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Michel Deguy : Penser, parler, écrire : le même

Michel Deguy : Penser, parler, écrire : le même

Publié le par François Lermigeaux

Séminaire général de lITEM-CNRS

Lécriture et le souci de la langue

(resp. Irène Fenoglio, 01 44 32 32 33, fenoglio@ens.fr)

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Lundi 14 janvier 2002

17h

, 46 rue dUlm, 75005, Salle des conférences.

Michel Deguy

 : Penser, parler, écrire : le même

 

Ne pas déroger.

A quoi me dois-je ? A la langue pour la parole. Quel est le dedans, axe ou âme, à quoi je me dois ; que jai à respecter pour être ? [] "Se" respecter, cest respecter la seule chose complexe que jemporte avec "moi", et qui me constitue : articuler la matière phonique, soutenir les accents, les différences, "la richesse des nuances". "

Brevets ("Autoportraits"), Champ Vallon, 1986, 22.

Poète et philosophe de lactivité poétique, Michel Deguy évoquera, lors de cette nouvelle séance du séminaire général de lITEM, la façon dont, pour lui, se conjugue, dans le travail décriture poétique, langage et pensée, parole et écriture. En nous montrant quelques brouillons de son uvre, il nous parlera de la façon dont lécriture dun texte saccomplit chez lui.

Michel Deguy est né le 23 mai 1930 en région parisienne. Après lexode, en 1940, il fait ses études secondaires au lycée Pasteur de Neuilly, puis entre en Khâgne à Louis-le-Grand. Après une double licence de Lettres et de Philosophie, il obtient lagrégation de philosophie en 1953. Il enseigne alors plusieurs années en province avant de revenir à Paris comme professeur dhypokhâgne.

En Mars 1959 paraît son premier recueil de poésie, Les Meurtrières, aux éditions Pierre Jean Oswald.

En 1962, il entre au comité de Tel Quel (il en sera exclu en 1963) et au comité de lecture des Editions Gallimard. Il est, la même année, co-traducteur du recueil de Heidegger Approche de Hölderlin.

Il fonde, en 1964 avec Iommi, La revue de poésie qui paraîtra jusquen 1968.

En 1967, Michel Deguy participe à une " expédition poétique " sud-américaine appelée "Améréïde", de la Terre-de-Feu à la Bolivie, à lissue de laquelle il sera invité par René Girard à faire annuellement une conférence et des lectures de poésie à lUniversité Johns Hopkins (Baltimore) ; il sera, par la suite, nommé "visiting professor" à Buffalo et à Los Angeles.

Il est nommé Maître de conférences en littérature française à lUniversité de Vincennes Paris VIII en janvier 1969. Il y présentera ses travaux au jury dHabilitation, en février 1988.

En 1977, Michel Deguy fonde la revue Po&sie (Editions Belin) qui entre, aujourdhui, dans sa 25ème année et en 1982, il inaugure le Marché de la Poésie qui a lieu désormais, chaque année, Place Saint-Sulpice à Paris.

En 1989, il obtient le Grand Prix national de poésie et devient, à la suite de P. Lacoue-Labarthe, président du Collège International de Philosophie dont il crée la revue Rue Descartes

 ; il préside, par ailleurs, la Maison des écrivains jusquen 1998.

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Michel Deguy ouvre son dernier essai, La raison poétique, par une discussion avec Bernard Noël extrêmement intéressante pour qui est préoccupé du fonctionnement langagier de lécriture. Il y témoigne fermement dun "souci de la langue" et signale diverses pistes pour la compréhension de lécriture poétique :

La question est : quen est-il du rapport du poème avec la phrase et le phrasé ? Un "poème" ? Quest-ce à dire ?

Cette prouesse spéciale en langue, prompte et limitée, qui

savance, qui prend des risques, mais non sans percée hors langue [] aux limites, si tu veux, et donc volontiers transgressive pour entrer dans lattraction et lexpérience de la limite, mais non pas en rompant toute relation avec les partenaires de la parole : sujet, destinataire, autre et Autre, référent, etc. Saffranchir, dites-vous ? Mais de quoi ? [] La phrase, syntaxière (Mallarmé), grammaticale, "logique" (au sens grec foncier qui précède la Logique), si disloquée, suspendue, volutée ou anacoluthée quelle puisse être, demeure lélément du dire-en-poème. La poésie pense ; la pensée (s)écrit ; le poème fait des phrases et fait lever des phases de monde dans son phrasé. Si syncopé-agglutinant quil soit, le poème de Célan, que tu cites en exemple, est grammatical. [] Je ne suis pas sûr, tu me comprends, que les " structures de la langue "aient à être" touchées ". Pas dattentat. Le terrorisme a tort. La langue reprend tout dans ses possibilités. Sa loi nest pas fasciste.

[] tu recommandes de jouer le signifiant contre le signifié. Mais, 1) cest sen remettre à une différence qui provient de la linguistique ; 2) comme si le partage, voire la séparation, pouvait être fait en dun-côté-de-lautre. Alors quon ne peut les décoller lun de lautre (comme le note Saussure) ; 3) tout lau-delà de la limite, vers quoi le poème du signifiant serait tendu, est mieux approché-affronté par du syntaxique, des dissonances ou disruptions grammaticales, rythmiques, néologistiques, etc. que par des calembours phonétiques ou de signifiance ou des importations de techniques en provenance dautres arts, dautres manières de faire, sans transposition.

[] Regarde les philosophes : à quelle reprise, à quelle mémoire, ils sont astreints ! []sous peine de ne plus rien dire, au mauvais sens de "rien" Très peu " inventent une nouvelle langue "Heidegger, peut-être, la tenté [] Quant aux manières, tours et lexique, de cette " nouvelle langue ", tautologies et néologies, étymologies et syncatégorèmes, ils nexcèdent ni nignorent, ni ne défont la langue. La déconstruction nest pas la destruction. Autrefois, pour tel bouleversement on eût parlé de style novateur, aujourdhui on dit " la langue ", comme sil y avait une langue par grand écrivain. Mais plus dintimité avec la loi toujours plus intimement sondée, affrontée, défiée, reconnue : cest linjonction "holderlinienne". Y-a-t-il de si nouvelles choses à entendre et faire entendre dont la loi de langue ne nous permettrait pas de parler [] ?

La raison poétique ( éd. Galilée, 2000, 13-19)

La

phrase fraye une vérité dans locéan du possible, dans limmense, elle fend la démesure du dicible, elle opère un sillage sur lequel le lecteur se retourne. "

Ibid. ("A la mémoire dun ange", p.56)

Bibliographie sélective de Michel Deguy .

Poésie :

Les Meurtrières, P.J. Oswald, 1959.

Ouï dire. Poèmes I, 1960-1970, Poésie/Gallimard, 1973.

Tombeau de Du Bellay, Jumelages, Donnant Donnant, Poèmes II, 1970-1980,

Poésie/Gallimard, 1986.

Gisants, Poèmes III, 1980-1995, Poésie/Gallimard, 1999.

(Ces trois recueils, reprennent la presque totalité de luvre poétique de M. Deguy)

Limpair, Farago, 2000

Spleen de Paris, Galilée, 2001.

Essais :

Le monde de Thomas Mann, Plon, 1962.

21 poètes américains (avec J. Roubaud), Gallimard, 1980.

René Girard et le problème du mal (avec J.-P. Dupuy), Grasset, 1982.

Choses de la poésie et affaire culturelle, Hachette, 1986.

Le comité, ChampVallon, 1987.

La poésie nest pas seule. Court traité de poétique, Seuil, 1988.

Lénergie du désespoir, ou dune poétique continuée par tous les moyens, PUF, 1998.

La raison poétique, Galilée, 2000.