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Nouvelle parution
Médium, 42, 2015 :

Médium, 42, 2015 : "L'écrivain national" (D. Bougnoux, dir.)

Publié le par Marc Escola

 

L’ÉCRIVAIN NATIONAL

Médium n° 42, janv.-mars 2015

Sommmaire…

 

Résumés :

Nations en quête d’auteurs  par Daniel Bougnoux
Le coup d’envoi de ce numéro eut lieu lors d’un mémorable dîner qui réunit au début de l’été, chez Pierre-Marc de Biasi, un comité restreint : nous y mettions en débat le livre de Lamberto Tassinari, dont je contais merveille, soit la question de savoir dans quelle mesure John Florio avait pu écrire tout ou partie de l’oeuvre de William Shakespeare. Cette question en effet semble deux fois médiologique : premièrement, ce qu’on appelle un peu vite le « génie » ne tombe pas du ciel et requiert, dans le cas d’une oeuvre aussi considérable, divers ingrédients (tels qu’une connaissance intime de l’Italie, de l’Écriture Sainte, de la Cour et des Grands, ou encore de Montaigne…), tous domaines avec lesquels on ne sache pas que le Barde upon Avon, sacré l’auteur officiel, ait eu beaucoup d’accointances. Deuxièmement, l’hérétique proposition avancée par Tassinari dans son livre John Florio, The Man Who Was Shakespeare heurte de plein fouet un monument national, dont on célèbre en 2014 l’anniversaire de la naissance (autre anniversaire à prévoir en 2016, celui de sa mort).
Daniel Bougnoux, philosophe, est professeur émérite à l’université Stendhal de Grenoble III.
 
La part du diable  par Régis Debray
Est-il révolu, l’âge où un auteur pouvait se confondre avec l’image qu’une nation se fait d’elle-même ?
Il n’est pas trop difficile de savoir comment se fabrique, de son vivant, un grantécrivain, à quel modèle il doit se conformer, quelles embûches éviter, quelles attentes satisfaire : la case est toujours chaude. On connaît aussi le taux de mortalité très élevé des immortels, pour qui la mort vaut destitution. Béranger, Barrès, Anatole France, Romain Rolland, Edmond Rostand, Jules Romains, et cent autres mandataires de « l’esprit français » en savent quelque chose. Leur mandat n’a pas survécu aux circonstances. En revanche, l’opération par laquelle un écrivain devient à la longue, et malgré lui, totem ou blason d’un peuple, reste assez mal connue. L’alchimie posthume se dérobe d’autant plus au questionnement qu’elle nous semble irrécusable et s’impose d’elle-même. Il va de soi que Dante, c’est l’Italie, Shakespeare, l’Angleterre et Cervantès, l’Espagne. Et notre langue, celle de Molière. Quelle machinerie est à l’oeuvre dans cette transmutation morale et quelles en sont les conditions ? Répondre nécessiterait une très longue enquête médiologique. Les remarques qui suivent relèvent au mieux de l’apéritif.
Régis Debray. Dernier livre paru : Une Erreur de calcul, Cerf, 2014. À paraître : Un Candide à sa fenêtre, Gallimard, 2015.
 
Victor Hugo. Genèse d’un roman national  par Robert Dumas
Entre 1842 et 1843, un roman feuilleton, Les Mystères de Paris, connaît un succès populaire qui demeure pourtant incommensurable avec celui qui, vingt ans plus tard, accueille la parution des Misérables à Bruxelles. Certes, l’un est oublié dans les caisses des bouquinistes, alors que l’autre n’a cessé d’être réédité jusqu’à hier.
Il y aurait des difficultés à désigner l’écrivain national français en raison des nombreux prétendants légitimes au titre. En revanche, si nous cherchons quel roman pourrait être tenu pour national, seul Les Misérables s’impose sans hésitation à tout lecteur de France et peut-être même d’ailleurs. Il serait, par exemple, impossible d’affirmer cela des Illusions perdues, de L’Éducation sentimentale, encore moins du Voyage au bout de la nuit, qui tous pourtant ont su jeter des personnages admirables au coeur même de l’histoire de France. Un sondage de 1991 révèle que 85 % des Français connaissent (on ne s’interrogera pas sur le sens du verbe « connaître ») Les Misérables, ce qui le désigne à l’évidence comme prééminent à tous les autres. Une telle aura mérite d’attirer l’attention du médiologue.
Yves Citton est professeur de littérature à l’université de Grenoble, membre de l’UMR LIRE et co-directeur de la revue Multitudes. Dernier ouvrage : Pour une écologie de l’attention, Seuil, 2014.
 
Molière  par Hélène Maurel-Indart
Les grandes oeuvres exposent leurs auteurs aux basses oeuvres de la décapitation. Et si l’on démontait les démonteurs de statues ?
Quand l’usage n’est plus de glorifier les statues, mais plutôt de les déboulonner, pour ériger l’individualité en norme absolue, contre la Norme, contre le modèle, l’exemplarité, on s’attaque au Grand Écrivain National. Fi de la nation et des porte-drapeaux, Je suis à moi-même la mesure de toute chose. Pas un hasard si Molière tremble sur son socle républicain en pleine crise identitaire, à tous les niveaux : planétaire – mondialisation, globalisation, délocalisation –, nationale – la « crise » –, individuelle – mariage à géométrie variable, GPA, facebookisation. S’il fallait en abattre un, c’était bien lui, le génie national, qui en impose avec sa « langue de Molière », incarnant non seulement les Belles-Lettres mais la langue, authentiquement française.
Hélène Maurel-Indart, agrégée de lettres modernes, est professeur de littérature française du xxe siècle à l’université de Tours. Spécialiste des questions d’originalité, d’influence et d’intertextualité, elle leur a consacré plusieurs essais, dont Du plagiat, Gallimard, « Folio Essais », 2011, et Petite enquête sur le plagiaire sans scrupules, Léo Scheer, 2013. Site : leplagiat.net
 
Racine  par Françoise Gaillard
Sous le titre Sur Racine, Roland Barthes avait réuni en 1963 trois courts essais. Jugé iconoclaste par l’Université en la personne de Raymond Picard, cet ouvrage donna lieu à une querelle qui occupa longtemps les pages culturelles des grands quotidiens.
Touche pas à notre Racine. Pour avoir enfreint cet interdit tacite, Roland Barthes reçut en son temps une volée de bois vert. L’affaire fit grand bruit, même hors du territoire germanopratin.
Françoise Gaillard enseigne l’esthétique et l’histoire des idées à l’université de Paris Denis-Diderot et à la New York University. Elle est chercheur à l’Institut de la pensée contemporaine et membre de diverses revues scientifiques ou généralistes, parmi lesquelles Agenda de la pensée contemporaine, Médium, Esprit. Elle a publié La Modernité en questions (en collaboration avec Jacques Poulain), Cerf, 1993, Diana crash, Descartes & Cie,1998, Cachez ce sexe que je ne saurais voir, Dis Voir, 2003.
 
Cyrano  par Paul Soriano
Produits et agents d’un caractère forgé par une politique constante, nos écrivains nationaux ont les idées courtes mais fortes. Et du panache.
La France, comme toute nation souveraine, forme un sujet collectif ou « moral » sur la scène internationale : elle parle, elle décide, elle refuse, elle fait la guerre ou la paix. Mais dans cette nation-là, les institutions font milieu : la culture, via la langue et l’éducation, les oeuvres et la manière dont elles sont reçues et reconnues, les comportements même des Français, en sont affectés. Si bien qu’au fil du temps, le sujet collectif s’est forgé un caractère singulier, dont les traits se dessinent en particulier dans l’œuvre et la biographie intriquées de nombreux écrivains français.
Paul Soriano, rédacteur en chef de la revue Médium.
 
Patrick Modiano  par Jacques Lecarme
« J’avais dix-sept ans et il ne me restait plus qu’à devenir un écrivain français. »
Le prix Nobel octroyé à Patrick Modiano n’a pu surprendre que ceux qui ne l’ont jamais lu, lesquels forment l’immense majorité de nos élites, trop occupées pour lire des romans, allergiques au seul mot de « littérature ». Et pourtant Patrick Modiano, avec son double jeu de tradition et de modernité, a touché le public le plus large depuis 1968, date de ce coup d’éclat que fut La Place de l’Étoile, donc depuis quarante-six ans, publiant avec une grande régularité à peu près vingt-huit volumes, romans, récits, autofictions, biographies parallèles. Très jeune, il a collectionné les prix littéraires : Roger Nimier, Fénéon, Académie française, Goncourt. Restait le Nobel, qui se faisait attendre.
Jacques Lecarme est professeur émérite de littérature française à l’université Paris III.
 
Gabo  par Jean-François Fogel
Est-il « national » ou « continental », le Colombien Garcia Marquez ? C’est un nouveau Victor Hugo. Nos apothéoses d’hier sont celles de l’Amérique latine d’aujourd’hui.
Il faut avoir écouté le discours de Juan Manuel Santos, en juin dernier, au soir de sa réélection à la présidence de la République de Colombie pour mesurer de quel poids peut peser un écrivain dans un pays qui se reconnaît en lui. Tout y est passé, comme toujours en ces soirs de victoire électorale, le salut généreux au vaincu, l’appel à l’unité du pays et la promesse d’un avenir illuminé. Tout, jusqu’à cette conclusion : « Aujourd’hui, Colombiens, en accueillant votre vote qui m’accorde un second mandat, je m’engage à travailler pour le pays qu’a rêvé Gabo et dont nous rêvons tous ».
Jean-François Fogel est journaliste et consultant. Auteur de Morand-Express et Fin de siècle à la Havane, Le Seuil. Il est membre de la Fondation pour un Nouveau Journalisme en Amérique Latine créée par Gabriel Garcia Marquez. Il est co-auteur, avec Bruno Patino, du livre La condition numérique, Grasset, 2013.
 
Shakespeare  par François Laroque
Shakespeare n’est peut-être pas celui que vous croyez. So what ? Les peuples ne s’y trompent pas. Ils savent bien que ce sont les légendes qui les ont faits peuple.
Si l’expression « la langue de Shakespeare » utilisée tous les jours pour désigner la langue anglaise a bien un sens, c’est effectivement que l’étroitesse des liens qui unissent cet auteur à la nation britannique s’y trouve résumée dans ce rapport quasi-consubstantiel. En effet, pour ce qui est du vocabulaire utilisé dans l’ensemble de son œuvre, on crédite l’auteur d’Hamlet d’un total compris entre vingt et trente mille mots (dont l’invention d’environ mille sept cent mots nouveaux, sans parler des formules devenues proverbiales ou des emprunts qui fournissent régulièrement des titres de romans comme le Brave New World, Le Meilleur des mondes, d’Aldous Huxley (emprunté au texte de La Tempête). La date de naissance supposée de Shakespeare, le 23 avril (on ne connaît en effet que sa date de baptême, le 26 avril, sur les registres de la paroisse de Stratford-Upon-Avon), coïncide (et ce n’est pas tout à fait par hasard !) avec la fête du saint national, Saint-Georges.
François Laroque, professeur émérite de littérature anglaise à l’Université de la Sorbonne Nouvelle-Paris III, est l’auteur de Shakespeare et la fête, PUF, 1988, repris dans Shakespeare’s Festive World, Cambridge, CUP, 1991, de Shakespeare comme il vous plaira, Gallimard, 1991, et de King Lear, L’oeuvre au noir, PUF, 2008. Il travaille en ce moment à un Dictionnaire amoureux de Shakespeare à paraître en 2016 chez Plon.
 
Goethe  par Jean-Pierre Lefebvre
Goethe, l’homme éclairé, le modéré, est-il vraiment l’image de soi de l’Allemagne ? Ou plutôt celle que les autres trouvent la plus convenable ?
Si l’on entend souvent qualifier par réflexe locutionnel la langue allemande de « langue de Goethe » (sur le modèle « langue de Shakespeare », cher à Charles Aznavour), vu des pays de langue allemande Goethe apparaît moins immédiatement comme le représentant totémique de la culture allemande, de sa langue et d’une nation qui a mis du temps à se rassembler et persiste dans le doute de soi. S’agissant de la langue en particulier, les germanophones interrogés finiraient souvent par élire la référence à Luther. Et, par ailleurs, si la référence à Goethe fait sens comme partout ailleurs en Allemagne, en Autriche et en Suisse, elle y est aussi relativisée par des facteurs spécifiques. La lumière du fanal de Weimar y est opacifiée par un certain nombre d’écrans et de phénomènes de parallaxe. Plusieurs facteurs font que la fonction totémique de Goethe ne va pas de soi, alors même, et peut-être précisément parce qu’elle sembla d’emblée taillée pour lui sur mesure.
Jean Pierre Lefebvre est professeur de littérature allemande à l’École Normale Supérieure. Auteur de Der gute Trommler, Hamburg, 1986, La nuit du passeur, Denoël, 1989, Hölderlin. Journal de Bordeaux, 1991, Goethe, modes d’emploi, Belin, 2000. Membre de la Deusche Akademie für Sprache und Dichtung.
 
Virgile ?  par Paul Soriano
Via Milan, Florence et Naples, et de Virgile à Pasolini, tous les chemins du Voyage en Italie ramènent à Rome.
Demandez à un Milanais, un Bolognais ou un Romain de nommer l’écrivain national italien. Dante, bien sûr ! L’un ou l’autre ajoutera sans doute : Machiavel. Et le Milanais : Manzoni. Mais quand ils sont entre eux, les uns et les autres savent bien que Dante et surtout Machiavel sont des Florentins, au sens propre comme au sens figuré – comme quand on traite Mitterrand de « Florentin », ce qui peut être entendu comme un compliment. Du côté des (rares) penseurs plus spéculatifs, il y a bien le grand Vico, mais, c’est un Napolitain, autant dire qu’il n’est pas italien comme Descartes (sa bête noire) est français. Quand à Manzoni, écrivain national stricto sensu, qui le connaît ailleurs, orbi ? Inversement, quand vous parlez d’un écrivain français à un Italien lettré, une question surgit presque toujours : d’où est-il ? Et n’espérez pas vous en tirer en répondant Normand, Breton ou Dauphinois, il veut connaître sa ville de naissance. Manifestement, ça compte pour lui.
Paul Soriano
 
Hayim Gouri  par Michèle Tauber
Avec Israël, nation si jeune pour un peuple si vieux, on peut sortir des sentiers battus.
Lorsque l’on connaît la diversité des communautés qui composent la population israélienne, on mesure à quel point il est difficile de désigner un écrivain national pour ce pays. Si plusieurs noms émergent rapidement, celui de Hayim Gouri s’impose, au regard de sa trajectoire qui le situe à la fois sur un piédestal de poète national hébreu, mais aussi dans le sillage des grands écrivains juifs universels.
Michèle Tauber est maître de conférences en littérature hébraïque moderne et contemporaine à l’Université Paris Sorbonne Nouvelle. Elle est chanteuse en yiddish et en hébreu, spécialisée dans l’interprétation des poèmes mis en musique dans ces deux langues. Elle a enregistré Yiddish Balkans.
 
Joyce  par Alan Hennessy
Bloomsday : faire la fête avec un personnage de roman, quel autre auteur pourrait rêver d’une pareille consécration populaire ?
Bloomsday est une journée de commémoration collective. Elle célèbre le roman Ulysse, une ville, Dublin, ses environs, ses habitants et un dramatis personnæ, imaginaires et réels. Elle commémore leurs pensées et leurs actes pendant la journée du 16 juin 1904, la date choisie par James Joyce pour immortaliser sa première rencontre avec sa femme Nora Barnacle. Nous suivons Leopold Bloom, Stephen Dedalus, Molly Bloom et des centaines d’habitants de Dublin entre huit heures du matin et trois heures le lendemain matin. C’était une journée comme les autres, un jeudi ensoleillé avec la menace d’un orage à la fin de l’après-midi.
Alan Hennessy, Irlandais, est architecte à Grenoble.
 
Beckett  par Antoine Perraud
Beckett, l’innational, l’homme qui défie les contrôles d’identité. Le désespoir des bibliothécaires. En voilà un qu’on ne risque pas de rapatrier.
Telle une médiologue, l’oeil rivé sur le doigt face aux beaux esprits requis par la lune, l’universitaire américaine Lori Chamberlain notait ceci : « La question semble plutôt simple : Samuel Beckett est-il Anglais, Irlandais, ou Français ? La structure même de cette question nous forçant à choisir l’un ou l’autre, devrait cependant nous mettre la puce à l’oreille quant à son caractère indécidable ; pourtant, c’est la question à laquelle doivent faire face les services de catalogage des bibliothèques, par exemple, à chaque fois qu’un nouvel ouvrage de ou sur Beckett est publié. Les multiples réponses possibles à cette question montrent concrètement que Beckett incite à une remise en question des concepts de langage et de canon littéraire sur lesquels nos institutions universitaires sont fondées et auxquelles elles s’accrochent. » Samuel Beckett (1906-1989) récapitule et amplifie le choix du français par les Kundera, Semprun, Cioran, Fondane et autre Tzara, ou les conversions linguistiques d’un François Cheng et d’un Hector Bianciotti, ou encore l’attachement à ainsi écrire l’indicible d’Elie Wiesel, ou surtout la volonté de faire fi du nationalisme revendiquée par Ghérasim Luca, ou même le jeu de cache-cache avec ses origines et sa biographie auquel procède Andreï Makine.
Antoine Perraud est journaliste à Mediapart, critique littéraire pour La Croix et producteur de « Tire ta langue » sur France Culture.
 
Gaston Miron  par Michel Erman
Dans la Belle Province culturellement assiégée, l’émergence d’une littérature qui échappe à l’espace pour s’inscrire dans le temps, devient une question de vie ou de mort.
La littérature canadienne-française, devenue québécoise dans les années 1960, est à classer au nombre de ce que Kafka appelait les « littératures mineures » quand, dans son Journal ou dans ses Lettres à Max Brod, il évoquait sans ambages l’embarras qu’avaient les juifs de Prague à ne pouvoir écrire autrement qu’en allemand, et que, dans le même temps, il faisait de cette difficulté une nécessité, de cette langue de dépossédé un idiome propre. Autrement dit, une liberté transformant une contrainte en enthousiasme. Toute littérature s’enracine dans une langue liée à un espace géographique mais le français canadien a été longtemps déterritorialisé parce qu’il était parlé par une minorité et que ses usages déjouaient par ses corruptions la bienséance d’un français hexagonal auréolé de sa fonction comme langue de culture. Langue frottée d’archaïsmes, de créoles (le fameux joual), d’emprunts aux langues amérindiennes et à l’anglo-américain (des langues parlées sur des territoires proches se rencontrent nécessairement) et de canadianismes, le français canadien s’est parfois senti impuissant dans un pays incertain.
Michel Erman est écrivain et professeur de poétique à l’université de Bourgogne.
 
Identité  par Mahmoud Darwich
Ce poème, écrit en 1964, est devenu comme un refrain magique enflammant les cœurs et déchaînant les sentiments de fierté et d’enthousiasme des Palestiniens qui voient en lui plus un prophète qu’un poète tout simplement…
Inscris !
Je suis Arabe
Le numéro de ma carte : cinquante mille
Nombre d’enfants : huit
Et le neuvième… arrivera après l’été !
Et te voilà furieux !
Mahmoud Darwich, Poèmes palestiniens, Éditions du Cerf, 1989.
 
 
Écosystèmes de médias  par Olivier Bomsel
Posons que la numérisation fait rupture, c’est-à-dire qu’on peut y voir l’avant à la lumière de l’après. Cette note propose une caractérisation de l’économie et de l’organisation industrielle des médias tels qu’ils se présentent après la numérisation. Elle suggère des pistes de relance des protocoles éditoriaux.
Les médias fabriquent la médiatisation des biens et des services destinés à des publics. La médiatisation est l’image publique qui se superpose à un bien, un service, à l’expression de tel ou tel. C’est un complément signifiant, une image, un récit, un mythe qui concourt à l’utilité individuelle et sociale des produits. La médiatisation peut être porteuse d’effets de mode ou de réseau capables d’accroître immensément la demande d’un produit : plus un bien est médiatisé, plus il signifie pour le consommateur, plus il est consommé, plus il se médiatise, etc. En tant qu’émetteurs de signaux publics, les médias sont eux-mêmes fortement médiatisés.
Olivier Bomsel est professeur d’économie à MINES ParisTech et directeur de la Chaire ParisTech d’économie des médias.
 
Le cadenas d’amour  par Christian Godin
La mode mondialisée du « cadenas d’amour » peut s’interpréter comme la transmission urbi et orbi d’un gène, ou d’un mème. Une contagion proprement culturelle riche d’enseignements.
Les cadenas d’amour sont des cadenas que des couples fixent aux grilles des ponts ou d’autres équipements publics. Dans plusieurs grandes villes, le phénomène a pris une ampleur si démesurée qu’il ne peut qu’interroger l’observateur sur sa raison d’être. Avec cette pratique, l’amour retrouve, osera-t-on dire, tout son poids, lequel, dans une société individualiste de masse comme la nôtre, peut être proprement monstrueux. À Paris, les cadenas placés sur plusieurs ponts se comptent par dizaines de milliers. Leur masse totale se chiffre en tonnes. De loin, les grilles font penser aux accumulations d’Arman. Par temps de soleil, le laiton dont sont faits la plupart des cadenas scintille de mille feux.
Christian Godin est maître de conférences de philosophie à l’université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand, membre de PHILéPOL, Paris-Descartes. Auteur de La Totalité, Champ Vallon, 1997-2003), La Fin de l’humanité, Le Triomphe de la volonté, La Haine de la nature, Champ Vallon, 2003, 2007 et 2012, ainsi que d’un ouvrage à destination du grand public La Philosophie pour les Nuls, Éditions First, 2006.
 
L’Europe, et après ?  par Pierre Murat
Plusieurs cycles historiques s’achèvent au même moment en Europe. Serait-ce la signal d’un commencement de sagesse ?
La succession d’une époque humaine remplacée par une autre est un phénomène éprouvant pour qui en est le contemporain, écrivait Philippe Muray. Que dire quand ce sont plusieurs époques de durée et de tempo très différents qui, toutes ensemble, s’achèvent sous nos yeux ?
Pierre Murat, agrégé de lettres et historien de l’art, a contribué notamment aux Cahiers de Médiologie et à Médium et publié, outre des catalogues d’exposition, Joseph Garibaldi (1863-1941) ou le Midi paisible et Cassis, port de la peinture (1850-1945), Regards de Provence, 2012 et 2013.
 
 
PENSE-BÊTE
Suite du journal intime d’un médiologue
zigzaguant, nez au vent, à travers images,
livres, faits divers et autres vicissitudes.
Par Régis Debray

Les villes électriques

Le Panthéon renversé par lui-même

Le fond des choses en timbres-poste

Le théorème d’Aracataca

Errata

Un signe des temps

Pessimisme

Plaidoyer pour le poétique

Transformisme