Christophe : résonances de l'inconnu - entretiens avec jean cléder
quatrième de couverture :
Dans la chanson française le personnage de Christophe occupe une position intrigante et difficile à fixer : qu’y-a-t-il de commun en effet entre les premiers succès des années soixante, que tout le monde fredonne aujourd’hui encore, et les recherches sonores plus intimes des derniers albums ? qu’y a-t-il de commun entre l’admirateur de David Lynch, le lecteur d’Antonin Artaud et celui qui « construit des marionnettes / avec de la ficelle et du papier » ? Peu de chose dirait-on.
Pourtant, à reprendre l’ensemble de l’œuvre, on voit se dessiner de plus en plus nettement — « dans le profond des horizons lointains » — le profil d’un fantôme écarté, d’un dandy engagé dans une quête interminable — de la femme en bleu, d’images plus intenses, d’un mélange sonore plus exact, de nouveaux commencements... Ce qui rend son approche délicate, c’est que le travail de Christophe se porte naturellement vers les marges des territoires proprement cartographiés : aux limites de la chanson et de l’expérimentation sonore, aux confins de la musique et du cinéma, à la lisière qui sépare la vérité du jeu commence un monde qui ne ressemble à rien.
À la suite d’un concert au printemps 2003, nous avons voulu rencontrer le « beau bizarre » afin de mieux comprendre sa façon de vivre dans la musique et dans les images. De concerts en entretiens tardifs, de dîners réussis en rendez-vous manqués, de digressions hasardeuses en maximes bien frappées s’est construit par fragments l’univers esthétique d’un artiste autodidacte, complexe, aussi exigeant pour lui-même qu’il peut se montrer désinvolte à l’égard du dehors.
Le présent volume est la transcription de nos échanges. Nous avons souhaité qu’un parcours photographique participe à l’élaboration de cet (auto)portrait, et qu’un montage sonore restitue la voix métallique et feutrée du chanteur, mais aussi les accents et le rythme d’une parole singulière.
Avant-propos :
Le tissage et les reprises
De Christophe avant de commencer ce travail avec lui, nous connaissions cette façon étrange de parler — peu — à la télévision. Nous avons décidé d’insister dans cette voie de la parole, en pensant qu’il est utile, et juste aussi de demander à un artiste de dire lui même son expérience, avec la liberté d’insister sur un événement, d’en taire un autre, la liberté donc de donner à cette expérience la forme que ses mots auront choisie : il nous semble aussi que de cette façon la vie, invention de la parole, devient un élément de l’œuvre.
On s’écarte donc ici d’emblée des prétentions « révélatrices » de certaines biographies d’artistes. L’enjeu de ces entretiens pour nous était double : il s’agissait d’abord de découvrir l’univers esthétique d’un artiste étrange et attachant — comment il travaille, ne travaille pas, « photographie sans appareil photo » — en s’accordant le temps de la découverte. Il s’agissait ensuite d’assister à l’élaboration d’une sorte de récit, pour comprendre en l’écoutant comment l’artiste se représente et représente son expérience : car nous pensons qu’il y a dans la parole une vérité qui n’existe pas en dehors de la parole, et qui ne peut se vérifier ailleurs.
Or la parole de Christophe frappe tout d’abord par son étrangeté, son indiscipline : les premiers mots d’une phrase contiennent souvent des allusions à plusieurs histoires, parmi lesquelles il choisit de développer un fragment, avant de revenir au thème principal, lequel finit par s’égarer au hasard des bifurcations successives. Cette façon de cheminer laisse dans l’ombre des événements, des mécanismes surtout sur lesquels nous lui avons demandé de « revenir » lors des séances suivantes. Au gré de ces reprises et de ces retours, nous avons assisté au tissage d’une pensée dont la cohérence et la subtilité ne se manifestent pas tout d’abord, mais seulement — pour reprendre un mot qu’il aime bien — en « récompense » d’un effort d’insistance.
Editions Ennoïa : informations : francoise.guicheney@wanadoo.fr