Collectif
Nouvelle parution
M. Residori (dir.), Espaces chevaleresques et héroïques de Boiardo au Tasse

M. Residori (dir.), Espaces chevaleresques et héroïques de Boiardo au Tasse

Publié le par Florian Pennanech (Source : Matteo Residori)

Matteo Residori,Espaces chevaleresques et héroïques de Boiardo au Tasse, Paris : CIRRI-Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle, 2008, 290 p.

  • ISBN : 978-2-900478-29-5
  • Prix : 24 €


Présentation de l'éditeur :

Forêts, grottes, sources, rivières, îles désertes, villes assiégées, jardins merveilleux, palais enchantés : les poèmes narratifs de la Renaissance italienne sont des mondes en miniature, qui accueillent les trajectoires solitaires des chevaliers errants comme les exploits collectifs des armées héroïques. C'est d'abord cette topographie qu'explorent – dans ses aspects structurels, symboliques et stylistiques – les sept études réunies dans ce volume, en se penchant sur la saison classique du genre chevaleresque, celle que délimitent les oeuvres de Boiardo et du Tasse. Elles portent également sur des auteurs moins connus et s'aventurent dans des espaces insolites : le royaume des airs, le ventre des îles-baleines, la surface ouvragée et immensément dilatée des boucliers magiques. Ces mondes imaginaires, fermés sur eux-mêmes et issus de traditions souvent anciennes, n'en reflètent pas moins les importants changements d'ordre culturel, politique et religieux qui marquent le début des Temps modernes en Italie. En décrivant les évolutions les plus significatives dans le traitement poétique de l'espace, ce volume propose aussi un nouveau regard sur l'histoire du genre, de ses racines chevaleresques jusqu'à la transformation héroïque qui annonce sa disparition.


Sommaire :

Présentation

Riccardo Bruscagli, Il paesaggio di prova tra Boiardo e Ariosto

Pascaline Nicou, Les espaces enchantés de l'Inamoramento de Orlando de Boiardo : une transformation ludique des topoï antérieurs

Giuseppe Sangirardi, Parva sed apta mihi

Juan Carlos D'Amico, Les boucliers dans les poèmes chevaleresques : entre modèles classiques, Histoire et prophétie

Eugenio Refini, L'île qui bouge. Quelques remarques sur un lieu commun de la tradition chevaleresque à la Renaissance

Luciana Borsetto, « Andar per l'aria ». Tipologie e funzioni del volo nella tradizione deI romanzo cavalleresco

Matteo Residori, Sources de la vérité et fontaines de la fiction dans la Jérusalem conquise du Tasse

Index des noms de personnes


Résumés :

Riccardo BRUSCAGLI, Il paesaggio di prova tra Boiardo e Ariosto

Dès ses origines médiévales, la littérature chevaleresque est marquée par l'ambivalence de cet espace par excellence topique qu'est le ‘désert' romanesque. Cadre idéal des exploits des chevaliers, qui le sillonnent en quête d'aventures, celui-ci est en même temps un lieu éminemment littéraire, où les héros semblent se conformer à un rituel bien connu et répéter des trajectoires déjà écrites. Pour éviter d'être réduite à un jeu autoréférentiel et redevenir le moment privilégié d'une confrontation entre le chevalier et le monde, l'aventure exige donc que son sens soit constamment réinventé. Parmi les grands auteurs italiens de poèmes chevaleresques, c'est Boiardo qui accomplit la tentative la plus aboutie dans ce sens, par le biais d'un dialogue avec la tradition chevaleresque qui n'ignore pas les débats éthiques contemporains. L'aventure de Roland et, dans une moindre mesure, celle de Mandricard (Roland amoureux I V et III I-II) se placent ainsi sous le signe de l'alliance ‘bretonne' entre armes et amours, mais récupèrent également des éléments de la réflexion éthique de l'Humanisme. C'est en revanche une véritable déconstruction de l'héroïsme chevaleresque que mettra en scène l'Arioste dans l'épisode de la forêt calédonienne (Roland furieux IV), ses personnages ne pouvant désormais que se promener ‘en touristes', avec une distance ludique qu'incarne de manière exemplaire Astolphe, dans les espaces littéraires de l'aventure.


Pascaline NICOU, Les espaces enchantés de l'‘Inamoramento de Orlando' de Boiardo : une transformation ludique des topoï antérieurs

Les espaces enchantés de l'Inamoramento de Orlando de Boiardo sont un observatoire privilégié de la transformation ludique des topoï antérieurs. En effet, l'entrée dans ces espaces est liée à l'amour et la sortie met en jeu les nouvelles valeurs des chevaliers de Boiardo, plus pragmatiques que les héros carolingiens ou même arthuriens. Boiardo s'inspire du modèle des romans arthuriens pour construire ses espaces, clos, entourés d'eau et truffés de pièges et de monstres, mais il les hybride avec des modèles classiques, mythologiques ou dantesques. Le plongeon extraordinaire dans l'eau et la sortie beaucoup plus aisée de ces espaces illustrent le pied de nez de Boiardo à la tradition, tout comme, au niveau stylistique, le mélange des registres haut et bas, Boiardo empruntant à Boccace, Dante ou Pétrarque des syntagmes qui se heurtent les uns les autres.


Giuseppe SANGIRARDI, Parva sed apta mihi

La modestie de la demeure réelle de Ludovico Ariosto était-elle compatible avec le grandiose des palais fantastiques que son imagination et sa mémoire littéraire bâtissent dan le Roland Furieux ? La question, évoquée dans les anecdotes sur la biographie du poète, n'est pas si anecdotique. Un imaginaire de la demeure se tisse discrètement au fil des oeuvres de l'Arioste, qui nous renseigne sur la forme même de son désir. Une dialectique se fait jour, en effet, entre des icônes du ‘petit', de l'intime, présentes notamment dans les Satires mais aussi dans quelques idylles pastorales du roman, et des icônes de l'immense et du précieux, caractéristiques du Roland furieux. Or si cet objet du désir qu'est le palais romanesque (semblable en ceci à la maison qui figure dans les comédies, écrin d'objets convoités difficilement violable) fait surgir en même temps, dans le mouvement d'expansion qui caractérise sa conception, le fantasme menaçant des rivaux, le repli qui produit la maison-cellule ou la maison-cabane se profile comme un geste de protection par l'exclusion des rivaux. Mais rétrécir la demeure pour en exclure les rivaux signifie aussi réduire la portée du désir, taire son ampleur. C'est pourquoi l'imaginaire de la ‘maison' littéraire de l'Arioste ne vit que de son double mouvement, tout comme double est la respiration rythmique qui génère en même temps la ‘petite' mais confortable ottava et l'immense construction labyrinthique du roman.


Juan Carlos D'AMICO, Les boucliers dans les poèmes chevaleresques : entre modèle classique, Histoire et prophétie

Cet article explore les différentes manières dont les poètes italiens de la Renaissance utilisent la surface d'un bouclier ouvragé comme un espace métaphorique, le plus souvent structuré par un ensemble d'images évoquant des concepts liés à la magie, au divin ou au merveilleux. Le parcours à travers l'analyse de cet espace nous a permis de constater comment la modification des images coïncide souvent avec le devenir historique et l'évolution des modes littéraires. Au XVIe siècle, le modèle qui finira par s'imposer sera celui d'Énée, dont la construction iconographique est structuralement différente du bouclier d'Achille. En effet, dans le modèle virgilien, deux exigences narratives généralement liées à des préoccupations extra-diégétiques des auteurs se matérialisent : l'imposture temporelle de la prophétie post eventum et l'ekphrasis dynastique. La surface du bouclier devient ainsi un espace ouvert sur le temps de l'avenir intégrant à la fois l'Histoire et l'époque contemporaine de l'auteur. La marche progressive vers l'adoption du modèle virgilien du bouclier connaîtra des moments importants dans les oeuvres de Ludovico Ariosto, de Luigi Alamanni et de Danese Cattaneo dans la logique d'une poétique de plus en plus mimétique vis à vis des poèmes classiques.


Eugenio REFINI, L'île qui bouge. Quelques remarques sur un lieu commun de la tradition chevaleresque à la Renaissance

Parmi les espaces de la tradition chevaleresque, ceux qu'offre aux aventures des héros le vaste corps des baleines – îles trompeuses et mobiles, cavernes immenses et accueillantes – acquièrent à la Renaissance une importance et des significations nouvelles. L'étude de quelques textes chevaleresques reprenant ce topos (de Boiardo à Folengo, en passant par l'Arioste et Cassio da Narni) permet de faire apparaître des constantes et des différences dans la manière dont les auteurs exploitent le potentiel symbolique de cet animal légendaire. Qu'il mette en scène l'enlèvement du héros par une île-baleine ou son engloutissement par le monstre marin, le topos offre aux poètes l'occasion de questionner la vraisemblance du récit chevaleresque et, plus généralement, le statut fictionnel de la littérature. Ces deux versions du topos ont d'ailleurs tendance à se superposer et à se confondre, et rendent ainsi possible un jeu intertextuel malicieux consistant à faire dialoguer le livre biblique de Jonas avec l'Histoire vraie de Lucien. L'article se penche également sur l'histoire complexe dont est issu le topos de la baleine. En s'appuyant sur la tradition allégorique ancienne et médiévale, mais aussi sur les premiers traités modernes de paradoxographie et d'histoire naturelle, il est en effet possible d'indiquer les raisons du succès persistant de cette image qui, en dépit du traitement ironique ou burlesque dont elle peut faire l'objet, ne cesse de fasciner les hommes même à l'époque du 'désenchantement du monde'.


Luciana BORSETTO, « Andar per l'aria ». Tipologie e funzioni del volo nella tradizione del romanzo cavalleresco

L'article étudie l'espace du vol tel qu'il est traité dans quelques romans chevaleresques du XVIe siècle (dont La fede de M. Guazzo, l'Agrippina de P. M. Franco, l'Artemidoro de M. Teluccini, l'Amadigi de B. Tasso, La genealogia della gloriosissima casa d'Austria de G. Bossi). Tout en se situant dans la lignée des grands poèmes de Pulci, de Boiardo et de l'Arioste, ces textes s'en écartent de plusieurs manières, et notamment par un tropisme épique de plus en plus manifeste. Malgré la modestie des résultats poétiques, les poèmes appartenant à cette tradition se révèlent extrêmement inventifs dans le registre du ‘merveilleux' et proposent un large éventail de déclinaisons du thème du vol, concernant aussi bien le choix de la ‘machine à voler' que la nature et la représentation du voyage aérien, sans oublier la fonction narrative et symbolique qui lui est attribuée. L'étude de ce thème permet également d'apprécier le succès du paradigme narratif et imaginaire qui le sous-tend, ainsi que de mesurer la transformation que celui-ci connaît, dans le cadre de l'évolution du genre chevaleresque, tout au long du XVIe siècle.


Matteo RESIDORI, Sources de la vérité et fontaines de la fiction dans la ‘Jérusalem conquise' du Tasse

En réécrivant la Jérusalem délivrée, le Tasse affiche sa volonté de combler tous les espaces ‘vides' que laisse le décor romanesque, pour imposer au lecteur la vérité univoque d'un texte saturé de signes. Le livre XII de la Jérusalem conquise constitue un échantillon exemplaire pour analyser cette stratégie. Situé au centre du nouveau poème, il campe le conflit entre Filagliteo, le mage chrétien, et sa rivale païenne Armide, et dessine par là l'opposition entre deux genres de littérature : la poésie ‘véridique', qui vise à la transparence symbolique et à la plénitude signifiante, et l'artifice sophistique, qui au contraire multiplie arbitrairement les images et les opinions. Cette opposition s'inscrit dans le décor même de l'épisode, véritable encyclopédie naturelle organisée autour de l'image de la source, que le texte décline de plusieurs manières et qui concentre en elle un riche matériau intertextuel. Lieu où se rencontrent nature et transcendance, la source constitue le paradigme d'une lecture correcte du livre du monde et fournit en même temps un protocole pour la construction d'un texte littéraire exemplaire. Dans ce cadre, la fontaine qui se trouve dans le royaume d'Armide et qui fait l'objet d'une curieuse réécriture ‘archéologique', manifeste d'autant plus clairement les dangers d'une poésie repliée sur elle-même et fière de son indépendance à l'égard de la vérité.