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Neurosciences, théâtre, littérature : approches appliquées

Neurosciences, théâtre, littérature : approches appliquées

Publié le par Perrine Coudurier (Source : PL Patoine)

Neurosciences - théâtre - littérature :

approches appliquées

 

20 mai 2014

16h à 19h

 

Institut du Monde anglophone - Grand amphithéâtre

Sorbonne Nouvelle - Paris 3

5, rue de l'école de médecine - 75006 Paris

Métro Odéon

 

 

La première décennie du XXIe siècle a vu se développer un certain engouement pour l'étude des arts à travers le prisme des neurosciences. Grâce à de nombreux projets et programmes prometteurs, nous pouvons aujourd'hui réfléchir avec des chercheurs internationaux qui ont travaillé concrètement ce croisement interdisciplinaire : David S. Miall, pionnier de la neuroesthétique littéraire, Deborah Jenson, co-directrice du Neurohumanities Research Group à Duke University, Noëlle Batt, fondatrice du Centre de recherche sur la littérature et la cognition de Paris 8, Gabriele Sofia, qui mène des travaux empiriques sur le jeu d'acteur avec une équipe de la Sapienza de Rome, ainsi que de jeunes chercheurs tels qu'Alejandra Rodriguez et Vanille Roche-Fogli, qui tracent de nouveaux liens entre neurosciences et études théâtrales.

 

Cet atelier bilingue est ouvert à tous.

 

PROGRAMME

 

 

16h00 Alejandra Juno Rodríguez Villar (Duke University)

 

I didn’t know this was going to happen.” Calderón and why protagonists don’t have memories

 

Calderón de la Barca occupies, according to most literary critics, the pinnacle of the autos sacramentales theatrical genre. In this type of religious theater, Calderón exalted the mystery of Eucharist as part of the counter-reform propaganda. If the auto sacramental is usually a symbolic and allegoric genre, with Calderón, these plays reached an even higher level of philosophic ontology. One of his most cherished topics was the “Fall of Man,” or the idea of the original sin. This myth represents the foundation of Christian anthropology, and is also, a clear display of the traditional storytelling structure.

 

In the case of "El veneno y la Triaca", Calderón offers a clear account of how the protagonist’s memory (or the lack thereof) is paramount in properly setting any general narrative structure. The conflict must be new to the protagonist, but at the same time, to facilitate the audience’s understanding, the conflict must convey the use of memory to properly explain what is happening on stage. This complex use of memory also explains the typical characters in conventional storytelling structures. The variety of different types of memories helps to advance the plot, while at the same time, balances the entropy and redundancy so that the audience feels engaged by the story.

 

 

16h20 Vanille Roche-Fogli (Université Sorbonne Nouvelle Paris 3)

 

Une approche cognitive de la relation acteur, personnage, spectateur dans Le comédien désincarné de Louis Jouvet

 

Antonio Damasio écrit :

 

« […] notre connexion avec autrui passe non seulement par des images visuelles, du langage et des interférences logiques, mais aussi par quelque chose de plus profond dans notre chair : les actions par lesquelles nous pouvons représenter les mouvements des autres. Nous pouvons effectuer quatre formes de traduction : 1) mouvement réel, 2) représentations somatosensorielles du mouvement, 3) représentations visuelles du mouvement et 4) souvenir. […] Les bons acteurs, bien sûr, utilisent à la pelle ces procédés. » (L'autre moi-même - Les nouvelles cartes du cerveau, de la conscience et des émotions, 2010)

 

Cette réflexion d’un neuroscientifique de renom sur la pratique des acteurs soulève plusieurs points intéressants : l’empathie que ressent le spectateur pour le comédien découle de processus neurobiologiques et ceux-ci peuvent être manipulés consciemment et volontairement par l’artiste. Néanmoins, on pourra remarquer que Damasio décrit ici une relation directe entre l’interprète et le spectateur, alors que nous pourrions considérer qu’il s’agit d’une relation triangulaire, dont il laisse un terme de côté : le personnage. Au regard de ce que les recherches neuroscientifiques récentes nous apprennent sur les mécanismes d’identification, de projection et d’empathie, comment peut-on analyser les rapports de l’acteur à son rôle, du spectateur au personnage, et de l’artiste à son public ?

 

On proposera ici d’observer les modalités de cette relation triangulaire dans Le comédien désincarné de Louis Jouvet, ouvrage issu des notes prises entre 1939 et 1951 en répétition, en tournée, ou après ses cours au Conservatoire, en confrontant ses réflexions sur son expérience aux études récentes sur le système miroir (Rizzolatti), le cerveau projectif (Berthoz) et la conscience de soi (Damasio).

 

 

16h40 Gabriele Sofia (Université Paul Valéry Montpellier 3 / MSH Paris Nord)

 

Le langage incarné du théâtre : hypothèses et données expérimentales

 

Au mois de mai 2010 s'est constitué à la Sapienza Università de Rome un groupe de recherche empirique et interdisciplinaire constitué par spécialistes du théâtre et neurophysiologistes. Ce groupe se propose d'étudier les mécanismes de cognition incarnée (embodied cognition) de l'acteur. Pour ce faire, il a réuni douze acteurs provenant de six troupes théâtrales. Ces acteurs ont été soumis à une série de tests qui avaient pour but d'explorer les mécanismes d'activation motrice relatifs aux processus de cognition linguistique. Ces recherches mettent en jeu une “Théorie du langage incarné” (Gallese et al. 2005; Buccino et al. 2001) selon laquelle l'élaboration linguistique, loin de reposer sur des représentations symboliques abstraites et conceptuelles, impliquerait l'activation du système moteur. Les expériences qui furent conduites avaient pour but de déterminer s'il existait une différence, au niveau de la cognition incarnée, entre des individus impliqués depuis des années dans un processus d'apprentissage de type théâtral et des individus privés de ce type d'apprentissage. Malgré leur caractère encore parcellaire, et bien qu'ils soient à l'évidence susceptibles de changements ultérieurs, les premiers résultats obtenus permettent d'établir une différence statistiquement significative entre les acteurs et les autres individus.

 

 

17h00 Noëlle Batt (Université Paris 8)

 

« …tartine au miel ; so much better in French. »*

 

Il s’agira de croiser l’impact sensori-moteur de la qualité articulatoire des combinaisons de phonèmes dans le texte artistique et les hypothèses avancées par Pierre-Yves Oudeyer selon lesquelles la parole humaine procède de l'évolution par auto-organisation de gestes vocaux et de systèmes de vocalisation, hypothèses testées par la construction de systèmes de neurones artificiels. (cf. Pierre-Yves Oudeyer, Aux sources de la parole. Auto-organisation et évolution, Odile Jacob, sept. 2013).

* V. Nabokov, Ada page 64.

 

 

17h30 David S. Miall (University of Alberta)

 

Annihilation of self”: The cognitive challenge of the sublime

 

Literary expressions of the sublime put unusual stresses on language -- witness Shelley’s letter when he first sees Mont Blanc with its examples  of defamiliarization: disrupted or unusual syntax, the senses being under pressure, and figures that suggest a merging of mind and nature (Miall 2007). Other contexts in which such linguistic phenomena can be found include descriptions of passionate love, meditative and mystic states, various natural scenes such as a stormy sea, or encounters with other media such as music or sculpture.  In challenging the reader with experiences of the poetic sublime language demonstrates capacities which in response to other more normal discourse are likely to be fugitive and hard to detect, and that may rarely gain expression.  In this presentation I discuss one example of a sublime text: the response of Helen Maria Williams to seeing the Rhine Falls as recorded in her Tour of Switzerland (1798): this captures both her description of the Falls and her comments on how it strikes her.  I show that her response is articulated in three phases: first she is overwhelmed, then she senses herself as transformed, and lastly she claims some novel insights.  Interleaved with these phases are comments on the organs of perception, on the body, on time, and on nature.  Given that each of these phases and her comments on specific aspects have cognitive and emotional implications, I consider the psychological and neuropsychological evidence for such processes, and review several empirical studies that help investigate the validity of the kind of claims made by Williams on the impact of the sublime.

 

 

18h15 Deborah Jenson (Duke University)

 

Flaubert, Proust, et le défi de la thérapie neurologique littéraire

 

L’épilepsie “flaubertienne” et la neurasthénie “proustienne” nous ont légué une esthétique de la thérapie neurologique littéraire. J’examine d'abord les constatations de Flaubert qu’il a appris à contrôler ou à modérer ses attaques épileptiques en disciplinant sur la page l'“hémorragie” de la “faculté pittoresque du cerveau.” C’était de par “l’imagination,” il expliquait à Mlle Leroyer de Chantepie et Louise Colet, “que j’ai fait depuis longtemps l’éducation de mes nerfs.” Dans le cas de Proust, figure “homérique” de la mémoire, il faut revoir la description par le docteur Adrien Proust du neurasthénique comme précisément un “malade de la mémoire” pour reconnaître la virtuosité de la mémoire de Marcel comme une auto-thérapie cognitive. C’est le père médecin dans la famille Proust, nous verrons, qui a diagnostiqué le neurasthénique comme un malade qui se voue nécessairement “à la recherche du souvenir perdu.” Dans ces deux exemples d’arrière-fond neurologique d’une esthétique littéraire, nous arrivons à rentrer en dialogue avec les sciences pour considérer la littérature comme un exercice, et même une éducation, de la plasticité neuronale.

 

Organisateurs :

 

Liliane Campos (lilianecampos1@gmail.com)

Pierre-Louis Patoine (pl_patoine@yahoo.fr)

http://litorg.hypotheses.org