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Massacres et répressions dans le monde colonial : Archives et fictions au service de l’historiographie ou du discours officiel ?

Massacres et répressions dans le monde colonial : Archives et fictions au service de l’historiographie ou du discours officiel ?

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Sabrina Parent)

Appel à communication

Colloque international et interdisciplinaire

 

 Massacres et répressions dans le monde colonial  :

Archives et fictions au service de l’historiographie ou du discours officiel ?

 

Lieu et date du colloque : Lorient (Bretagne) du 27 au 29 novembre 2014

Instances universitaires organisatrices : Université de Bretagne Sud / Université Libre de Bruxelles

 

Résumé

À l’approche de la date commémorative du 1e décembre 2014, le « Massacre de Thiaroye » – développé en détail dans l’argumentaire ci-dessous – servira de point d’appui pour situer les enjeux scientifiques et éthiques qui animeront ces journées d’études transdisciplinaires. Ayant pour objet d’étude le « massacre colonial » (notion définie ci-après) – y compris celui de Thiaroye –, les interventions retenues auront pour but de poursuivre une réflexion relative à un ou plusieurs des axes suivants : (1) les pratiques des historiens, notamment leur rapport aux sources ; (2) la place des fictions historiques, aux côtés de l’historiographie, dans la connaissance du passé ; et (3) la question de l’« engagement » social de l’historien par rapport à une pratique professionnelle qui se veut « objective ». 

Argumentaire

Le 1er décembre 1944 à Thiaroye près de Dakar, officiellement 35 ex-prisonniers de guerre coloniaux ont été tués, 35 blessés, 34 condamnés à des peines allant de un à dix ans d’emprisonnement après s’être mutinés et avoir désobéi aux ordres des officiers des troupes coloniales. Ces hommes partis pour défendre la France, faits prisonniers par les Allemands en juin 1940 après avoir combattu avec courage, revenus en terre africaine après quatre longues années de captivité en France occupée, sont devenus, aux yeux de l’administration militaire et coloniale, un danger pour la puissance impériale que la guerre avait ébranlée. Les rapports officiels donnent de précieuses indications sur les causes de la mutinerie vues par la puissance colonisatrice. La propagande nationaliste allemande est, aux yeux de l’administration, l’une des causes de la rébellion, car se trouvant au fondement du dénigrement de l’armée française et de ses cadres. Le contact avec la résistance et les Forces françaises de l’Intérieur est également cité comme un élément de troubles pour des tirailleurs qui « n’étaient pas moralement, intellectuellement et socialement capables de comprendre la grandeur, la beauté et la nécessité de ce mouvement [la Résistance] [...] »[1]. Le contact avec les femmes françaises et notamment les marraines de guerre contribue, toujours selon les sources militaires, à ce mauvais état d’esprit alors que la provenance des sommes détenues par les tirailleurs devient suspecte. Quant à leurs revendications financières, elles sont présentées comme infondées. Ces rapports archivés sont  la base de  l’histoire officielle qui entérine le fait que la riposte armée était indispensable pour faire face au danger que ces hommes représentaient.

Romans, pièces de théâtre, films, créations musicales se sont inspirés du drame de Thiaroye avec une nécessaire liberté d’imagination mais aussi un pouvoir de réécriture de la réalité. Alors que ces prisonniers de guerre coloniaux ont été internés en France, la fiction a le plus souvent choisi de prendre l’Allemagne comme lieu de captivité. L’exposition « L’outre-mer français dans la guerre 39-45 »[2]  présentait Thiaroye en lien avec une colère des ex-prisonniers revenant des camps allemands et n’ayant pu échanger que la moitié de leurs marks. Le discours historique destiné au grand public s’est ainsi laissé influencer par une réécriture-fiction que la rumeur a amplifiée. L’exacerbation ne  pouvait pas provenir d’un échange de marks, ni même d’un taux de change de moindre valeur entre francs français et francs CFA comme présenté erronément dans le film de Sembène Ousmane Camp de Thiaroye. La cause fondamentale de la révolte réside dans le refus délibéré des plus hautes autorités militaires stationnées à Dakar de respecter la réglementation des rappels de solde dont devaient bénéficier ces ex-prisonniers de guerre. Curieusement, cette revendication majeure  n’apparaît pas explicitement dans les rapports.

L’événement traumatique Thiaroye a été recouvert d’une chape de plomb – aucun journal français n’en a fait état à l’époque – et n’a suscité l’intérêt des historiens que tardivement lorsque, à la fin des années 70, le canadien Myron J. Echenberg a commencé à l’analyser comme un élément déterminant dans la lutte des Africains vers la conquête d’une dignité que le système colonial leur avait déniée[3]. D’autres recherches ont été menées depuis mais sans émettre de doute ou remettre en cause le contenu des archives ni la véracité des rapports officiels. Suite à la disparition des circulaires permettant de comprendre le bien fondé des revendications, un minutieux travail de défrichage, de recoupement, de recueil d’avis d’experts a permis de contrecarrer l’histoire officielle dédouanant l’armée de toute responsabilité. La mise en évidence d’une spoliation de ces ex-prisonniers et d’une écriture tronquée des rapports nous invite à discerner les enjeux d’une cécité collective assumée par nombre d’historiens et par les plus hautes autorités civiles et militaires. Le pouvoir politique, en la personne du président français François Hollande, vient de complexifier la relation entre le chercheur et les sources en convoquant ces archives pour  un usage inédit : « Donner au Sénégal toutes les archives dont la France dispose sur ce drame afin qu’il puisse les exposer au mémorial sur Thiaroye »[4]. S’agit-il d’une regrettable méprise – ces archives étant incessibles – ou d’une volonté d’esquiver la responsabilité de la France en comptant sur le Sénégal pour faire la lumière sur ce massacre ?

S’appuyant sur la définition de Jacques Sémelin[5], ce colloque cible comme objet d’étude les « massacres coloniaux », une forme d’action le plus souvent collective, de destruction de non combattants, hommes, femmes, enfants ou soldats désarmés. Ces répressions sont dictées par le pouvoir politique afin d’empêcher, par la contrainte ou la violence, toute protestation ou soulèvement collectif. Dans  le contexte colonial, la finalité est de parvenir par la violence à imposer, notamment sur la population civile, la domination et la sujétion. Nous nous intéresserons particulièrement aux répressions sanglantes liées aux mouvements indépendantistes, ainsi qu’au cheminement d’une reconnaissance du fait « massacre ». L’étude comparative avec les différents régimes coloniaux permettra d’enrichir une indispensable analyse de ces faits historiques passés sous silence et pourtant gravés dans la mémoire des peuples victimes.  

Tout massacre ne constituant pas nécessairement un cas de « génocide » et une telle qualification suscitant bien des controverses, la notion de « génocide » n’est pas retenue dans cet appel.

Axe I

La fabrique de l’histoire

Ces événements sanglants commis le plus souvent en toute impunité, légitimés par les pouvoirs en place, sont consignés dans des archives. Il s’agira ici d’examiner et de questionner les discours véhiculés par les archives, ainsi que leur fiabilité. Le caractère irréfutable du document d’archive va-t-il de soi, quelle est la posture des historiens et des archivistes face aux documents dans la recherche de la vérité (neutralité, objectivité, responsabilité, sincérité, ...), quel rapport de force  peut s’établir entre historiographie et discours officiel, quels sont les mouvements qui accélèrent l’évolution et la prise de conscience scientifiques ?

 

Axe II

Historiographie et fictions historiques

La littérature comme le cinéma sans oublier la bande dessinée s’inspirent régulièrement des oppressions et des luttes des peuples pour leur émancipation. Que tente la littérature quand elle s’empare du réel passé ? Que peut la littérature ou le cinéma que la pratique historiographique s’interdit ? En quoi l’entreprise du romancier peut-elle éventuellement compléter celle de l’historien ?

En outre, les fictions historiques véhiculent souvent des erreurs, prétexte dont se servent certains critiques et politiques pour jeter un discrédit radical sur les auteurs. Comment réagir face à l’erreur historique ? Si elle est déplorable, est-elle toutefois condamnable ? L’erreur s’explique-t-elle en regard du contexte socio-politique ou de l’état de la connaissance à un moment donné ? Peut-on tenter de l’interpréter, en faisant notamment appel à l’économie de l’œuvre ou à l’intertextualité ?

L’on peut encore se demander comment la fiction influence la mémoire collective et le discours historiographique. Il s’agirait ici d’évaluer la porosité ou la perméabilité de ces différents modes d’appréhension du passé.

 

Axe III

L’engagement de l’historien et le pouvoir politique 

Les chercheurs sont invités à proposer des communications sur le rôle des historiens et des archivistes en lien avec les demandes ou non de réhabilitation, de réparation, de justice, mais aussi sur le silence et l’absence de réponse politique à des exactions condamnables.

À titre d’exemple, la réparation pécuniaire en faveur des Mau Mau au Kenya, victimes des atrocités commises durant la colonisation britannique, est issue de la recherche et du difficile combat de l’historien David M. Anderson.

L’engagement et l’interpellation du politique et des médias sont le plus souvent perçus comme incompatibles avec le travail sérieux et légitime d’un historien. Dès lors que le corpus scientifique permet d’écrire des nouvelles histoires coloniales, certes dérangeantes pour les pouvoirs politique et militaire, pourquoi leur révélation par les médias ou tout autre canal de diffusion devient-elle tabou et est-elle suspectée de défaillance scientifique ? Quel est le rôle de l’historien confronté aux mensonges d’État, aux compromissions ? Il s’agit ici de questionner le courage, la détermination, la  responsabilité de l’historien et leurs limites.

Cette mise en perspective à partir de travaux sur les massacres coloniaux permettra de réfléchir sur les pratiques historiographiques et peut-être de réconcilier différentes approches méthodologiques et éthiques qui font le sel du métier d’historien.

 

Si nous privilégions les massacres perpétrés par les empires européens aux XIX– XXe siècles, nous considérerons d’autres propositions susceptibles d’enrichir ce débat.

 

Conditions de soumission

Les propositions de communications sont à envoyer par courriel le 1e février 2014 au plus tard sous la forme d’un résumé (2000 signes maximum) accompagné d’un titre et d’un bref curriculum  vitæ conjointement à Armelle Mabon et Sabrina Parent.

L’acceptation des propositions sera notifiée début mars 2014. 

Renseignements et contact : armelle.mabon@univ-ubs.fr  Sabrina.Parent@ulb.ac.be

Les propositions rédigées en anglais doivent être transmises à Sabrina Parent

 

Comité d’organisation

  • Armelle Mabon, Université de Bretagne Sud
  • Sabrina Parent, F.R.S.-FNRS / Université Libre de Bruxelles (Philixte, Mondes modernes et contemporains)
  • Martin Mourre, EHESS/Université de Montréal
  • Xavier Luffin, Université Libre de Bruxelles

 

Comité scientifique

  • Idrissou Alioum, Université de Yaoundé
  • Raphaëlle Branche, Université Paris I Panthéon-Sorbonne
  • Charles Forsdick, University of Liverpool
  • Frédéric Garan, Université de la Réunion
  • Pieter Lagrou, Université Libre de Bruxelles
  • Xavier Luffin, Université Libre de Bruxelles
  • Armelle Mabon, Université de Bretagne Sud
  • Véronique Mercier, Archives départementales du Lot
  • Martin Mourre, EHESS/Université de Montréal
  • David Murphy, University of Stirling
  • Pap Ndiaye, Sciences Po Paris
  • Nicolas Offenstadt,  Université Paris I Panthéon-Sorbonne
  • Sabrina Parent, Université Libre de Bruxelles
  • Jacques Sémelin, CERI (CNRS-Sciences Po)
  • Ibrahima Thioub, Université Cheikh Anta Diop, Dakar

 

 


[1]            ANOM, direction des Affaires militaires (DAM), 74 ; et Service historique de la Défense (SHD), T 5H16 : rapport du général Dagnan, 5 décembre 1944.

[2]          Mémorial du général Leclerc de Hauteclocque et de la Libération de Paris, Musée Jean Moulin, 4 novembre 2011-24 juin 2012.

[3]          Myron J. Echenberg, « Tragedy at Thiaroye: the Senegalese Soldiers’ Uprising of 1944 », African Labor History, 26, n° 4, 1978.

[4]          Discours de François Hollande, Dakar, 12 octobre 2012.

[5]          Jacques Sémelin, Purifier et Détruire, Paris, Le Seuil, coll. Points Essais,  2012.