Questions de société
«Non à la loi sur la

«Non à la loi sur la "mobilité" des fonctionnaires français» (Indépendance des Chercheurs, 13/07/09)

Publié le par Bérenger Boulay

[ Dossier Loi sur la mobilité des fonctionnaires: un outil pour tailler dans les effectifs ]

La Science au XXI Siècle

Blog international du Collectif « Indépendance des Chercheurs » (France)

Non à la loi sur la « mobilité » des fonctionnaires français ! (I)

Le 11 juillet, la Coordination Nationale des Universités adiffusé une déclaration dénonçant : i) la loi en cours d'adoption surla « mobilité » des fonctionnaires français qui dans la pratique « permettrad'aller encore plus loin que le licenciement » par l'absence d'unevéritable procédure et d'allocations de chômage ; ii) la loi Bachelotqui « instaurera une médecine à deux vitesses » ; iii) lesdécrets en préparation sur la formation et le recrutement desenseignants qu'il est prévu de publier « en plein milieu del'été ». Il en sera d'ailleurs de même de la loi sur les fonctionnairesqui risque d'être définitivement adoptée fin juillet, et qui permettradès la rentrée une vaste campagne de licenciements de fait dans lafonction publique : notamment, au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS)qui se trouve placé dans une situation de restructuration globale parson contrat d'objectifs, et dans les universités dont la situation estanalogue. Le communiqué de la Coordination Nationale des Universités dénonce également les « répressions et manoeuvres d'intimidation » qui accompagnent les « passages en force » de la période récente.

Si,de par le contrat d'objectifs qui met en cause l'ensemble de sesmissions et prérogatives actuelles, le CNRS se retrouve dans lecollimateur de la loi dite « relative à la mobilité et aux parcoursprofessionnels dans la fonction publique », la situation n'est pasdifférente dans les universités. Non seulement ces dernières partagentavec le CNRS nombre de laboratoires, mais elles se trouvent en pleinprocessus dit « d'accès à l'autonomie ».

L'ensemble formé par leCNRS, l'INSERM, l'INRA, l'INRIA, les universités... s'est vu imposerune situation que l'administration pourra qualifier de «restructuration globale ». Il sera alors possible d'appliquer à cesétablissements, dans le cadre de la loi sur la « mobilité », uneavalanche de procédures prétendument de « réorientation » maissusceptibles dans la pratique d'aboutir très rapidement à unegigantesque vague de licenciements.

Comme le souligne à justetitre le communiqué de la Coordination Nationale des Universités du 11juillet, les victimes de ces procédures de « réorientation » -licenciement risquent de ne pas pouvoir bénéficier de l'assurancechômage. Non seulement les administrations ne cotisent pas à cette finpour les fonctionnaires, mais le licenciement de fait que constitue lamise en disponibilité sans traitement ne permettra pas à l'agent de sedéclarer comme ayant été « involontairement privé d'emploi ».

Laloi sur le fonctionnaires sera donc également une véritable machine àbroyer contre l'indépendance de la fonction publique. Quelfonctionnaire pourra, dans de telles conditions, oser s'opposer à desgroupes influents ou à des intérêts privés avec des « entrées » dansles instances dirigeantes ?

Comment les institutionspourront-elles être préservées d'une véritable loi du silence, si toutagent qui « dérange » peut être automatiquement mis en « réorientation» sans même une procédure contradictoire ? Le projet de loi en coursd'adoption par le Parlement français est en réalité une gigantesque machine à sanctions déguisées contre des garants de l'intérêt général.

Voir également, sur ces questions, nos articles du 20 juin, du 3 juillet, du 7 juillet et du 9 juillet.

L'article 40 du Code de Procédure Pénale prescrit notamment :

«Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui,dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crimeou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de laRépublique et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements,procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ».

Mais si « tout fonctionnairequi, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance (...)d'un délit » a cette obligation, l'actuel projet de loi sur lesfonctionnaires est-il compatible avec les protections statutairesqu'exige forcément l'article 40 du Code de Procédure Pénale ?

Toutfonctionnaire peut un jour, dans l'exercice de ses fonctions, découvrirl'existence d'infractions pénales, y compris au sein de sa propreadministration (détournements de fonds, fausses factures, exploisfictifs, financement illégal d'entités politiques...).

Mais quesignifie en réalité l'article 40 du Code de Procédure Pénale, si dansla pratique tout fonctionnaire peut être soudain éloigné sans véritablemotivation de ses activités normales et de son affectation, sanspouvoir même se défendre par une quelconque procédure statutaire ?

Surce plan, le projet de loi dit « relatif à la mobilité et aux parcoursprofessionnels dans la fonction publique » porte directement atteinte àl'apparence d'impartialité, d'indépendance et de bon fonctionnement desadministrations.

La situation est aggravée par le défautd'apparence d'impartialité et d'indépendance que la Cour Européenne desDroits de l'Homme reproche au procureur de la République français dansl'arrêt Medvedyev et autres :

http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?action=html&am...

«Certes, comme le souligne le Gouvernement, les mesures prises enapplication de la loi du 15 juillet 1994 le sont sous le contrôle duprocureur de la République : il en est avisé par le préfet maritime(article 13 de la loi) et il est « informé préalablement par tout moyendes opérations envisagées en vue de la recherche et de la constatationdes infractions » (article 16 de la loi) ; de plus, les intéressésreçoivent copie des procès-verbaux constatant les infractions (ibidem) et, à en croire le Gouvernement, aucun interrogatoire ne peut être mené à bord et la fouille corporelle est exclue. Forceest cependant de constater que le procureur de la République n'est pasune « autorité judiciaire » au sens que la jurisprudence de la Courdonne à cette notion : comme le soulignent les requérants, il luimanque en particulier l'indépendance à l'égard du pouvoir exécutif pourpouvoir être ainsi qualifié (voir Schiesser c. Suisse, arrêt du 4 décembre 1979, série A no 34, §§ 29-30). »

(fin de citation)

Quellesgaranties sont offertes aux citoyens contre le danger d'instaurationd'une véritable loi du silence dans les administrations françaises ?

Leproblème se pose également pour des situations à première vue moins «pointues », mais aux enjeux tout aussi importants et au contenu toutaussi conflictuel.

Quel chercheur pourra étudier et publierlibrement les conséquences pour l'environnement ou la santé d'unproduit industriel, alors que le fabricant de ce produit peut devenirune source de financement de son université, de son organisme derecherche ou de son laboratoire d'affectation ?

Quel enseignant pourra fournir à ses élèves des informations objectives sur le même type de questions ?

Ce n'est qu'un exemple.

Que devient la tant claironnée « liberté académique » ? Il ne semble pas qu'elle puisse survivre au schéma mis en avant par Valérie Pécresse dans le cadre de l'Opération Campus. Voir nos articles du 5 juillet et du 7 juillet.

Que deviendra la notion même d'intérêt général ? Larecherche et l'enseignement supérieur ne peuvent garder leurindépendance que si elle est garantie à l'ensemble des chercheurs etdes enseignants-chercheurs, et pas uniquement de façade à quelques « chefs » proches du pouvoir économique et politique.Mais c'est dans cette dernière direction, que pointe la loi sur lesfonctionnaires que le Parlement français s'apprête à adopter.

Et que deviendront les personnels hospitaliers qui oseront témoigner des effets de la « médecine à deux vitesses » ?En réalité, derrière un discours démagogique à façade « économe » et «productiviste » se cache la pourusuite accélérée de la même politiquequi a conduit à l'actuelle crise économique, et dont les populationspaieront les conséquences.

Quant aux « élites » qui ont provoquécette crise par la politique des deux dernières décennies détruisantl'économie dans les pays jadis « riches », personne ne leur en demandela moindre explication. Ce sont ces mêmes « élites » qui continuent àdiriger la société, à nous « réformer » et à parler de « modernité ».


13.07.2009 Non à la loi sur la « mobilité » des fonctionnaires français ! (II)

Le 13 juillet, le blog du député Jean-Jacques Urvoas abordel'affaire du chef d'escadron de la gendarmerie Jean-Hugues Matelly,envoyé devant un conseil d'enquête suite à un article de recherchequ'il a publié avec deux autres membres du CESDIP, Centre de RecherchesSociologiques sur le Droit et les Institutions Pénales. Le CESDIP, UMR 8183, est à la fois : i) un laboratoire mixte du CNRS(Centre National de la Recherche Scientifique) et de l'UniversitéVersailles Saint-Quentin-en-Yvelines ; ii) un service d'études duministère de la Justice. Le fait que Jean-Hugues Matelly puisse risquer une sanction militaire lourde pour un article publié en tant que chercheurtémoigne de la fragilisation progressive du statut et de la situationde la recherche publique française. Une nouvelle preuve, si besoinétait, de la vulnérabilité croissante du CNRS et des universités dansl'actuel contexte de modification de lois et de statuts dans l'ensembledes services publics et de la fonction publique. A cet égard, le projetde loi dit « relatif à la mobilité et aux parcours professionnels dansla fonction publique » risque de déclencher très rapidement des dégâtsirréversibles.

Le même jour, le Télégramme évoque une « menace de sanction radicale » dans le cadre de la procédure contre Jean-Hugues Matelly. Mais que peut-on dire sur le fond de l'affaire ?

L'annuairedu CNRS répertorie le CESDIP comme étant basé dans un immeuble duMinistère de la Justice à Guyancourt, avec pour tutelle principalel'Université Versailles Saint-Quentin, les deux autres tutelles étantle Ministère de la Justice et le CNRS. Jean-Hughes Matelly figure bien dans cet annuaire, en tant que membre du CESDIP.

Dansdes articles précédents, nous avions souligné les dangers pourl'apparence d'impartialité et d'indépendance des institutions quepeuvent comporter, de notre modeste point de vue, les osmoses de lajustice avec des administrations et des organismes divers susceptiblesd'être des parties dans les litiges.

Leproblème se pose notamment, de notre modeste point de vue, lorsque desjuges exercent les fonctions de professeur associé ou de chercheurassocié. Nous reviendrons sur cette question de fond dans un articleultérieur.

Mais, dès lors queJean-Hughes Matelly a été autorisé à travailler pour une partie de sontemps dans un laboratoire du CNRS et universitaire en tant quechercheur associé, il n'existe aucune raison valable pour qu'il nepuisse pas bénéficier dans cette activité de la même liberté d'appréciation et d'expression que les chercheurs du CNRS et les enseignants-chercheurs.

Or, il est reproché à Jean-Hughes Matelly d'avoir publié avec deux chercheurs du CNRS dont le directeur du CESDIP un article intitulé : « Feu la Gendarmerie nationale », paru dans la revue Pouvoirs Locaux. L'article conclut : « ... c'est véritablement une régression historique qui s'achève sous nos yeux... », mais c'est un point de vue motivé exprimé par des chercheurs. Il est signé : « JEAN-HUGUES MATELLY, CHRISTIAN MOUHANNA & LAURENT MUCCHIELLI (CNRS, CESDIP) ». C'est donc l'indépendance des chercheurs qui se trouve mise en cause.

Dans notre article du 11 juillet,nous avions évoqué le danger général que comporte pour l'indépendanceet les garanties de neutralité des fonctionnaires le projet de loi ditsur la « mobilité » qui risque d'être définitivement adopté ce mois dejuillet.

Une telle loi permettranotamment de court-circuiter de manière expéditive et sans véritablemotivation explicite les actuelles procédures disciplinaires quipeuvent paraître « trop bruyantes » aux détenteurs du pouvoir. Sonapplication sera aidée par la généralisation d'une contractualisationégalement opaque.

Pourquoid'ailleurs l'actuel silence des organisations syndicales de larecherche et de l'enseignement supérieur sur ce projet de loi en coursd'adoption ? Penser que la loi sur la « mobilité » pourrait ne pasd'appliquer aux agents de la recherche et de l'enseignement supérier,dans l'actuel contexte de l'Opération Campus et de démantèlement desorganismes publics de recherche, serait une erreur lourde deconséquences.

Certes, l'article 7du projet de loi sur la « mobilité » se réfère aux situations de «restructuration d'une administration de l'État ou de l'un de sesétablissements publics administratifs », alors que le CNRS est dotéd'un statut d'établissement public à caractère scientifique ettechnologique (EPST). Mais Wikipédia rappelle :

« Si les normes auxquelles sont soumis les établissements publics varient beaucoup de l'un à l'autre, la jurisprudence et la doctrine dégagent deux types principaux d'établissements publics : les établissements publics à caractère administratif (EPA) et les établissements publics à caractère industriel et commercial(EPIC). Cependant, certains établissements publics exercentconjointement des missions de service public à caractère administratifet des missions de service public à caractère industriel et commercial.

(...)

Au-delàdes dénominations multiples énoncées par le législateur, lajurisprudence et la doctrine ne distinguent toutefois que deuxcatégories d'établissements publics :

- les établissements publics à caractère administratif (EPA) ;

- les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC).

(...)

Globalement, les EPA sont soumis presque exclusivement au droit public, tandis que les EPIC sont en grande partie régis par le droit privé.

(...) »

(fin de citation)

Les caractéristiques des EPA étant :

Régime du personnel : Fonctionnaires, agents sous statut ou agents contractuels de droit public.

Règles comptables : Soumission à la comptabilité publique, élaboration d'un budget et d'un compte administratif.

Marchés : Application du code des marchés publics.

Telest bien le fonctionnement d'un organisme comme le CNRS, et c'est àcette situation que correspond le projet de loi sur la « mobilité » desfonctionnaires. Les EPST étant en réalité une sous-catégorie des EPA.

Voirle texte de loi proposé par la Commission Mixte Paritaire del'Assemblée Nationale et du Sénat, et qui devrait être adopté trèsrapidement par les deux Chambres :

http://www.senat.fr/rap/l08-550/l08-5502.html#toc2

Lire encore:

14.07.09 Non à la loi sur la "mobilité" des fonctionnaires français ! (III)


Voir aussi:

Fonction publique, CNRS, universités, services publics... vers la fin des acquis de la Libération ?

Sarkozy, G8, Bilderberg, "sortie de crise" rapide et casse sociale

CNRS et loi de licenciement massif des fonctionnaires

CNRS, loi sur les fonctionnaires et machine à licencier

CNRS, universités, fonctionnaires et liquidation des « classes moyennes »

Non à la loi sur la « mobilité » des fonctionnaires français ! (I)

Indépendance des Chercheurs

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