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Obsolescence Programmée : Textes, théorie, technologie (Liège)

Obsolescence Programmée : Textes, théorie, technologie (Liège)

Publié le par Marc Escola (Source : Carole Guesse)

Appel à contributions

Obsolescence programmée : Textes, théorie, technologie

Université de Liège (Belgique), les 8 et 9 décembre 2016

[For the English version, see below.]

Des puces obligeant les imprimantes à défaillir au bout d’un nombre donné de copies, des smartphones étonnamment toujours plus fragiles, des batteries électriques dont l’autonomie passe subitement à zéro minute, des aliments fournis avec une date de péremption arbitraire : les médias regorgent d’affaires ayant trait à la réduction artificielle de la durée de vie des biens de consommation. Ce mécanisme est appelé “obsolescence programmée” depuis le texte de Bernard London de 1932 : “Ending the Depression Through Planned Obsolescence”. À ses débuts, le concept est considéré comme potentiellement bénéfique pour la société : forcer les consommateurs à remplacer leurs biens plus rapidement augmenterait les ventes et stimulerait donc l’économie. Au cours du vingtième et surtout du début du vingt-et-unième siècle, l’obsolescence programmée comme stratégie commerciale a progressivement acquis une connotation négative en devenant le symbole de la surconsommation (Latouche 2012).

Le colloque “Planned Obsolescence” ne se propose pas d’évoquer directement les aspects économiques, sociaux et environnementaux de l’obsolescence programmée. Ceux-ci se trouvent assez largement débattus dans la recherche de ces domaines, qui est déjà riche et dont l’ampleur grandit continuellement. Il souhaite plutôt étudier ce concept sous l’angle encore peu exploré de ses implications dans les domaines artistique, littéraire et théorique, dans le sillage de Kathleen Fitzpatrick, qui utilise l’obsolescence programmée comme outil analytique pour l’épistémologie de la recherche. Notre objectif est d’explorer les possibilités de ce nouvel outil analytique dans l’étude d’œuvres littéraires et artistiques, les genres auxquelles elles appartiennent et les discours théoriques desquels elles dérivent ou ceux qu’elles ont engendrés. Nous souhaitons aborder les nombreuses facettes (représentationnelle, formelle, théorique, médiatico-technologique, etc.) de la problématique.

Une première approche est bien sûr l’étude de l’obsolescence programmée en tant que thématique d’œuvres littéraires et artistiques. La science-fiction regorge de cas qui mettent en question, réaffirment, modifient ou suppriment la “date d’expiration” de l’humanité (voir Time Out d’Andrew Niccol, 2011) ou de ses systèmes politiques et sociaux (voir “Solar Lottery” de Philip K. Dick, 1955). La science-fiction en tant que genre, et plus généralement le récit d’anticipation, sont d’ailleurs intrinsèquement menacés l'obsolescence programmée. Produire une œuvre qui représente un futur possible, c’est prendre le risque de se tromper; c’est condamner son œuvre à une caducité presque certaine, dès lors que ce futur ne se sera pas réalisé. Les œuvres et théories qui envisagent la destruction de notre planète (l’écocritique) et de ses habitants (le post- et transhumanisme) - qu’elles soient anticipatives ou non - sont également dignes d’intérêt. En allant plus loin, on peut oser l’anachronisme : le phénomène dépasserait son époque pour expliquer des œuvres et des mécanismes plus anciens. En tant que moyen d’analyse, il pourrait élargir la compréhension et l’interprétation de textes écrits pourtant avant l’apparition de l’obsolescence programmée en tant que fait ou comme discours. Le sentiment de belatedness, par exemple, exprimé dans la littérature de voyage de la fin du dix-neuvième siècle (Ali Behdad 1994) pourrait être considéré comme une instance d’obsolescence programmée. Ce concept se réfère à l’envie quelque peu paradoxale des voyageurs tels que Flaubert et Kipling de décrire l’Orient avant qu’il ne soit trop altéré, tout en ayant l’impression d’y arriver trop tard, à un moment où son exotisme et son authenticité ont été ruinés par l’arrivée du tourisme et du colonialisme, celui-là même qui les a amenés en Orient.

Certaines œuvres produisent également un discours sur l’obsolescence programmée au travers de leur forme. C’est le cas de la littérature numérique animée, où le texte se transforme en temps réel à l’écran, offrant donc au lecteur un texte polymorphe et éphémère (voir Kill the Poem de Johannes Auer, 1993). La littérature numérique de manière générale, de par sa dépendance au support informatique, est potentiellement concernée par l'obsolescence programmée puisque ces mêmes supports sont sans cesse remplacés par des modèles plus récents et – parfois volontairement – incompatibles (Hayles 2007). Un exemple parlant de ce problème est l’hypertexte “Afternoon, a story” (1997) de Michael Joyce, dont les liens finissent inévitablement par ne plus fonctionner. Les problématiques liées à la pérennisation du jeu vidéo illustrent aussi cette problématique: du fait des évolutions technologiques des supports, nombre de titres historiques ne sont plus accessibles que par le truchement d’émulateurs qui dénaturent l’expérience vidéoludique.

En plus d’étudier la représentation d’obsolescences programmées dans l’écriture artistique, il s’agira d'interroger la viabilité du concept comme outil d’analyse structurelle : pourrait-il se révéler fructueux comme concept théorique permettant d’appréhender des œuvres, que celles-ci soient classiques ou expérimentales ? Certaines contiennent-elles en elles l’inscription de leur péremption, voire de leur destruction en tant qu’objet ? L’obsolescence programmée pourrait-elle être une clé d’analyse des obsessions, transitions et successions théoriques qui caractérisent les Lettres actuelles? En effet, à peine un modèle est-il disponible que son successeur s’affiche déjà, souvent affligé du préfixe “post-” (post-structuralisme, post-modernisme, voire post-postmodernisme).

Enfin, jusqu’il y a peu, l’histoire des médias a été envisagée selon une perspective de progrès technique. Celle-ci implique une évolution linéaire où les médias se suivent et se succèdent à ceux devenus obsolètes, les nouveaux médias offrant une expérience de la réalité plus directe, “remédiant” ainsi aux lacunes des médias précédents (Bolter & Grusin). De nouveaux courants tels que l’archéologie des médias s’opposent à cette vision téléologique (Zielinkski 2006, Parikka 2012). Henry Jenkins (2008) propose de son côté une vision où seuls les delivery technologies s’obsolétisent alors que les médias ne meurent jamais ; les nouveaux médias coexistent avec les anciens. Comment ces nouvelles façons de penser les médias nous invitent-ils à revoir la notion d'obsolescence programmée, pourtant clé dans l’industrie de la technologie, car moteur essentiel à l’innovation technologique (Fishman et al. 1993) ? En outre, si la littérature n’est pas devenue obsolète sous l’influence de l’émergence des technologies digitales (Fitzpatrick 2006, Collins 2010) comme on l’a longtemps annoncé, quels sont ses fonctions et ses statuts dans ce nouvel environnement médiatique?

L’extension du concept d’obsolescence programmée au domaine des arts et de la littérature reste hardie, et sont bienvenues les contributions qui la remettent en question, et même la contredisent : le champ de l’obsolescence programmée comme notion d’histoire culturelle reste à défricher et les arguments positifs comme négatifs doivent être pris en compte. De la même façon, les sujets de communication présentés ci-dessous le sont à titre d’inspiration et ne sont nullement exhaustifs.

 

Les propositions de communication (250-300 mots, en français ou en anglais) accompagnées d’une brève note biographique, sont à envoyer pour le 30 juin 2016 à l’adresse : planned.obsolescence.conf@gmail.com.

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Call for papers

Planned Obsolescence: Texts, theory, technology

Université de Liège (Belgium) - December 8th and 9th, 2016

 

Chips blocking printers after a certain number of copies, smartphones getting more and more fragile, batteries suddenly losing their autonomy, food assigned an arbitrary expiration date, and many more; the media regularly report on the artificial limitation of the lifespan of consumable goods. This mechanism, called “planned obsolescence,” dates back at least as far  as Bernard London’s 1932 pamphlet: “Ending the Depression through Planned Obsolescence.” Back then this was thought to have a positive impact on society: forcing people to replace their belongings more rapidly would increase sales and thereby stimulate the economy. Throughout the twentieth and particularly during the twenty-first century, planned obsolescence as a business strategy has gradually gained a negative connotation and become a symbol of overconsumption (Latouche 2012).

The conference “Planned Obsolescence: Text, Theory, Technology” does not intend to focus on the economic, social or environmental aspects of planned obsolescence; these are widely discussed in the literature of these fields, which is already extensive and continually growing (Swan 1972, Bulow 1986, Waldman 1993, Iizuka 2007, Fitzpatrick 2008). Instead, we would like to explore its implications regarding artistic, literary and theoretical productions and continue the discussion started by Kathleen Fitzpatrick in her work on planned obsolescence in academic publishing. Our goal is to address planned obsolescence as an analytical tool to study artistic and literary works, the genres to which they belong and the theoretical discourses related to them. We would like to address the many facets of planned obsolescence: representational, formal, theoretical, mediational, technological, etc.

Our first approach is that of planned obsolescence as a topic of literary and artistic works. Science fiction is full of narratives that re-affirm, question, alter or erase the “expiration date” of mankind (see Andrew Niccol’s 2011 movie “In Time”) and political and social systems (see Philip K. Dick’s 1995 “Solar Lottery”). Speculative fiction is intrinsically threatened by planned obsolescence: producing a narrative that imagines a possible future implies the risk of failure to envision our actual future. Most anticipating narratives are therefore doomed to be obsolete as soon as they get old enough to be proven wrong. However, planned obsolescence is not limited to science fiction. For instance, the feeling of belatedness expressed in late-nineteenth-century travel writing (Ali Behdad 1994) might be analysed as an instance of planned obsolescence: writers such as Flaubert or Kipling experienced the feeling of arriving too late to the Orient, a world that was already disappearing because tourism and colonialism, which had paradoxically brought them there in the first place, had already turned the exotic into the familiar. In addition, we welcome papers addressing the depiction of the limited lifespan of our planet (e.g. ecocriticism) and its inhabitants (e.g. posthumanism).

    Some narratives may produce a discourse on planned obsolescence through their form. This is particularly obvious in animated digital literature, where the text changes during the reading, turning itself into a polymorphic, ephemeral work, such as Johannes Auer’s “Kill the Poem” (1993), a poem that dies under the gaze of its reader. Digital literature, in general, depending mainly on its hardware, is likely to be a victim of planned obsolescence, as N. Katherine Hayles has noted (2007). The hypertext “Afternoon, a Story” (1987) by Michael Joyce, with its links eventually dying, is a striking example of this phenomenon. Video games also illustrate the issues related to form (here, hardware) and planned obsolescence: the consoles and their corresponding games are doomed to become obsolete. Some of the older technologies can resurrect thanks to emulators on more recent technologies, but the gaming experience is forever altered.

Since we aim to test the potential for planned obsolescence to become an analytical tool and thereby go beyond the study of its representation, we wonder about the fruitfulness of turning planned obsolescence into a theoretical concept. Does every work of art, literature and criticism contain the seeds of its own destruction? Could the concept of planned obsolescence shed light on transitions within literary theory? Planned obsolescence could therefore turn out to provide an explanation to the obsession for theory that characterizes contemporary literary and cultural studies: as soon as a theory is out there its detractors announce its replacement, with the habit of adding to it the prefix “post” (post-structuralism, post-humanism, post-modernism and even post-post-modernism).

Finally, until recently the perspective of technological progress prevailed in media history. This implied a linear progression where new media superseded old media because they offered a better level of immediacy, “remediating” to the inadequacy of old media  (Bolter & Grusin 1999), thereby rendering them obsolete. Recent trends in media studies, such as media archeology, question this teleological view and emphasise a non-linear conception of media history (Zielinkski 2006, Parikka 2012). Henry Jenkins (2008) holds a similar view and argues that only delivery technologies become obsolete, while old media never die and coexist with new media. How do these new ways of understanding media history invite us to rethink the idea of planned obsolescence, a key concept for the technology industry since it is often regarded as a necessary condition for technological innovation (Fishman et al. 1993)? What does prevent planned obsolescence from being fulfilled? Since disciplines such as literature have not become obsolete in the age of digital technologies (Fitzpatrick 2006, Collins 2010), as was often claimed would happen in the past, what are their functions and status in this new media environment?   

Addressing planned obsolescence as a concept to analyse artistic, literary and theoretical productions might seem bold, therefore we welcome papers that support as well as question, or even contradict, our hypotheses, since this territory of planned obsolescence as a cultural notion remains relatively unexplored. Incidentally, the topics mentioned above should be considered as inspiration and proposals may either focus on one of these or develop any other relevant topic.

 

Please send your abstract proposal (250–300 words, in English or in French) and a short biography by June 30th, 2016 to planned.obsolescence.conf@gmail.com.

 

Comité organisateur:

Michel Delville (Université de Liège)

Véronique Bragard (Université Catholique de Louvain)

Carole Guesse (Université de Liège)

Bruno Dupont (Univeristé de Liège)

Ella Mingazova (chercheuse indépendante/indipendant scholar)

 

Bibliographie / References: 

Anders, Gunther. L’obsolescence de l’homme. Paris: Ivrea, 2002 [1956].

Behdad, Ali. Belated Travelers: Orientalism in the Age of Colonial Dissolution. Durham: Duke University Press, 1994.

Benjamin, Walter, “Das Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen Reproduzierbarkeit”, Web.

Bootz, Philippe. « Les Basiques : La littérature numérique. » Leonardo/Olats, Dec. 2006. Web. http://www.olats.org/livresetudes/basiques/litteraturenumerique/basiquesLN.php.

Bolter, J. David, and Richard A. Grusin. Remediation: Understanding New Media. Cambridge : MIT Press, 1999.

Collins, Jim. Bring on the Books for Everybody: How Literary Culture Became Popular Culture. Durham : Duke University Press, 2010.

Compagnon, Antoine. Le démon de la théorie. Paris: Seuil, 1998.

Fishman, Arthur et al. “Planned Obsolescence as an Engine of Technological Progress”. The Journal of Industrial Economics 41. 4 (Dec., 1993): pp. 361-370.

Fitzpatrick, Kathleen. The Anxiety of Obsolescence : The American Novel in the Age of Television. Nashville : Vanderbilt University Press, 2006.

Fitzpatrick, Kathleen. Planned Obsolescence : Publishing, Technology, and the Future of the Academy. New York : NYU Press, 2011.

Hayles, N. Katherine. Electronic literature: new horizons for the literary. University of Notre Dame Press, 2008.

Hayles, N. Katherine. “Electronic Literature: What is it?” The Electronic Literature Organization, v.1.0, 2007 (Jan), Web.

Jenkins, Henry. Convergence Culture: Where Old and New Media Collide. New York : NYU Press, 2008.

Latouche, Serge. Bon pour la casse: Les déraisons de l’obsolescence programmée. Paris : Les liens qui libèrent, 2012.

London, Bernard. “Ending the Depression through Planned Obsolescence.” 1932. Web. .

Parikka, Jussi : What is Media Archaeology? Cambridge / Malden : Polity Press, 2012.
Zielinkski, Siegfried: Deep Time of the Media : Toward an Archaeology of Hearing and Seeing by Technical Means, Cambridge / London : MIT Press, 2006.

Rabaté, Jean-Michel. The Future of Theory. John Wiley & Sons, 2008.

Rabaté, Jean-Michel. Crimes of the Future: Theory and Its Global Reproduction. Bloomsbury Publishing USA, 2014.

Viart, Dominique and Laurent Demanze (dir.) Fins de la littérature: Esthétiques et discours de la fin. Paris: Armand Colin, 2012.

Viart, Dominique and Laurent Demanze (dir.) Fins de la littérature: Historicité de la littérature contemporaine. Paris: Armand Colin, 2012.

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    Université de Liège