Questions de société
Marcel Gauchet: «Le gouvernement est en train de trucider la recherche»

Marcel Gauchet: «Le gouvernement est en train de trucider la recherche»

Publié le par Dominique Vaugeois (Source : Marianne2)

(Marianne2.fr, Vendredi 13 Février 2009 - 07:00)

Dans le cadre del'opération «Changeons le programme», le philosophe Marcel Gauchet atenu des propos virulents contre la réforme universitaire, pourfendant«la gravité de ces pseudo réformes irresponsables imaginées parl'actuel gouvernement et ses sbires du monde universitaire».

Durant une longue conférence de près de deux heures à l'Ecole deshautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), Marcel gauchet a prononcéun réquisitoire argumenté contre le programme de réforme gouvernementaldes universités.
L'auteur du désenchantement du monde s'estimant en « état de légitime défense pour une certaine idée du savoir et de la réflexion »a énuméré les motifs de l'anesthésie de la pensée de notre monde.Anesthésie dont le néolibéralisme est la théorisation de l'inutilitéd'un certain savoir, phénomène paradoxal de désintellectualisation parl'avènement d'une société du savoir : « Le néolibéralismeaccompagne un mouvement profond de nos sociétés qui les détournent del'ambition de se penser au nom d'une connaissance qui se substitueraitavantageusement à cette exigence ». Marcel Gauchet décrit ainsiune indigence intellectuelle, une forme de placidité végétative qui serévélera  peu efficace face à la situation difficile traversée par nossociétés.

Une réforme profondément « toxique »
Revenant sur la réforme des universités, Gauchet ne retient pas ses coups, la qualifiant de profondément « toxique ». S'attardant sur la question de l'évaluation des travaux des chercheurs, il estime que la «crise financière témoigne d'une crise du jugement. Du point de vue desinstruments de calculs et d'évaluations des différents acteursfinanciers, tout allait bien, sauf qu'il existait d'énormes faillesdans le paysage pas du tout impossibles à discerner puisque quelquesbons observateurs en avaient fait le diagnostic. Sauf que cesinstruments de calculs interdisaient de prendre en compte ces réalités,d'où le souverain mépris des économistes officiels pour cesavertissements ».

Du vandalisme politique
Sansnier les dysfonctionnements du système universitaire français(massification de l'accès aux universités), le rédacteur en chef de larevue Le Débat dénonce le réformisme de l'actuel président dela République, l'absence de diagnostic préalable, et le fétiche brandide « l'autonomie ».
Dans cette méconnaissance des sujets traitéspar nos politiques, il discerne une forme de cynisme, de méconnaissanceet même de vandalisme : « le gouvernement entreprend de démantelerle CNRS mais sans aucune analyse de ce qui ne marche pas, et sans lamoindre réflexion stratégique sur les conditions d'une rechercheféconde et efficace. Nous avons affaire à une alliance du lobbyindustrialo-universitaire de la recherche appliquée et del'administration centrale pour installer un système de pilotage de larecherche. Or la recherche, cela s'aide mais cela ne se pilote pas, cequi est exigé c'est la souplesse, la réactivité. Nous avons affaire àune administration qui ne rêve que de trucider la recherche. L'important c'est le mot réforme, ce qu'elle recouvre, n'a aucuneimportance. Cette fois-ci on l'appelle autonomie ».

Le chassement de Shanghaï : traumatisme pour nos élites de bons élèves
Le philosophe s'amuse alors d'un événement burlesque, «un séisme pour nos élites de bons élèves qu'a provoqué la publicationdu classement de Shanghai en 2003. Traumatisme que de découvrir que lesétablissements, dont ils étaient fiers d'avoir été, occupaient desplaces pitoyables. Nous subissons le choc de cette découverte. Lespolitiques universitaires sont entièrement guidés par l'obsession delaver l'affront et de remonter dans le classement de Shanghai sans lamoindre réflexion publique sur la signification de ce classement, surses biais et les problèmes posés par ce classement ».

Le système le plus performant du monde…
Marcel Gauchet n'hésite d'ailleurs pas à affirmer que le système universitaire français est le plus performant du monde« parce qu'il produit le plus avec le moins de moyens, ce qui ne veutpas dire que la performance finale est optimale mais nous soutenonstrès honorablement la comparaison avec nos collègues américains alorsqu'en termes de moyens nous devrions être quelque part au niveau duBurkina Fasso. Il demeure donc une vraie compétitivité de ce systèmequels que soient ses défauts ».

Avant de conclure enpointant l'un des défauts majeurs du système américain, souventprésenté en exemple par ces élites surdiplômées. « Il est incapable de se reproduire par lui même mais ne survit que par le débauchage d'élites étrangères ».

-- Régis Soubrouillard

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