d'artisanat, "les femmes de Tomes ne savent pas filer", "les quelques fruits qui poussent ont le goût du pays/amer", etc. Et finalement il lui envoie un carquois et des flèches : "les voici Maxime/les plumes de ce pays/voici ses livres/voici la muse qui règne ici." Ces flèches, ce carquois, cette lettre, ça me serre la gorge.»