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Nouvelle parution
Mosaïques n°2: Les Idées reçues. Rigidité et fécondité d'un paradigme

Mosaïques n°2: Les Idées reçues. Rigidité et fécondité d'un paradigme

Publié le par Bérenger Boulay (Source : Raymond Mbassi Atéba)

Mosaïques

Revue du Département de Langue Française et Littératures d’Expression Française de l’École Normale Supérieure de l’Université de Maroua 

N°2: Les Idées reçues. Rigidité et fécondité d'un paradigme

L'Harmattan, 2012.

ISBN : 978-2-296-99072-2 • juin 2012 • 234 pages

Les réflexions transdisciplinaires de ce numéro réévaluent les idées reçues pour en établir les permanences, les rémanences ou les dissidences dans la pensée contemporaine. Tout en interrogeant les consensus théoriques ou méthodologiques, ou alors en démontrant la fécondité des lieux communs et des stéréotypes dans les discours des sciences et des arts, elles invitent à explorer l'esprit d'ouverture et l'indocilité épistémologiques caractéristiques du sujet pensant postmoderne.
 

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Les Idées reçues. Rigidité et fécondité d'un paradigme

Préjugés, clichés, images allusives, allégories, représentations, topoï, traditions, prêts-à-porter de l’esprit, stéréotypes, doxa, dogmes, consensus théoriques, mythes, parémies – populaires, scientifiques et publicitaires –, prophéties, etc., sont autant de concepts qui structurent le champ sémantique des idées reçues et rappellent le poids de l’intertextualité, de l’intermédiarité et des causalités idéologiques, philosophiques ou épistémologiques à l’oeuvre dans le quotidien des groupes sociaux. En tant que phénomène intermédial ou transmédial donc, les idées reçues transitent par divers codes communicationnels ou sémiotiques – oral, écrit, iconique, etc.

Les idées reçues ont une histoire – une histoire des idées reçues, pourrait-on dire –, faite de cycles et de recyclages plus ou moins longs, comme l’histoire-se-faisant, elle-même. Elles s’alternent, se télescopent, meurent et renaissent dans l’inconscient collectif, dans un processus de rémanence qui signe la permanence du passé dans le présent. Elles s’inscrivent sur l’axe syntagmatique du temps où elles accèdent à l’achronie ou à l’actualité. Leur avenir dépend cependant de leur réception contemporaine.

Les idées reçues s’inscrivent sur l’espace. Elles peuvent prétendre, à la manière des constellations mythographiques – comme le mythe adamique et ses variantes –, à l’universalité. Elles peuvent être contextuelles, régionales, nationales, etc. Elles émergent d’une classe sociale, d’un courant de pensée, d’un genre, pour féconder des dogmes circulants ou dominants à plus ou moins grande échelle. Elles orientent insidieusement ou explicitement l’idiosyncrasie des peuples, les habitudes civilisationnelles, les rapports entre la spécularité et l’altérité, les croyances, l’agir humain, les postures et positionnements énonciatifs. Elles constituent ainsi des moments et des paradigmes scientifiques importants au nom de leur épaisseur symbolique dans les projections – utopies – ou rétrospections – uchronies – du monde.

Les idées reçues sont fatalistes, totalitaires, conservatrices, robustes, rétives, rébarbatives. Elles ont la peau dure, dira-t-on, pour montrer combien il est difficile de se départir de leur emprise. Elles résistent au temps. Par exemple, depuis des millénaires, il est reçu de parler de races humaines en termes de couleurs : Blancs, Jaunes, Noirs, Rouges. Aucune de ces couleurs ne désigne pourtant une entité humaine existante. On ne cessera jamais de dénoncer leur caractère stigmatisant et leurs conséquences néfastes sur les relations entre les hommes. La contemporanéité assume cependant cet héritage culturel sans réinterpréter à son compte cette pensée cosmogonique, finalisée, quoique consensuellement nocive.

Avant les Temps Modernes, en effet, la science fut l’objet de dogmes et d’images allusives. Ce qui autorisa le compagnonnage malsain de trois esprits : l’esprit scientifique, l’esprit dogmatique et l’esprit romantique. L’ancien esprit scientifique qu’illustrèrent en leur temps Galilée, Copernic, Descartes, Fontenelle, d’Alembert, Hegel, Kant, etc., faussa compagnie à l’esprit dogmatique, tout en créant de nouveaux cycles de dogmes autour de la rationalité. Le nouvel esprit scientifique qu’incarnent Auguste Comte, Louis Pasteur, Pierre et Marie Curie, Claude Bernard, Alain, Gaston Bachelard va prendre ses distances vis-à-vis de l’esprit romantique en déconstruisant les images et les représentations servies par une certaine mythologisation de la réalité pour élaborer les voies d’une réflexion enracinée dans l’expérience voire l’expérimentation. C’est ce nouvel esprit scientifique, sceptique et critique, qui va retourner dans tous les sens toutes les causalités spéculatives du monde moderne. Il s’agit de stopper l’hémorragie de la spéculation scientifique ou du « bricolage intellectuel », y compris chez ceux-là mêmes qui utilisent les lieux communs et les prêts-à-porter de l’esprit pour fabriquer les savoirs ou les anti-savoirs. Là émerge un autre dogme, plus despotique encore : celui qui consiste à tout relativiser. Si, en effet, rien n’est absolument vrai et que la vérité qui émane parfois des facteurs complexes n’est que relative, tout relativiser n’est-il pas finalement une autre idée reçue ?

Les idées reçues sont ballotées entre réinterprétations, réécritures, actualisations, approximations, contradictions, paradoxes, doutes et suspiscions. Ce qui est remis en question, ce n’est pas tant ces idées elles-mêmes pour leur véracité ou la part d’erreur qu’elles charrient. C’est leur finalité, leur empire et leur emprise sans cadre théorique valable. En effet, en marge de l’essor remarquable des formalismes, le champ épistémologique des arts, des lettres et des sciences humaines reste le cadre privilégié et de survivance des positions éminemment dogmatiques, comme on le voit en morphosyntaxe avec les marqueurs de la subordination (Evouna), en linguistique avec le signe saussurien (Fobah), en sociologie avec une certaine prégnance du localisme dans l’analyse des phénomènes sociaux en contexte global (Leka Essomba). Les convictions y prennent donc le pas sur la démonstration ; les impressions y gouvernent l’expérimentation ; l’illusion du consensus théorique y musèle la réflexion originale et les contours des concepts opératoires s’y apparentent aux voûtes sinueuses des cathédrales idéologiques. Sitôt esquissée, la réflexion scientifique ou la création artistique révèle une subjectivité confrontée, non pas pour les reformuler, mais pour devoir s’y plier, à une sorte de tout prêt-à-penser fait d’exceptions éparses hâtivement érigées en règles.

Mais faut-il s’adosser uniquement sur la rationalité cartésienne pour comprendre et interpréter les phénomènes, cette rationalité plus soucieuse de sa logique que de sa vérité ? N’y a-t-il pas lieu de la revoir et de la corriger par une autre plus soucieuse de la valeur philosophique de certaines formes symboliques (Mviadamba), qui peut prendre des formes contextuelles, comme on le voit avec la rationalité africaine (Biakolo) et qui ne peut véritablement accéder à la vérité qu’au prix d’un effort de synthèse entre Raison et Foi (Tchimabi)? Il y a encore, aujourd’hui, contre l’objectivité et l’innovation ployant toujours sous le poids d’une certaine tradition, le danger permanent du parti pris pour la conjecture, les clichés et préjugés touchant au genre (Menye Nga), ou reconduits par une certaine esthétique des genres (Amarie), le préfabriqué et les idées préconçues sur l’altérité (Saidi, Amabiamina), le stéréotypage et les images allusives (Ebehedi King). La déconstruction du discours doctrinal passe alors par une remonétisation de certaines idées circulantes (Tonye) ou par une réinvention poétique de la citoyenneté à l’échelle mondiale (Atangana Kouna).

Les réflexions transdisciplinaires qui composent ce numéro de Mosaïques, dont la plupart revêtent un caractère herméneutique résolument apocryphe ou iconoclaste, réévaluent les idées reçues pour en établir les permanences, les rémanences ou les dissidences dans la pensée contemporaine. Tout en interrogeant les consensus théoriques ou méthodologiques, ou alors en démontrant la fécondité des lieux communs et des stéréotypes dans les discours des sciences et des arts, elles invitent à explorer diversement l’esprit d’ouverture et l’indocilité épistémologique caractéristiques du sujet pensant postmoderne.

Raymond Mbassi Atéba