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Musique imaginaire et imagination auditive

Musique imaginaire et imagination auditive

Publié le par Emilien Sermier (Source : Hélène Hôte)

Appel à communications

Musique imaginaire et imagination auditive
Journée d’études à l’Université de Rouen,
Organisée par le CÉRÉdI (EA 3229)
Le mercredi 20 mai 2015

 

Présentation

C’est avec une double sourdine que cette journée d’études suggère de jouer, afin d’assourdir non seulement les œuvres musicales mais l’ensemble des phénomènes sonores. Il ne suffira pas d’évacuer l’Opéra ; il faudra se boucher les oreilles.

La mélomanie a fait son temps. Ce que l’on pourrait appeler l’opérocentrisme – le centrage sur l’œuvre – a pu en effet, dans les études littéraires, conduire au ressassement résigné du même échec : toute transposition en mots d’une œuvre musicale pourra toujours être perçue comme décevante, essentiellement défective. On ne cesse de « faire le constat de l’absence de la musique et de la différence inhérente à l’écriture [1]. » Cette littérature est alors toujours le deuil d’une œuvre musicale dont on confirme le caractère ineffable. Mais ne peut-on pas accorder aux mots le pouvoir de suggérer des sons musicaux qui feraient l’objet d’une écoute ? L’enjeu ne serait dès lors plus celui d’une transposition d’art, d’une hybridation mais simplement de l’écriture d’une perception. Nous nous proposons d’abandonner un instant le confortable siège de l’Opéra, à partir duquel l’œuvre apparait comme le centre tangible de la musique. La musicologie a dû, depuis quelques temps, se détourner de ces « objets fixes [2] » que sont les œuvres pour s’intéresser à l’écoute et à l’auditeur. Peut-être qu’en tendant l’oreille vers les musiques imaginaires, les études littéraires pourraient vaincre leur « peur ekphrastique [3] » : devant des œuvres inexistantes, l’absence de la musique ne condamnerait plus l’écriture ni la lecture, qui toutes deux se devraient alors de « chercher la musique ». Nous voudrions examiner des concerts d’œuvres inaudibles, parfois célèbres – on pense à la sonate de Vinteuil –, des programmes faits de pièces entièrement fictives dues à des compositeurs réels ou inventés, qui n’ont d’autre mode d’apparition qu’imaginaire ou littéraire. Ne pas s’arrêter de penser la musique quand l’œuvre n’existe pas, plus, ou pas encore : tel sera le premier versant de cette journée, faisant écho, aussi, aux réflexions littéraires sur les « textes fantômes [4] ».

Chacun fait l’expérience de la puissance de l’imagination auditive, et ces musiques inaudibles la stimulent indéniablement. Il conviendrait certainement de penser notre expérience auditive comme un continuum au sein duquel les sons entendus ne sont que des exceptions. Notre tête est pleine de vers d’oreilles, hantée par tant de sons intérieurs. Mieux, l’imagination auditive ne se situe pas dans un après de l’audition – elle ne serait que mémoire – mais participe de la perception elle-même [5]. Une fois sortis de l’Opéra, nous aurons donc à nous boucher les oreilles devant toutes les sirènes du son. Bien que la dimension auditive de l’imagination ait pu être soulignée aux siècles passés, notamment sous la plume de scientifiques travaillant sur l’hallucination ou sur les maladies mentales, « aujourd’hui encore, contrairement aux arts visuels, qui s’appuient sur un questionnement préalable des relations entre le regard et l’imagination (voire du regard lui-même ou de l’imagination seule), la musique a été et reste très souvent analysée en dehors de toute réflexion perspicace sur les liens entre écoute et imagination [6]. » Récemment, les neurosciences [7], la musicologie cognitive [8] ou la pédagogie musicale [9] ont prêté attention à ces sons intérieurs, dans le prolongement des sound studies anglo-saxonnes [10]. Mais il manque à l’imagination auditive une reconnaissance théorique dont pourraient bénéficier aussi bien la musicologie générale que les études littéraires : car dans cette perspective la lecture d’un roman n’est pas si éloignée de l’écoute d’une symphonie ou d’une chanson, elles qui ne cessent de nous faire imaginer, anticiper ou nous remémorer intérieurement des sons.

Bien des liens restent ainsi à tisser entre théories de l’écoute (M. Kaltenecker, P. Szendy…), de la lecture (P. Bayard, M. Macé…) ou encore du regard (B. Vouilloux, G. Didi-Huberman…) dans le rôle qu’elles accordent à l’imagination ; et bien des disciplines à convoquer autour de cette manière de penser notre expérience d’auditeur en dehors de la seule présence sonore de la musique, au cœur de notre intimité auditive, là où la littérature n’a rien à envier à la musique.

Propositions de communication

Vos propositions sont à envoyer à l’adresse damien.dauge@gmail.com, sous la forme d’une présentation de 300 mots assortie d’un titre provisoire et d’une courte bio-bibliographie, avant le 20 janvier 2015.
Les communications dureront maximum 30 minutes. Une publication en ligne sera par la suite envisageable, dans la collection numérique du CÉRÉdI http://ceredi.labos.univ-rouen.fr/public/?actes-de-colloques-et-journees-d.html.

Comité scientifique

Jean-Louis Jeannelle (Professeur, Université de Rouen)
Peter Szendy (MCF HDR, Université Paris Ouest Nanterre La Défense)
Damien Dauge (Doctorant, Université de Rouen).

Responsable

Damien Dauge damien.dauge@gmail.com

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[1] Hoa Hoï Vuong, Musiques de roman. Proust, Mann, Joyce, Bruxelles, PIE-Peter Lang, 2003, p. 275.

[2] « Par-delà l’écoute, la démarche […] consiste à chercher la musique, l’entendre devenir telle dans et par les pratiques musicales. Cette perspective a été ouverte par les travaux d’Antoine Hennion dans une approche qui visait à renverser le rapport à l’objet fixe, dont la partition ou le disque tendent à donner pour acquise la présence de la musique, alors que la musique est ce qui surgit (éventuellement) de ces objets, et de nous-mêmes, en s’appuyant sur eux. » David Vandiedonck et Émilie Da Lage-Py, « Présentation », MEI, no17, « Musique. Interpréter l’écoute », L’Harmattan, 2002, p. 7.

[3] L’expression est employée par Peter Szendy, à propos des images, dans À coups de points. La ponctuation comme expérience, Paris, Les Editions de Minuit, 2013, p. 118.

[4] Voir le tout récent numéro de la revue Fabula-LHT, « La Bibliothèque des textes fantômes », no 13, novembre 2014 : http://www.fabula.org/lht/13/.

[5] « L’hallucination est une modalité indissociable de la perception, elle n’en est pas un dérèglement ou une exception. Elle en est, sous des formes diluées, la règle. » François J. Bonnet, Les Mots et les sons. Un archipel sonore, Éditions de l’éclat, 2012, p. 122.

[6] Renaud Meric, Appréhender l’espace sonore. L’écoute entre perception et imagination, L’Harmattan, Musique-Philosophie, 2012, p. 33.

[7] Voir notamment Oliver Sacks, Musicophilia. La musique, le cerveau et nous (2009) et le récent L’Odeur du si bémol. L’univers des hallucinations (2014) parus au Seuil dans la collection « La couleur des idées ».

[8] Voir l’ouvrage de David Huron, Sweet anticipation. Music and the psychology of expectation, Cambridge, MIT Press, 2006.

[9] Pour séparer l’imagination de son étymon iconographique, le pédagogue américain Edwin Gordon (1927-) a baptisé audiation sa dimension auditive. Il en a surtout précisé l’importance dans l’apprentissage de la musique.

[10] Le journaliste et compositeur britannique David Toop est ainsi l’auteur d’un beau livre sur l’écoute des arts non-sonores : Sinister resonance : the mediumship of the listener, Continuum Pub Group, 2010.