Actualité
Appels à contributions
Nouveaux regards sur le monologue intérieur

Nouveaux regards sur le monologue intérieur

Publié le par Emilien Sermier (Source : Salah DEGANI)

 Colloque international «Nouveaux regards sur le monologue intérieur» 

(colloque international organisé par l'UR "IMIAC", Tunis, les 23-24 novembre 2017)

 

*Argumentaire* 

  • Remarque : MI est une abréviation de «monologue intérieur» ; DIL est une abréviation de «discours indirect libre»

Dans une société de plus en plus individualiste, où la culture de masse accapare les esprits des consommateurs à travers la monopolisation de l’information, de sa trajectoire interprétative et de la manière d’interagir avec elle, bizarrement, le monologue, manifestation discursive du moi a priori solitaire, en train de «cogiter», de cacher ou de ressasser ses réflexions (ses opinions, ses émotions, etc.) continue à exister, voire à prendre des proportions nouvelles et intéressantes. 

C’est avec la réédition des Lauriers sont coupés, en 1924, que le MI a commencé véritablement à faire débat. Ce mode d’expression narratif a d’abord fait l’objet d’investigation par la critique littéraire. La préface au roman de Dujardin est rédigée par Valery Larbaud. Ce dernier s’y interroge sur cette forme de langage spontanée qu’il associe au "courant de conscience" de James Joyce. Le témoignage de Joyce a ceci de particulier qu’il évoque un mode d’énonciation "continu". Le MI de Dujardin n’est pas intégré à la narration, il est la narration même. C’est un défilement ininterrompu de pensée, né du fantasme du personnage principal du roman. Ce mode d’énonciation passe outre l’autorité du narrateur, d’autant que la première personne du singulier est privilégiée en tant qu’instance s’exprimant sans médiation narrative.  

Dans l’optique de la critique littéraire, le MI est d’autant plus complexe qu’il s’inscrit dans une triple dimension : 

  • La dimension générique : Le MI est une forme qui est née dans le giron de la poésie. Sur le plan de l’expression, ce mode réflexif est le plus souvent associé à la première personne du singulier. Cette instance, scindée en deux entités, dessine un cadre figuratif qui met en scène un je à la fois source et cible de discours.
  • La dimension tonale : le monologue intérieur est une variante discursive qui privilégie essentiellement la tonalité lyrique ou pathétique. Lyrique, en considération de la musicalité du signifiant sonore pour lequel opte le sujet qui tente de chanter son mal-être. Le pathos, quant à lui, est conjoint à un moi tiraillé entre sa destinée et sa volonté. C’est ainsi que l’esthétique dramaturgique prend appui sur cette tonalité pour donner de la densité et de l’intensité à la crise ontologique du sujet.
  • La dimension thématique : l’objet obsessionnel du poète lyrique ou du personnage pathétique est le produit d’une expérience longtemps introvertie, et qui, par moment, prend forme dans un langage destiné au sujet lui-même. De cette introversion procède une crise de valeurs profonde, une crise impliquée dans des formes discursives qui s’interrogent plus qu’elles n’apportent de réponses. 

Le MI est un mode d’expression qui est né de la crise du "parleur" qui se fait à la fois sujet et objet de son propre discours. Le langage intérieur est l’expression d’un état d’esprit qui frôle la schizophrénie. « C’est pourquoi le "je est un autre" de Rimbaud fournit l’expression typique de ce qui est proprement l’aliénation mentale, où le moi est dépossédé de son identité constitutive » (Benveniste 1972). Ce moi est le produit d’une conscience qui tente désespérément de convertir le langage intérieur en une forme d’expression socialement déterminée. Dans cette posture, qui s’apparente à la sémiologie du paradoxe, le procès énonciatif connait une subversion qui n’est pas sans incidence sur les statuts des instances parlantes dans le texte littéraire en général, et dans le roman en particulier. 

Et ce n’est nullement paradoxal que d’apercevoir la capacité du MI à se muer en dialogue dynamique. Le dialogisme, dans lequel le sujet se constitue tout à la fois sujet et objet, anticipe sur une énonciation active avec cet autrui dont parle Gilles Deleuze. C’est par la présence au monde d’un être, qui soit foncièrement différent de je, que le discours dialogique se convertit en discours interactif, ou mieux en dialogue qui confère au sujet, tantôt le statut du locuteur, tantôt le statut de l’allocutaire. 

Mais, en l’absence d’une instance susceptible de donner sens au dialogue, il n’est pas indifférent de « souligner l’originalité d’un dialogisme interne dans lequel le sujet percevant "dialogue" plus ou moins intentionnellement avec lui-même dans ses efforts cognitifs d’appréhension de l’objet » (Rabatel 2003). Ainsi un traitement relatif au langage intérieur à l’épreuve de l’approche cognitive mérite un examen particulier.   

 Il est donc clair qu’à partir de la seconde moitié du XIXème siècle, les dialogues comme échanges de propos «fabriqués» (ou «stylisés») tendent de plus en plus vers le MI (Cf. Jean-Pierre Ryngaert, Introduction à l’analyse du théâtre). A partir du XXe siècle, notamment avec Martin du Gard, les dialogues du roman (tout comme d’ailleurs les dialogues du théâtre) annoncent une nouvelle disposition énonciative de l’échange verbal entre les locuteurs. Le Nouveau-Roman accentue cette démarche à travers une exploitation spécifique du MI dans un objectif clair, celui d’en finir avec le dialogue romanesque traditionnel (celui d’avant Stendhal) avec son scientisme didactique et son «assurance» anti-fictionnelle. Ce travail de déconstruction apparaît principalement à travers «la sous-conversation» de N. Sarraute, et les «soliloques» de Beckett.

Dans Rhinocéros de Ionesco, le MI de Bérenger à la fin de la pièce, où ce dernier s’interroge sur sa situation et sur son identité («Qui suis-je?») renouvelle le dilemme cornélien du théâtre classique par une alternance d’énoncés entre affolement et tentatives de contrôle de soi, d’interrogations et de phrases déclaratives (pour se rassurer), de faiblesse et de grandeur. C’est par son propre discours que l’anti-héros se transforme en «héros» à travers une quête humaine ; le tout dans une confusion émotionnelle optimale. Là, le travail énonciatif (véhiculé principalement par le MI) de brouillage des pistes apparaît à travers cette catharsis d’obédience classique qui rejaillit malgré l’indéniable modernité de la pièce.  

** Axes de réflexion : 

I- Le monologue intérieur, narratif ou discursif, dans le roman

II- Le monologue dans le théâtre moderne et contemporain

III- Le Monologue intérieur dans la poésie 

IV- Les interférences entre dialogue et MI dans la littérature universelle. 

V- Le MI, signe de modernité ou signe de «classicisme» ?

VI- Le MI et dialogisme ; Monologue et parole polyphonique

VII- Le MI et théorie du point de vue

***Questions auxquelles nous essayerons de répondre au cours de cette manifestation scientifique : 

1- Quelles sont les diverses formes du MI telles qu’elles sont apparues dans les œuvres littéraires et artistique, modernes  et contemporaines ? (En quoi le monologue intérieur est-il différent du monologue ?)

2- Est-ce que c’est le seul moyen d’explorer cette «conscience intérieure» du personnage et/ou du narrateur homodiégétique ? Quel est le degré d’efficacité («performativité») de cette forme de discours par rapport à d’autres formes comme le DIL, le monologue narrativisé, le psycho-récit, etc. ?

3- Comment analyser, interpréter et comprendre les rapports complexes qu’entretient le MI avec les diverses formes du discours rapporté, notamment le discours indirect libre (avec ses diverses formes, lui-aussi) ainsi que leurs incidences sur les niveaux narratif, énonciatif et sémantique dans l’œuvre littéraire moderne et contemporaine ?                                                                                                                                                                                                                                   4- Est-ce que le statut du MI se limite uniquement à une «innovation de la modernité littéraire qui{cherche à}décentre{r} la conception du personnage», comme le défend Maxime Decout, article sur fabula.org) ?

5- En quoi le MI est un indice textuel (énonciatif) d’une véritable révolution au niveau de la conception et de la métaphysique et de l’esthétique du roman ?   

6- Le téléphone dans le théâtre moderne (par exemple le cas de : Le Dieu de carnage de Yasmina Reza) permet des dialogues à une seule voix, puisqu’il fait intervenir des personnages absents de la scène et offre, ainsi, une nouvelle conception de l’échange dialogué dans le théâtre contemporain. Comment aborder cet échange ? comment le définir et le comprendre ?

** Modalités de soumission des propositions :

Le colloque se tiendra les 23 et 24 novembre 2017 à Tunis. Nous invitons les chercheurs intéressés à soumettre, au plus tard le 06 juillet 2017, un résumé d’une page A4 (maximum) et d’une notice bio-bibliographique (Nom, Prénom, statut professionnel, affiliation académique, centres d’intérêt, UR/LR de rattache) à l’adresse suivante : monologue.tunis.imiac@gmail.com Les réponses d’acceptation (ou de refus) parviendront aux auteurs le 18 juillet 2017. Les textes, entièrement rédigés, doivent parvenir à la même adresse électronique avant le 22 octobre 2017. La participation des auteurs présélectionné-e-s sera conditionnée par l’envoi du texte, entièrement rédigé, avant le 22 octobre 2017.   

Interligne 1,5 taille 14 Times New Roman, 2.5 cm de marge de chaque côté.

NB. Chaque résumé (puis, chaque texte) sera lu et évalué par deux membres du Comité scientifique. 

**Comité scientifique : Ali Abassi (U. Manouba), Zouhour Ben Aziza (U. Tunis El Manar), Houda Ben Hamadi (U. Carthage), Othman Ben Taleb (U. Tunis El Manar), Radhouan Briki (U. Kairouan), Philippe Daros (U. Paris III-Sorbonne Nouvelle), Gilles Declercq (U. Paris III- Sorbonne Nouvelle), Georges Forestier (U. Paris IV-Sorbonne), Kamel Gaha (U. Tunis El Manar), Chaabane Harbaoui (U. Carthage), Hamdi Hemaidi (U. Manouba), Laurent Jenny (U. Genève), Fadhila Laouani (U. Manouba), Samir Marzouki (U. Manouba), Jacques Moeschler (U. Genève), Michel Murat (ENS Paris, rue d’Ulm), Alain Rabatel (U. Lyon1), Laurence Rosier (U. Libre de Bruxelles), Mustapha Trabelsi (U. Sfax), Farah Zaiem (U. Manouba), Sonia Zlitni-Fitouri (U. Tunis)

**Conférenciers invités : Philippe Daros (U. Paris III); Hamdi Hemaidi (U. Manouba) ; Laurent Jenny (U. Genève) ; Michel Murat (ENS Paris) ; Alain Rabatel (U. Lyon1) ; Laurence Rosier (U. L. Bruxelles) 

**Comité d’organisation : Hela Ben Mbarek (U. Tunis), Zouhour Bessrour (U. Tunis), Houcine Bouslahi (U. Tunis), Salah Degani (U. Carthage), Ahmed Kaboub (U. Jendouba), Salma Mbarek (U. Tunis), Sonia Zlitni-Fitouri (U. Tunis) 

*Coordinateur du colloque : Salah Degani

*** Bibliographie sélective

*Ouvrages de linguistique 

°BANFIELD Anne, Phrase sans parole, théorie du récit et du style indirect libre, Paris 1997, éditions du Seuil.

°BENVENISTE Emile, Problèmes de linguistique générale, 1, 1966, Paris, Gallimard.

°BENVENISTE Emile, Problèmes de linguistique générale, 2, 1974, Paris, Gallimard.

°COHN Dorrit, La Transparence Intérieure, Paris1981, éditions du Seuil, coll. Poétique.

°DUCROT Oswald, Le Dire et le dit, Paris 1984, éditions de Minuit.

°MOESCHLER Jacques et REBOUL Anne, La Pragmatique aujourd’hui, Paris 1998, éditions du Seuil.

°ROSIER Laurence, Le Discours rapporté en français, Paris, 2008, éditions Ophrys.

*Articles de linguistique : 

°AUTHIER Jacqueline, Repères dans le champ du discours rapporté, in L'Information Grammaticale, Louvain 1992, volume 55, numéro 1.

°DENDALE Patrick et COLTIER Danielle, Point de vue et évidentialité, in Cahiers de Praxématique, Montpellier 2003, numéro 41.

°FOREST Robert, Empathie linguistique et point de vue, in Cahiers de Praxématique, Montpelier 2003, numéro 41.

°RABATEL Alain, Les représentations de la parole intérieure, in Langue française, Paris 2001, numéro 10.

°RABATEL Alain, L'effacement énonciatif dans les discours rapportés et ses effets pragmatiques, in Langages,    Paris 2004, numéro 156.

°RABATEL Alain, Dialogisme du point de vue dans les comptes rendus de perception, in Cahiers de Praxématique, Montpelier 2003, numéro 41.

*Critiques littéraires : 

°BARTHES Roland, Essais critique, Paris 1964, éditions du Seuil.

°DUJARDIN Edouard, Le Monologue intérieur, Paris 1931, édition Albert Messein.

°ECO Umberto, L’Œuvre ouverte, traduit de l’italien par ROUX DE BEZIEUX Chantal avec le concours de BOUCOURECHLIEV André, Paris 1965, éditions du Seuil.

°MATHIEU-CASTELLANI Gisèle: La Scène judiciaire de l’autobiographie, Paris 1996, éd. PUF.

°PAVICE, Patrice, La mise en scène contemporaine : origines, tendances, perspectives, Paris, 2009, A. Colin éd., coll. U.

°RAIMOND Michel, La Crise du roman des lendemains du naturalisme aux années vingt, Paris 1985, éd. José Corti.

°RAIMOND Michel et FRAISSE Luc, Proust en toutes lettres, Paris 1998, éd. Bordas.

°RYNGAERT, Jean-Pierre (direction), Nouveaux Territoires du dialogue, Paris, 2005, éd. Actes Sud-Papiers.

°RYNGAERT, Jean-Pierre, Introduction à l’analyse du théâtre, Paris, janvier 2008, nouvelle édition (3eme) révisée et augmentée, éd. Armand Colin.

°SARRAUTE Nathalie, L’Ere du soupçon, Paris, 1956, éd. Gallimard, collection «Folio/essais».