Questions de société
Monsieur l'inspecteur, soyez loyal, mais non servile ! (Lettre d'A. Refalo, instituteur désobéissant, 23/03/09)

Monsieur l'inspecteur, soyez loyal, mais non servile ! (Lettre d'A. Refalo, instituteur désobéissant, 23/03/09)

Publié le par Bérenger Boulay

Voir aussi:  Lettre un instituteur à son inspecteur je refuse obéir! par A Refalo 6/11/8

M. Alain REFALO Colomiers, le lundi 23 mars 2009

Ecole Jules Ferry, 31770 COLOMIERS

à

Inspection de l'Education Nationale, 17ème circonscription de la Haute-Garonne

31770 COLOMIERS

Objet : Monsieur l'inspecteur, soyez loyal, mais non servile !

Monsieur l'inspecteur,

Mardi 10 mars, pour la cinquième fois depuis le mois denovembre, vous êtes venu dans ma classe pendant une heure sur le tempsde l'aide personnalisée. Et pour la cinquième fois, vous avez puconstater que je faisais bien ce que je vous avais écrit le 6 novembre,à savoir une activité théâtre pour tous les élèves, avec l'accordexplicite des parents. Combien de visites de contrôle vous faudra-t-ilencore pour vérifier que je ne mets pas en oeuvre le dispositif del'aide personnalisée dans le temps extra-scolaire ?

Je viens de recevoir votre troisième rapport de visite.J'avais souligné dans votre premier rapport du 12 décembre lesinexactitudes qu'il contenait, tout en acceptant le constat dedésobéissance. Vous ne m'avez pas répondu sur les points que jecontestais. Je n'ai pas estimé utile de réagir à votre deuxième rapportpuisqu'il m'a été communiqué le mercredi 21 janvier lors de l'audienceà l'Inspection Académique, audience au cours de laquelle il m'a étésignifié une sanction financière sous la forme d'un retrait de salairedeux jours par semaine à compter du 5 janvier.

A la lecture de ce troisième rapport, je crois de mondevoir d'attirer votre attention sur ce que je considère comme uneattitude inacceptable vis-à-vis d'un instituteur de la République. Jesuis profondément scandalisé par vos commentaires qui vont au-delà dela mission d'observation qui vous a été confiée.

Je cite : « A l'issue de ce nouveau contrôle, jeconstate que Mr Refalo ne s'applique toujours pas dans son serviced'enseignement à mettre en oeuvre les conditions nécessaires permettantde dispenser véritablement une aide personnalisée aux élèves de saclasse rencontrant des difficultés dans leurs apprentissages ».(rapport de visite du 13 janvier).

Je cite : « Cette attitude délibérée manque désormaistotalement à ses devoirs professionnels, en qualité de professeur desécoles et atteste d'un refus caractérisé de remplir correctement lamission qui lui est confiée auprès des élèves ». (rapport de visite du13 janvier)

Je cite : « Au terme de cette troisième visite, jeconstate que malgré mes rappels et recommandations réitérés, et ce dansune volonté clairement communiquée de vous convaincre du caractèreinadapté de votre attitude professionnelle, tant vis-à-vis de vosdevoirs et obligations de fonctionnaire que vis-à-vis de l'intérêt mêmedes élèves et des parents de votre classe, je constate et prends actede votre nouveau refus de faire évoluer d'une quelconque manière laposition que vous avez prise ». (rapport de visite du 10 mars)

Je cite : « Ces dispositions maintenues contribuentautant aujourd'hui que précédemment à perturber le bon fonctionnementde l'école, à mettre en cause la cohérence et l'image du service publicauquel vous appartenez et auquel vous vous devez d'apporter votreentière contribution professionnelle. » (rapport de visite du 10 mars)

Je cite : « Au vu du nouveau constat de ce jour, je nepeux que conclure à votre refus réaffirmé de ne pas vouloir vousconformer aux obligations de service qui sont les vôtres en qualité deprofesseur des écoles ». (rapport de visite du 10 mars)

Je récuse absolument les jugements sans appel que vouscroyez pouvoir porter sur mon travail d'enseignant, qui n'ont d'autrevisée que de le discréditer et de le stigmatiser et qui, en définitive,voudraient me déconsidérer et me déshonorer. Les propos accusateurs quevous tenez à mon encontre sont totalement excessifs, outranciers,in-justifiés, in-sensés, in-acceptables. Ils procèdent d'un acharnementvraiment déraisonnable à vouloir me dénigrer.

L'ensemble de ces commentaires vise à instruire uneculpabilisation de l'enseignant en essayant de le convaincre qu'il faitmal son travail, qu'il nuit à ses élèves et au fonctionnement duservice public. Il s'agit d'une forme de pression morale qui ne peutque chercher à déstabiliser l'enseignant qui s'efforce de raisonner, depenser et d'agir pour ne pas être complice du démantèlement du servicepublic d'éducation. Les enseignants, y compris les enseignantsdésobéisseurs, ont droit à être respectés dans leur intégritéprofessionnelle. Par ces jugements que vous portez sur mon travail, àcontre-pied de l'ensemble des rapports que mes inspecteurs ont produitsdepuis le début de ma carrière, vous me condamnez sur le planprofessionnel et vous alimentez les éléments à charge qui permettent àl'inspecteur d'académie de prendre des sanctions par ailleurstotalement disproportionnées.

À aucun moment, à l'occasion de vos visites, vous nevous êtes intéressé à l'ensemble du travail que j'ai mis en oeuvre dansle cadre des 24h hebdomadaires obligatoires. Comment juger de laqualité ou de la « nocivité » d'un travail sur la base de l'observationd'un dispositif situé par ailleurs sur un temps extra-scolaire etsoumis à l'approbation des parents ? Il s'agit là d'une grave dériveadministrative qui ne peut qu'attiser notre révolte.

Pourquoi donc, Monsieur l'inspecteur, tenez-vous àexprimer autant de malveillance à mon égard ? Comment pouvez-vous vousrefusez à ce point à comprendre le sens de ma démarche ? Pensez-vousvraiment que c'est en vous enfermant dans une attitude entièrementnégative que vous favoriserez une issue constructive au conflit auquelvous devez faire face ?

Ces jugements sont d'autant plus inacceptables que je vous rappelle les faits suivants :

puce-96d77.gifLorsde votre première visite le vendredi 14 novembre, vous aviez envoyé unmail à l'école à 15h10 pour prévenir de votre visite à 15h30. Il setrouve que ce jour-là, à 13h30, j'ai du amener en urgence à la cliniquema compagne dont la grossesse arrivait à terme. Alors que l'examenn'était pas terminé, j'ai laissé ma compagne à la clinique pourretourner à l'école afin de pouvoir assurer à l'heure la séancethéâtre. Les élèves avaient été répartis dans les classes en attendantmon retour. Compte tenu des circonstances, - votre visite impromptue etl'émotion légitime de mon aller-retour à la clinique - je vous aidemandé de reporter cette visite. Vous avez refusé et devant moninsistance, vous avez appelé au téléphone l'inspecteur d'académie quivous a explicitement dit que je n'avais pas le choix. Chacun apprécieral'humanité de cette décision et de cette attitude alors que je n'étaisprésent à ce moment-là que par conscience professionnelle et que le bonsens aurait voulu que je reste auprès de ma compagne hospitalisée. J'aidonc rejoint mes élèves et vous avez assisté à la séance théâtre.

puce-96d77.gifVousavez totalement justifié et approuvé, à l'occasion d'un entretienrécent, la sanction professionnelle de l'inspecteur d'académie, àsavoir le refus de promotion au grand choix que je méritais dans lecadre du tableau d'avancement du corps des professeurs des écoles.Cette sanction professionnelle faisait suite à la décision prisequelques jours auparavant de me sanctionner financièrement. Alors qu'endroit français, la double peine n'existe pas, vous considérez desurcroît qu'il ne s'agit pas d'une « sanction ». Selon vous, lapromotion devait m'être refusée car le contraire aurait été unencouragement à la désobéissance ! Jusqu'où êtes-vous prêt à aller dansle déni de la réalité et l'allégeance servile à des décisions dont lecaractère politique n'a échappé à personne ?

Au vu de ses éléments, je considère désormais que lerapport de confiance professionnel qui devrait nous lier est rompu. Jevous informe donc que je ne souhaite plus votre présence dans ma classeà compter de ce jour, surtout s'il s'agit de constater une nouvellefois ce que vous savez déjà et que j'assume pleinement. Je vous feraigagner une heure sur votre temps précieux et mes élèves n'auront plus àme demander : « Pourquoi est-ce que l'inspecteur vient encore dans laclasse ? »

Ces visites répétées dans ma classe, les différentsrapports que vous m'avez transmis, vos justifications des sanctionsfinancières et professionnelles qui m'ont été infligées constituent uneforme de « harcèlement » moral et professionnel que je décideaujourd'hui de dénoncer en tant que tel. Je vous informe que j'aidécidé de m'adresser à un conseiller juridique pour faire valoir mesdroits en la matière afin que cesse cette pression permanente qui,forcément, à la longue, porte atteinte à la sérénité de mon travail.

Monsieur l'inspecteur, j'en appelle à votre conscience,à votre responsabilité et à votre humanité. Cessez de trahir votremission première qui est de soutenir et d'encourager les enseignantsdans les classes. Refusez d'obéir à des ordres contraires à l'éthiquede notre profession. Renoncez à écrire des rapports à charge qui ontpour objectif de discréditer un collègue. Ouvrez-vous au dialogue vraisans vous réfugier en permanence derrière une argutie juridiquedéconnectée des réalités du terrain. Soyez loyal à votre hiérarchie,mais non servile !

Sachez, monsieur l'inspecteur, que le mouvement desenseignants désobéisseurs ne cesse de progresser. 2 650 enseignants duprimaire sont en désobéissance ouverte et affichée. Il s'agit du plusimportant mouvement de désobéissance pédagogique que l'EducationNationale ait connu. A ce jour, la réponse de l'administration est soitde fermer les yeux (comme vous le faites pour un certain nombre dedésobéisseurs sur la commune), soit de réprimer certains brutalementpar des retraits de salaire et des refus de promotion. Cetteincohérence témoigne que votre objectif n'est pas tant de savoir si lesdispositifs que vous défendez sont réellement efficaces, que de vousassurez que l'ordre règne dans l'école par l'obéissance des enseignantsaux injonctions de la hiérarchie et aux décrets absurdes du Ministère.

Ce mouvement ne faiblira pas, malgré les sanctions. Ilest porteur d'une exigence éthique conjuguée à un volontarismeprofessionnel et pédagogique qu'aucun pouvoir ne pourra briser. Nouscontinuerons, avec le soutien des parents d'élèves, à défendre l'écolepublique, aujourd'hui menacée par des lois et des décrets scélérats.Nous ne faiblirons pas dans notre résistance. Plus vous noussanctionnerez, plus nous désobéirons.

Notre mouvement n'est pas seulement un mouvement decontestation. Il se veut également une force de proposition. Nousattendons que la porte du dialogue s'ouvre avec les enseignants enrésistance afin que la raison et la sagesse aient le dernier mot dansl'intérêt du service public d'éducation que nous avons l'honneur deservir.

Je vous prie de recevoir, Monsieur l'inspecteur, l'expression de mes sentiments déterminés et respectueux.

Alain REFALO

Copie à la presse et publication sur le blog Résistance pédagogique pour l'avenir de l'école