Questions de société
«Nous nous battons pour un enseignement supérieur de qualité», Tchat avec I. This Saint-Jean (SLR) sur Libération.fr (03/02/09)

«Nous nous battons pour un enseignement supérieur de qualité», Tchat avec I. This Saint-Jean (SLR) sur Libération.fr (03/02/09)

Publié le par Bérenger Boulay

Libération.fr 03/02/09: Isabelle This Saint-Jean: «Nous nous battons pour un enseignement supérieur de qualité»

Tchat avec Isabelle This Saint-Jean: la  présidente de l'association Sauvons laRecherche, professeur à l'université Paris XIII, a répondu à vosquestions.

François. Les chercheurs qui restent en France, ceux qui nesont pas partis aux Etats-Unis, ne sont-ils pas les plus médiocres etdonc les plus susceptibles de refuser d'être évalués? Votre mouvementn'est-il pas celui des ratés et des frustrés?

Isabelle This Saint-Jean.Il y a effectivement des tentatives de discrédit sur le mouvement,qu'on retrouve dans le discours du 22 janvier de Nicolas Sarkozy. Ilexplique que ce mouvement serait porté par des gens conservateurs,partisans, et implicitement pas très bons, que les scientifiquesfrançais seraient mauvais, ce sont ses termes, les Prix nobels dont onpeut s'honorer seraient l'arbre qui cache la forêt. Face à ce discoursde mépris, il faut peser les faits: la France a une très bonne positiondans les classements internationaux en terme de Recherches, en dépit demoyens insuffisants. Je vous renvoie à notre site "Sauvons la recherche" pour plus de détails sur ces faits.
 Parailleurs, le problème actuel n'est pas tant le fait que desscientifiques quittent la France en raison de salaires insuffisants.Ils partent, faute de moyens suffisants, mais surtout, notamment lesjeunes, faute de postes. Nous assistons actuellement à une montée enflèche de la "précarité" dans notre secteur de la Recherche et del'enseignement supérieur, et à un recul de l'âge d'entrée sur despostes fixes. L'une des conséquences est que les jeunes se détournentde notre secteur. Cela se voit par la diminution du nombre dedoctorants, (des chiffres du ministère prévoit une baisse de 30% àl'horizon 2017), et par l'effondrement des effectifs en masterRecherche dans certaines disciplines.

Vincent : Est-ceque Valérie Pécresse n'est pas en train de sacrifier l'université etles chercheurs à sa carrière politique ? Elle est en pleine campagneélectorale pour les primaires de l'UMP en vue des régionales. Semontrer intransigeante et répondre par des mensonges au sujet de laRecherche, n'est-ce pas une bonne manière de plaire aux électeurs UMPet de se faire récompenser par Sarkozy ?
 L'attitude deValérie Pécresse est tout à fait dans la continuité de la position quia été la sienne jusqu'à ce jour, à savoir: le refus d'un véritabledialogue et l'apparence de la concertation. Notamment par le biais del'utilisation systématique des commissions dont les membres sont nomméset qui seraient sensées porter la voix de notre communauté. Elle refused'entendre les instances représentatives et les élus, ainsi que lesorganisations. Elle refuse donc d'entendre notre communauté. Lacontestation qui apparaît au grand jour doit être replacée à côtéd'autres événements qui, même s'ils n'avaient pas été portés aux yeuxde nos concitoyens, manifestaient déjà le refus de notre communauté deces réformes qui déstructurent en profondeur nos institutions, et lesvaleurs qu'elles portent.

Doudou21. Quelles garantiespourraient rendre le décret sur le changement de statut desenseignants-chercheurs acceptable à vos yeux?
 Réponse trèsrapide: aucune. Les juristes, les premiers à même d'analyser lestextes, le confirment, il n'y a qu'une seule possibilité: le retraitpur et simple de ce texte, dont l'un des problèmes majeurs est uneatteinte à notre indépendance.

Brelos. Combien d'universités sont en grève à ce jour? Qu'en est-il du soutien des étudiants?
Lechiffrage précis du nombre d'universités en grève est difficile àétablir. La situation évolue très rapidement. Toutefois, lors de lacoordination réunie à la Sorbonne, il y a deux jours, les représentantsde la très grande majorité des universités étaient présents et ont votéla grève, tous ensemble. Concernant l'inquiétude des étudiants, nousl'entendons parfaitement. Si nous sommes amenés à prendre de tellesdispositions, c'est en raison de l'attitude intransigeante de ValériePécresse. Je voudrais également souligner que dans ce mouvement ce sontd'abord nos étudiants et leur devenir qui nous préoccupent. C'est afind'améliorer l'enseignement supérieur universitaire que nous nousbattons, pas pour des privilèges acquis. Nous nous battons pour quetous, quelles que soient leurs conditions sociales, aient accès à unenseignement supérieur de qualité.

Xav07. Quelles sontvos propositions pour redonner à la France sa place mondiale dans laRecherche, ainsi qu'au niveau des classements mondiaux? En effet, lesuniversités françaises sont loin dans les classements (celui deShanghaï) et c'est ce classement que regardent les étudiants étrangersavant de venir en France? La LRU n'est-elle pas un début de réponse àce problème?
 La LRU n'est pas un début de réponse. La LRUest une pièce essentielle dans une série de réformes qui bouleversenotre paysage institutionnel. Le soi-disant "mauvais classement" de laFrance en terme de Recherche doit être vigoureusement combattu. Ils'agit d'une contre-vérité, nous devons nous honorer de notre recherchefrançaise, et ce en dépit des moyens très insuffisants qui lui sontalloués.
 L'utilisation du critère de Shanghaï n'a aucun sens. Ilest incapable de prendre en compte diverses spécificités de notrepaysage institutionnel, en particulier la place essentielle des grandsorganismes de recherche, notamment le CNRS.

Impulse.Nous nous mobilisons aujourd'hui fortement autour des questionsprécises du statut des EC, et de la mastérisation. Toutefois, nefaut-il pas rappeler qu'il ne s'agit là malheureusement que d'un desrouages du mécanisme sordide mis en place par le gouvernement ? Denombreuses autres atteintes à la Recherche publique sont en cours.Nicolas Sarkozy a notamment annoncé pour la fin 2009 la transformationdu CNRS en agence de moyens. Nous allons à mon sens vers unedestruction irréversible des capacités de la Recherche française. Quedeviennent les personnels du CNRS à la fin de l'année ? Nous ne voyonspas nos collègues du CNRS très mobilisés, alors qu'ils devraient dès àprésent s'engager dans un mouvement d'ampleur, non ?
 Effectivement,si aujourd'hui l'éclairage est mis sur ces réformes concernant ledécret des statuts et la masterisation, il est clair que d'autresproblèmes essentiels se posent, en particulier celles des grandsorganismes de recherche, et notamment du CNRS, à côté de la question del'emploi scientifique. La volonté de casser le CNRS, réaffirmée avecune violence inouïe le 22 janvier, par Nicolas Sarkozy, est manifeste.
 Elletrahit une méconnaissance profonde de nos activités et un véritableaveuglement, peut-être idéologique. Les grands organismes de Recherchejouent un rôle essentiel dans notre secteur. La volonté de les détruirerésulte d'une volonté de pilotage des activités de la Recherche.Pilotage qui passe par un financement via l'ANR (Agence Nationale de laRecherche). Ce qui est en cause derrière ce pilotage c'est la volontéde transformer la Recherche en innovation et la volonté de contrôlernos activités. C'est l'indépendance, pourtant essentielle, deschercheurs qui est mise à mal. Cette indépendance est fondamentale pournotre société.

Impulse. D'après les premières informations, est-ce un mouvement qui vous semble avoir la capacité et la volonté de durer ?
 Cegenre de prévision est toujours difficile. La colère et l'indignationest extrême aujourd'hui, elle l'emporte sur ce sentiment un peudépressif qui, jusqu'à ce jour, n'a pas permis de résister à la sériede réformes mises en place depuis plusieurs années. Ces réformesn'étaient pas admises par notre communauté, toutefois nous n'arrivionspas à le faire entendre. Aujourd'hui, nous pouvons reprendre espoir, ilfaut que nous restions fermement établis sur nos "trois pieds", sebattre contre les projets qui touchent le statut desenseignants-chercheurs et ce qu'on appelle la mastérisation, se battrecontre le démantèlement des grands organismes de Recherche, et sebattre pour l'emploi scientifique.
 C'est parce que nous nous battons, non pas pour des privilèges acquis, mais pour des valeurs, que nous allons gagner.
 Lamobilisation que l'on observe aujourd'hui dépasse les clivagespolitiques, contrairement à la volonté de discrédit, notre voix n'estpas partisane, puisque l'opposition contre la modification de nosstatuts va du syndicat autonome, situé à droite dans le paysagepolitique, jusqu'à Sud.
 Par ailleurs, les étudiants se joignentaujourd'hui à nous pour défendre nos universités, notre enseignementsupérieur, et notre Recherche.