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Appels à contributions
Mondes en narration / Erzählte Welten

Mondes en narration / Erzählte Welten

Publié le par Christof Schöch (Source : CIERA)

Mondes en narration / Erzählte Welten

Appel à contribution de la revue "tr@jectoires" du CIERA (Centre interdisciplinaire d'études et de recherches sur l'Allemagne).

Date limite pour la proposition des articles : 6 juin 2009

Contact : trajectoires(at) ciera.fr


Après le dossier thématique « Frontières en question » pour le deuxième numéro, la revue tr@jectoires lance un appel à contributions sur le thème : « MONDES EN NARRATION »


Dans le Zeit du 05 mars 2009, l'écrivaine Kathrin Röggla constate que nous n'avons pas encore trouvé de forme narrative pour expliquer la crise financière mondiale. Une nouvelle dramaturgie politique a eu beau se développer autour de la mondialisation sur le modèle du film-catastrophe, personne aujourd'hui n'est capable de donner le dénouement de cette crise. Il faudrait donc en inventer un. Dans un hors-série de la revue Sciences humaines de mars-avril-mai 2009 intitulé Idéologies, le retour de flamme, Jean-François Dortier fait le constat d'un retour des « grands récits » qui accompagne le retour des idéologies. En littérature, on assiste, en Allemagne, avec des théoriciens comme Vera et Ansgar Nünning, à une émergence de la narration « post classique ». Le concept de fiction, en littérature et au-delà, a un succès croissant. Depuis le « narrativist turn » des années 1980, nous serions rentrés dans un nouvel « âge narratif », voire même dans l'âge de l'« impérialisme narratif » (James Phelan). Avec le storytelling (Christian Salmon), tout serait devenu narratif : le management, la politique, le journalisme, les thérapies, mais aussi l'économie (Deirdre Nansen McCloskey), la science politique et, in fine, toutes les sciences humaines et sociales. À l'ancien « Ce n'est qu'une histoire, donne-moi des faits » de la pensée logique se serait substitué un « Ce ne sont que des faits, donne-moi des histoires ».


Pourquoi ce renouveau de la narration ? Au XIXe siècle, la modernité se définissait par la destruction des liens traditionnels (corporations, famille, religion…), qu'elle cherchait à compenser par une multiplication de formes discursives dont on découvrit récemment qu'ils formaient en réalité des « grands récits » : grands récits de la liberté et de l'égalité universelles, de l'émancipation, de l'industrialisme, du progrès, de la nation, fin du protectionnisme économique, libéralisme politique, déclaration des droits de l'homme, socialisme, etc. Les sciences sociales, elles aussi, cherchaient au fond à mettre ce réel complexe dans des systèmes pénétrés de « grands récits » scientifiques (positivisme, marxisme…). Ces grands récits remplaçaient les petits récits des expériences simples de la vie quotidienne dont Walter Benjamin a remarqué qu'ils n'étaient plus communicables. Mais ces grands récits furent eux aussi mis en question par leur échec historique et le soupçon grandissant qu'ils écrasaient les singularités. Les « postmodernes » auraient pris acte de cette « fin des grands récits », se proposant de changer les stratégies narratives en lisant la réalité non plus par le biais de grands récits universels cachés sous des formes pseudo-logiques, mais par celui d'une multiplicité de récits singuliers, interchangeables, relatifs et transparents. Ainsi, les sciences humaines se seraient ouvert la possibilité de mettre explicitement la réalité en récit, préférant une véracité relative à une vérité niverselle. La rupture historique des années 1990 avec l'effondrement du bloc soviétique, l'essor des théories néo-conservatrices et le tournant néolibéral en Europe dont parlent Bruno Jobert et Pierre Muller, articulant tout à la fois une « fin de l'histoire » avec le « choc des civilisations », ont sans doute contribué à rendre toujours plus invisible les collectifs historiques et les structures sociales, remisés au magasin des curiosités.


Mais cette évolution, si elle existe, doit être mise en rapport avec une évolution parallèle. On cherche aujourd'hui précisément, tant au niveau individuel que communautaire, de plus en plus, et notamment grâce aux nouveaux médias, à se « mettre en récit », en intrigue, à « se raconter » : blogs, « réseaux sociaux », généalogies familiales ; autobiographies, autofictions, mise en scène de soi ; art intimiste, port de signes ostentatoires, personnalisation à outrance ; construction, réelle ou fictive, de communautés historiques (sexuelles, religieuses) par leur mise en récit dans diverses célébrations de la mémoire. Cette multiplicité des récits doit aujourd'hui être appréhendée par les sciences humaines et sociales.


La narration peut donc être envisagée à la fois comme nouvelle méthode et comme nouvel objet. Mais quel est le rapport entre les deux ? Ce retour au récit témoigne-t-il d'une véritable « culture du narcissisme » propre à nos sociétés, d'une tentative de réappropriation par les individus eux-mêmes de leur propre histoire, ou bien d'une nostalgie du grand récit partagée aussi par les scientifiques ? Que peuvent faire les sciences humaines et sociales face à ce « retour de la narration » ? N'alimentent-elles pas ce retour au récit, avec leur regain d'intérêt pour les traditions orales, les correspondances et les récits de vie ? Ne devraient-elles pas au fond interroger leur « paradigme narratif », en questionnant la validité de leur « acte narratif producteur » (Gérard Genette), de leur mise en « intrigue » (Paul Ricoeur), comme procédé heuristique face à ces nouveaux objets ? La narration est une parole socialement élaborée qui a pour fonction de représenter des événements, de leur donner du sens et de construire un récit auquel le groupe peut s'identifier. Les schémas narratifs organisent ainsi le monde comme des cartes mentales, y compris dans les sciences qui, pour leur donner une cohérence utile d'où peuvent ressortir des liens de causalité, mettent en intrigue faits, modèles et théories. Ainsi, toute narration est aussi la transmission d'une certaine vision du monde.

Dans l'optique franco-allemande et interdisciplinaire de la revue, la narration est envisagée à la fois comme possible renouveau de la démarche scientifique et comme nouvel objet d'étude, en questionnant le rapport entre l'une et l'autre.

Les propositions d'articles (3000 signes) pourront porter, du point de vue de la méthode, sur la narration comme nouveau mode de connaissance (questions heuristiques et épistémologiques ; narration et argumentation, narration et description, narration et morale, etc.) et sur l'historicité de la narration (narration moderne, narration postmoderne – et aujourd'hui ?). Du point de vue de l'objet, elles porteront sur les nouvelles fonctions de la narration (construction identitaire, légitimation, signification, transmission, hiérarchisation) et sur les nouveaux médias de la narration (Internet, images virtuelles, nouveau rapport au public, stratégies de communication, storytelling, etc.). Elles auront à s'inscrire dans cette perspective critique et analytique de la narration.


Dans l'optique du dépassement des frontières disciplinaires, cet appel s'adresse à la fois aux politologues, aux historiens, aux géographes, aux sociologues, aux économistes, aux juristes, aux germanistes, aux musicologues, aux littéraires, aux anthropologues, aux philosophes, etc. Il est destiné en priorité aux inscrits du CIERA (inscription gratuite sur le site http://www.ciera.fr), travaillant sur le monde germanique et/ou français, de façon directe ou sur un mode comparatif.