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Opéra et cinéma

Opéra et cinéma

Publié le par Julia Peslier (Source : Pascal Lécroart)

 

Appel à communications

 

Opéra et cinéma

 

Journées d’études coorganisées par

le CELLAM (EA 3206) de l’Université de Rennes II

le Centre de recherches en littérature et poétique comparées (EA 3931)

de l’Université Paris-Ouest Nanterre

l’équipe CIMArtS – ELLIADD (EA 4661) de l’Université de Franche-Comté

et le CRLC (EA 4510) de l’Université Paris-Sorbonne

 

 

Besançon 5 avril 2013

Nanterre 18 octobre 2013

 

Comité d’organisation :

Aude Ameille, Pascal Lécroart, Timothée Picard et Emmanuel Reibel

 

À la fin du XIXe siècle, Thomas Edison prophétisait, à partir de l’invention de son « kinetograph » : « Je crois que, dans les années à venir, […] des opéras pourront être donnés au Metropolitan de New York sans qu’ils diffèrent en rien de l’original, mais avec des artistes et des musiciens morts depuis longtemps. »[1] Plus d’un siècle après, devant de tels propos, on peut s’amuser à la fois de leur pertinence et de leur approximation, alors que certaines salles de cinéma du monde entier se font inversement aujourd’hui le relais en direct de représentation du Metropolitan opera… Un point néanmoins est incontestable : le cinéma reste aussi inséparable de l’opéra qu’il l’était à ses débuts à travers des interactions institutionnelles, techniques, esthétiques, génériques, formelles et humaines multiples qui paraissent constamment à la fois se répéter et se réinventer.

C’est pour répondre à cette perspective riche et multiple des relations entre l’opéra et le cinéma que le CELLAM (EA 3206) de l’Université de Rennes II, le Centre de recherches en littérature et poétique comparées de Paris-Ouest Nanterre (EA 3931), l’équipe CIMArtS – ELLIADD (EA 4661) de l’Université de Franche-Comté et le CRLC (EA 4510) de l’Université Paris-Sorbonne ont décidé de collaborer à l’organisation de différentes actions qui se situent dans le sillage des recherches et publications sur les rapports entre musique et cinéma, parallèlement à un ensemble de manifestations organisées en 2013 à la Cité de la musique de Paris.

Le 15 février, l’Université de Rennes II consacre ainsi une journée à Verdi / Wagner au cinéma, en complément du colloque dédié aux deux compositeurs dont on célèbre le bicentenaire de la naissance. Parallèlement, à Rennes, du 11 au 17 février 2013, le festival « Cinéma et opéra » (troisième édition du festival « Transversales cinématographiques » : cinéma et arts) comportera rétrospectives, rencontres et conférences publiques, avec la participation, sous réserve, de Jacques Martineau, Frédéric Mitterrand, et Benoit Jacquot. De plus, la thématique « Opéra et cinéma » sera le fil conducteur de toute la saison de l'Opéra de Rennes et d'une partie de l'Orchestre de Bretagne en 2012-2013, incluant la projection de la Carmen de Feyder sur une musique d'Antonio Halffter, accompagnée en direct par l'Orchestre de Bretagne. Cet événement devrait donner lieu à une retransmission sur Ciné-classique et servira de base, en partenariat avec la Cinémathèque française, à un documentaire, « Carmen au cinéma » pour Arte, occasion de proposer une journée d'étude consacrée à la question des adaptations de Carmen au cinéma, pour laquelle un appel à communications spécifique sera rédigé.

Besançon et Nanterre entendent, complémentairement, organiser deux journées d’études en 2013 qui se focaliseront l’une sur une période allant des débuts du cinéma jusqu’aux années cinquante, l’autre, à l’inverse, sur la période contemporaine. Ce sera un moyen d’élargir, en amont et en aval, le terrain d’étude en dehors de la période intermédiaire mieux connue qui a vu notamment les plus célèbres réalisations de films-opéras. L’Université de Rennes organisera à son tour, en 2014, une dernière journée sur les phénomènes d’inscription de l’opéra au cinéma qui fera, plus tard, l’objet d’un autre appel.

 

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La première journée, tournée vers les cinquante premières années du cinéma, sera organisée le vendredi 5 avril 2013 à Besançon, ville de naissance des frères Lumière.

Né comme spectacle populaire au sein des attractions, le cinéma a indéniablement cherché à conquérir le rang d’art en se construisant une filiation à l’opéra, vu comme le comble de l’art par sa prétention à les totaliser. Dès ses débuts, il a concurrencé l’opéra en lui reprenant certains de ses sujets : Faust inspire Méliès pour Faust aux enfers en 1903 et La Damnation du docteur Faust (1904). De 1900 à 1907, Alice Guy entreprend en France, par le procédé du « phonoscène », le tournage de Carmen (douze scènes), Mireille (cinq scènes), Mignon (sept scènes) et Faust (vingt-deux scènes), que Noël Burch considère comme le premier film parlant (réalisation d’un peu plus d’une heure au total). En Italie, le répertoire lyrique fait également l’objet de multiples réalisations de films muets, accompagnés de musiques adaptées des oeuvres originales, variables selon les lieux et leurs moyens. En Allemagne, en 1924, Fritz Lang présente, contre, tout contre Wagner, ses propres Nibelungen et, en 1925, Robert Wiene propose un Chevalier à la rose pour lequel Strauss a accepté d’adapter la partition de son opéra. Institutionnellement, il est intéressant de relever qu’en France, Jacques Rouché a fait représenter à l’Opéra six grandes réalisations cinématographiques accompagnées en direct par l’orchestre jouant une partition spécialement composée pour le cinéma[2]. En 1926, le procédé américain du « vitaphone » s’impose et, avant Le Chanteur de Jazz, permet une adaptation de Dom Juan avec une musique de compilation réalisée par William Axt. L’avènement du cinéma parlant confortera naturellement ces relations, et le genre du film-opéra s’impose progressivement : Paillasse de Leoncavallo, produit par Fortune Gallo, inaugure officiellement le genre en 1931, avant que Carmine Gallone, en Italie, s’en fasse une spécialité. Louise, film d’Abel Gance réalisé avec l’aval et la collaboration de Gustave Charpentier, sort en 1939.

Plus globalement encore, l’esthétique cinématographique emprunte à l’opéra. Noël Burch écrit ainsi à propos des films muets : « Avec sa partition musicale ininterrompue, le film muet est une sorte de spectacle lyrique, où la voix figure en tant que gestuelle, la parole en tant que graphie. Et ces déplacements évoquent précisément ceux de l’opéra, où le verbe s’efface dans le chant, les silences deviennent chants d’orchestre, et l’intrique se lit… dans les notes du programme »[3]. On ne sera donc pas surpris du fait que les premiers théoriciens du cinéma vont chercher du côté de l’opéra la référence capable de faire saisir la valeur artistique de cet art nouveau, à la fois dans ses ressemblances et ses divergences. Le Gesamtkunstwerk wagnérien, l’idée de « synthèse des arts », les moyens offerts par les concepts de « mélodie continue » ou de « leitmotiv » vont offrir à toute l’histoire du cinéma des outils théoriques majeurs bien au-delà de la seule question de la musique de film. De là à faire du cinéma la véritable réalisation du projet wagnérien, il n’y a qu’un pas : « Le cinéma offre, à une échelle jamais atteinte, la possibilité rêvée par un Wagner, de pouvoir organiser sur un rythme l’ensemble de la réalité », écrit ainsi Michel Chion[4].

Si le monde du cinéma a donc eu besoin, pour s’affirmer, de l’autorité et du prestige de l’opéra, réciproquement le cinéma intéresse les musiciens : dans une période où s’affirme une crise de l’art lyrique, il apparaît comme une voie nouvelle digne d’être explorée. L’idée qu’il pourrait être « la grande expression lyrique de l’art d’aujourd’hui », comme le déclare Maurice Ravel en 1933, est alors une sorte de lieu commun qui souffre néanmoins du décalage avec la réalité d’une production essentiellement commerciale. Il est rare que le monde du cinéma accepte de faire sa place au musicien, même si des exceptions heureuses existent qui valent la peine d’être étudiée. De leur côté, Claudel et Milhaud dans Le Livre de Christophe Colomb, conçu dès 1927-28 et créé comme opéra à Berlin en 1930, intègrent à la mise en scène des projections cinématographiques qui serviront également à constituer une séquence de la Lulu d’Alban Berg.

Consacrer une journée d’études à la question des rapports entre opéra et cinéma, de ses débuts aux années cinquante, serait ainsi l’occasion, au-delà de la simple histoire du cinéma, en particulier du muet au parlant, ou de la question de la musique de film, perspectives qui ont fait l’objet d’une multitude de publications, de rencontrer d’autres problématiques :

- Quels sont les liens institutionnels et humains qui se sont construits dès cette époque entre monde de l’opéra et monde du cinéma ? Comment certaines collaborations ont-elles pu naître dans cet esprit ? Quelles oeuvres en sont issues ?

- Quels rapports génériques peut-on établir au-delà du seul film-opéra ? En quoi peut-on parler d’interaction entre opéra et cinéma dans cette période ? Les étiquettes de film opératique ou d’opéra cinématographique ont-elles un sens ?

- Quels rapports poétiques et esthétiques peut-on fonder ? Qu’y a-t-il de commun dans leur « mise en scène » ? Que veut dire le cinéma lorsqu’il emprunte ses sujets à l’opéra, mais aussi lorsqu’il fait de l’opéra la matière ou le sujet de telle ou telle scène ? On pourra également s’intéresser aux discours qui se tiennent dans la littérature de cette époque sur opéra et cinéma.

 

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La seconde journée, organisée à Paris-Ouest Nanterre le vendredi 18 octobre 2013, sera consacrée inversement à la période très récente. Il s’agira de réfléchir cette fois-ci à la manière dont l’opéra intègre en son sein des éléments cinématographiques afin de se renouveler. Le cinéma a en effet pu faire croire, au coeur du XXe siècle, qu’il supplanterait le genre opératique, en reprenant à son compte un grand nombre de ses caractéristiques héritées du romantisme (types de sujets, de personnages et de décors, star-system, etc.) tout en proposant ce divertissement à un prix sans comparaison avec celui de l’art lyrique. En pleine effervescence créatrice depuis trois décennies, ce dernier n’a cependant pas disparu : son pouvoir d’adaptation et ses emprunts de plus en plus fréquents au cinéma y sont peut-être pour quelque chose.

Ainsi, les metteurs en scène intègrent de plus en plus fréquemment des projections cinématographiques à leurs mises en scène d’opéra. Pensons, ces dernières années, au Tristan et Iseult de Peter Sellars et Bill Viola à l’Opéra Bastille en 2005 ou encore au Nez de William Kentridge à Aix-en-Provence en 2011. De plus en plus de cinéastes s’essaient parallèlement à la mise en scène d’opéra : Coline Serreau s’est attelée au Barbier de Séville en 2002 et, tout récemment, à Manon de Massenet (Paris, 2012), Raoul Ruiz à la Médée de Michèle Reverdy (Lyon, 2003), Michael Haneke à Don Giovanni (Paris, 2006), Abbas Kiarostami à La Flûte enchantée (Aix-en-Provence, 2008), Benoît Jacquot à Werther (Paris, 2010).

Le livret subit lui aussi l’influence du septième art. Se développe depuis quelques années une nouvelle catégorie d’opéras qui empruntent leur sujet à des films : Orphée (1993) et La Belle et la bête (1994) de Philip Glass sont des adaptations des deux films de Jean Cocteau ; Teorema (1995) de Giorgio Battistelli s’inspire de Pier Paolo Pasolini ; Romanza (2002) de Sergio Rendine prend sa source dans Les Ailes du désir de Wim Wenders et Lost Highway (2003) d’Olga Neuwirth est composé d’après David Lynch. Sans même partir d’un film, les librettistes sont nombreux à revendiquer une écriture proche de celle d’un script cinématographique, préférant notamment parler de séquences plutôt que de scènes. D’ailleurs plusieurs d’entre eux ont produit des scénarios pour le cinéma (après Marcel Achard qui avait conçu le livret d’Eugène le mystérieux de Jean-Michel Damase en 1964, Pierre Tchernia écrivit celui de La Mélodie des strapontins de Gérard Calvi (1984), Peter Greenaway ceux de Rosa The Death of a Composer (1994) et Writing to Vermeer (1999) pour Louis Andriessen, et Eugène Green celui de L’Amour coupable pour Thierry Pécou (2010). La musique elle-même semble subir l’influence de l’art cinématographique, à en croire Philippe Manoury, par exemple, qui n’hésite pas à employer des termes tels que « profondeur de champ » ou encore « fondu enchaîné » pour parler de sa technique compositionnelle. À tous ces éléments s’ajoutent la métamorphose de la captation vidéographique des spectacles d’opéras et l’évolution de leur diffusion, à travers différents médias (industrie du DVD, retransmissions télévisées, internet, diffusion live dans certaines salles de cinéma).

La période contemporaine permet donc de soulever un certain nombre de problématiques neuves :

- En quoi l’esthétique du cinéma a-t-elle récemment renouvelé l’art lyrique dans ses différentes composantes (musique, livret, mise en scène) ?

- Est-il véritablement possible de dresser un parallèle entre technique musicale dans le genre lyrique et technique cinématographique ? Qu’est-ce que cette similitude révèle du rapport entre ces deux arts ?

- La mode récente des opéras d’après des films traduit-elle une nouvelle conception du livret d’opéra ?

- Quel est le statut des séquences vidéo intégrées dans les mises en scène d’opéra ?

- Les nouveaux moyens de diffusion  de l’opéra, au cinéma ou par le DVD, modifient-ils la réception du genre lyrique (en métamorphosant le rapport à la scène, en rapprochant les interprètes des auditeurs, etc.) ?

 

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Les projets de communications (titre et résumé de 1000 caractères maximum) sont à adresser, avant le 1er septembre 2012, à Aude Ameille (audeameille@gmail.com), Pascal Lécroart (pascal.lecroart@univ-fcomte.fr) et Emmanuel Reibel (emmanuel.reibel@gmail.com)


[1] Cité par Noël Burch, « Du muet, le parlant. Réflexions cursives sur un interrègne », in Christian Belaygues dir., Le Passage du muet au parlant, Toulouse, Cinémathèque de Toulouse/Editions Milan, 1988, p. 31.

[2] Le Miracle des loups de Raymond Bernard avec la musique d’Henri Rabaud en 1924, Salammbô de Pierre Marodon avec la musique de Florent Schmitt en 1925, La Croisière noire de Léon Poirier avec la musique d’André Petiot en 1926, Napoléon d’Abel Gance avec une musique partiellement originale d’Arthur Honegger en 1927, Madame Récamier de Gaston Ravel avec la musique de Léon Moreau en 1928, Verdun, Visions d’histoire de Léon Poirier avec la musique d’André Petiot en 1928, enfin La Merveilleuse vie de Jeanne d’Arc de Marc de Gastyne avec la musique d’Henri Février et Marc Delmas en 1929.

[3] Noël Burch, « Du muet, le parlant. Réflexions cursives sur un interrègne », dans Christian Belaygue (dir.), Le Passage du muet au parlant, Toulouse, Cinémathèque de Toulouse, 1988, p. 51.

[4] Michel Chion, La Musique au cinéma, Paris, Fayard, « Les chemins de la musique », 1991, p. 91.