Essai
Nouvelle parution
Nicolas Boucher, Apologia adversus Audomari Talæi explicationem

Nicolas Boucher, Apologia adversus Audomari Talæi explicationem

Publié le par Camille Esmein (Source : Kees Meerhof)

Nicolas Boucher, Apologia adversus Audomari Talæi explicationem in primum Aristotelis Ethicum librum, ad Carolum Lotharingum Cardinalem et Principem illustrissimum. <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" />

Fac-similé de l'édition de Reims (1562). Préface de Kees Meerhoff, professeur à l'Université d'Amsterdam. Librissimo/Phénix Éditions, 2003.

ISBN 2-7458-1181-9

 

À plusieurs titres, l'ouvrage de Nicolas Boucher (1528-1593) mérite de retenir l'attention du public. L'auteur, peu connu, a eu une carrière remarquable. L'ouvrage, polémique à souhait, porte un témoignage éloquent de la position idéologique de son auteur. Imprimé aux presses de l'université de Reims, dédié au « Cardinal et Prince » Charles de Lorraine, c'est une défense du curriculum universitaire, dans lequel Aristote, tout païen qu'il est, est accepté comme autorité dans le domaine de la philosophie morale.

En le rédigeant à l'âge de 34 ans, l'auteur choisit son camp dans une période tourmentée de l'histoire de France, remercie un puissant mécène pour les bienfaits qu'il a reçus et se rallie à sa cause.

 

L'ouvrage paraît au lendemain d'un événement majeur dont le cardinal de Lorraine fut un des protagonistes : le colloque de Poissy (1561), qui eut lieu en présence du roi Charles IX et de la reine Catherine de Médicis, ultime tentative de réconciliation religieuse. Tentative avortée, qui va précipiter le désastre. Le jeune Boucher, désireux avant tout de se ranger sous la bannière du cardinal, dirige son attaque contre un homme qui allait mourir l'année même de la parution de l'ouvrage, Omer Talon , né vers 1520 en Picardie. Avant de se retirer comme curé de la paroisse Saint-Nicolas du Chardonneret à Paris, ce savant personnage avait passé sa vie au collège de Presles, où depuis les années 40 il avait vécu sous la tutelle financière et morale d'un homme célèbre, mais fort controversé, qui avait consacré sa vie à la réforme radicale de tout l'éventail des sciences : Pierre de La Ramée, dit Ramus (1515-1572).

Or, cette réforme, que Ramus entendait réaliser par l'application d'une méthodologie rigoureuse à toutes les disciplines, impliquait aussi une critique impitoyable des grands classiques de l'enseignement universitaire, Aristote en tête. De plus, cette attitude contestataire, qui remettait en question l'autorité des Anciens les plus vénérés (mentionnons, outre Aristote, Cicéron, Quintilien, Euclide), allait de pair, en l'occurrence, avec des convictions religieuses qui, après le colloque de Poissy, éclatèrent au grand jour : Ramus, humaniste célébré, principal du collège de Presles et « lecteur du roi » (aujourd'hui on dirait « professeur au Collège de France ») grâce en particulier au…cardinal de Lorraine, s'était converti au protestantisme.

Déjà attaqué de toutes parts depuis le commencement de sa bruyante carrière, Ramus se trouvait désormais dans une position très inconfortable. Comme Coligny, il tombera ultérieurement victime de la « boucherie » qui commençait à Paris la nuit de la Saint-Barthélemy.

Ces données fournissent une explication historique pour la date étonnamment tardive de l'attaque. Car le commentaire de Talon, intitulé In primum Aristotelis Ethicum librum explicatio, avait paru à Paris dès 1550, dédié, comme la quasi totalité des oeuvres de Ramus et de Talon, au cardinal de Lorraine.

 

La présente réédition de l'ouvrage de Boucher est une invitation à mieux connaître le paysage intellectuel de cette période mouvementée de l'histoire de France. Boucher donne une réplique détaillée à chacun des chapitres du commentaire de Talon. Il suit celui-ci pas à pas, et attaque du même coup le maître qui l'inspire : Ramus, dont l'oeuvre a connu un rayonnement européen. Cet affrontement entre deux « mentalités » diamétralement opposées mérite bien l'attention de tous ceux et toutes celles qui se passionnent pour les grands débats qui, ensemble, constituent l'histoire de la pensée.