Questions de société

"Mouvement universitaire-médias: la rupture, elle est là" (Marianne 2 15/05/09) - à propos du débat à l'EHESS sur la médiatisation du mouvement universitaire

Publié le par Bérenger Boulay

Voir aussi: Grand Débat de l'EHESS : “La médiatisation du mouvement universitaire” (14/05/09)

et La Médiatisation du mouvement universitaire (extraits des débats du 14 mai 2009 à l'INHA)

Mouvement universitaire-médias: la rupture, elle est là

http://www.marianne2.fr/Mouvement-universitaire-medias-la-rupture,-elle-est-la_a179635.html

Régis Soubrouillard | Vendredi 15 Mai 2009

Sur fond de fracture entre milieux journalistiques et universitaires,l'Ecole des hautes études en sciences sociales organisait un débat surle thème de la médiatisation du mouvement universitaire en présence dedivers acteurs.

Le« journal de référence » conspué, boycotté parfois, des blogs dejournalistes qui connaissent un gros succès d'audience: la couverturemédiatique du mouvement universitaire qui dure depuis le mois dejanvier apparaît comme un profond révélateur de la fracture entremilieux journalistiques et milieux universitaires mais aussi de lacrise traversée par les médias.

L'occasionde s'interroger sur la médiatisation du mouvement. Un débat étaitorganisé ce jeudi à l'initiative de l'Ecole des Hautes Etudes enSciences Sociales en présence de journalistes et universitaires acteursdu mouvement.

Sociologuedes médias, Cyril Lemieux a d'emblée posé les termes du débat enpointant les raisons de cette rupture. Du côté des journalistes, uneforme d'anti-intellectualisme, un nombre croissant de journalistesissus des Instituts d'études politiques moins redevables aux« humanités », la complexité du mouvement,et une augmentation du turn-over dans les rédactions responsable d'unesuperficialité des traitements et surtout d'un recours plus fréquentaux sources officielles. Du côté des universitaires, Cyril Lemieuxexplique que la disparition de l'intellectuel au profit d'un statutd'expert au service des médias a fait de ces derniers des « clients »du journaliste. Enfin, le sociologue a pointé les responsabilitéspolitiques, notamment du Parti socialiste « qui n'a pas obligé àune reprise de ces questions ce qui traduit une méconnaissancecroissante des milieux intellectuels par les politiques ».


Une faillite collective du traitement

Lesjournalistes présents refuseront tous, sans exception, d'entrer dansune théorisation des explications. Un refus qui, sur le fond, en ditdéjà beaucoup sur leur capacité et leur volonté à interroger leurspropres pratiques. Le débat se limitera donc à des commentaires sur lacouverture du mouvement par les uns et les autres.

Journaliste au Monde,c'est Luc Cédelle et son journal qui seront rapidement mis en cause.Sur la défensive, le journaliste avoue ne pas avoir été surpris par laqualité ni par la quantité du traitement mais bien plus par la mise encause de la couverture du mouvement par son journal: « parce quej'ai fait un papier qui a déplu, je deviens le pire journaliste de laterre. J'ai l'impression que l'on devient des notables sur qui on peuttaper facilement parce qu'on est au Monde. Le mouvementsocial se sent trahi, humilié, bafoué par nos articles et se positionnealors comme ennemi. Il y a eu un emballement anti-médiatique, anti-LeMonde».

Journaliste à Libération, Sylvestre Huet, dont le blog a été un puissant relais du mouvement regrette surtout le peu d'efforts de pédagogie des journaux etl'absence de décryptage de la novlangue et des mensongesgouvernementaux.

Jade LindGaard qui a suivi le mouvement pour Médiapart parle d'une « faillitecollective à rendre compte de ce mouvement. Ce n'était pas un mouvementcomme les autres. Son traitement était difficile parce qu'il étaitdécentralisé, il n'y avait pas de porte parole officiel, lacommunication gouvernementale était assez opaque et le mouvementuniversitaire était protéiforme. Mais c'est ce qui rend ce mouvementintéressant. Son traitement me semble symptomatique de la crise d'uneculture professionnelle dans les médias ».

Beaucoup de cuisine interne

A la fois « attachée de presse », selon ses propres termes, etobservatrice du mouvement, Valérie Robert, maître de conférences àParis 3 estime que ce rapport de forces révèle « une lutte symbolique entre journalistes et universitaires pour le monopole de l'interprétation des phénomènes ». Une question intéressante qui aurait élevé le niveau de la discussion. Critiquer Le Mondeest une chose -utile, nécessaire à n'en pas douter-, s'interroger surles raisons qui ont amené ce journal à s'éloigner, avec le temps, desmilieux universitaires pour se rapprocher des élites sociales etpolitiques du pays eut été un débat bien plus fécond.

Demême que s'interroger sur ces journaux et magazines qui assurentvouloir conserver des liens avec les milieux de la recherche ,notamment en sciences humaines, et se précipitent sur le classement de Shanghaï, outil de propagande gouvernemental du pouvoir chinois destiné, à sa création, à un usage essentiellement interne afin de « motiver » les universités chinoises.
Là encore, rien. La discussion reprendra sur la tambouille médiatique,pas inintéressante mais relevant d'un entre-soi, aussi pathétique querévélateur.


Une économie néolibérale des savoirs, avalisée par les médias

Sylvestre Huet révélera ses demandes répétées d'avoir accès aux pages « événements » ou aux dossiers de Libépour permettre une couverture plus exhaustive du mouvement. Refusrépétés de la rédaction en chef à une exception près. C'est ainsi queson blog est devenu l'épicentre du mouvement. La conclusion sera pluspolitique. Ainsi le journaliste de Libération estime-t-il que « ValériePécresse est là pour mettre en oeuvre le programme de la droite enmatière d'universités. Ils veulent vider les amphis de scienceshumaines et sociales et ils se foutent que les concours n'aient paslieu. Au contraire, cela détournera les futurs étudiants de cesfilières. C'est un choix politique pensé, assumé qui correspond, poureux à une analyse des besoins de la société ».

C'est la théorisation de l'inutilité de certains savoirs qui est ici mise en avant, soit la mise en pratique d'une « économie néolibérale des savoirs », largement suivie dans les faits par les milieux médiatiques -et pas seulement audiovisuels.

Peut-être aurait-il fallu commencer par là ?