Questions de société

"Lycées et universités, un projet de société", par Thibault Leroy, 25/01/18

Publié le par Bérenger Boulay (Source : SLU)

Lycées et universités, un projet de société 

Thibault Leroy, blog hébergé par Médiapart, 25 janvier 2018

 

 

Les grandes lignes de la réforme du lycée sont désormais connues avec la publication du rapport Mathiot. Rien n’est vraiment appris pour qui s’y intéresse de près, tant les rumeurs étaient nombreuses. L’articulation avec la réforme du supérieur promet un système éducatif inégalitaire, à chacun sa place.

 

Pour qui aurait besoin de réviser, rappelons l’essentiel : le lycée général et technologique actuel avec ses différentes filières et son baccalauréat laissera la place à un lycée semestrialité, où les élèves choisiront des matières « majeures », examinées à la fin de leur cursus, et des matières « mineures ». Un certain nombre de couples sont prévus : maths-physique-chimie, maths-informatique, Lettres-arts, SES-histoire-géographie, neuf en tout. A cela s’ajoute un « oral », à l’italienne, évaluant en présence de personnalités extérieures à l’Education nationale les élèves sur leur culture générale en fonction de sujets préparés en amont. Enfin, un tronc commun demeure, parmi lesquels le Français, évalués en fin de première, ou l’Histoire, consacrant des disciplines considérées comme le socle indispensable de la Nation. Signalons, qu’à Médiapart, cette réforme est très bien chroniquée, et nous renvoyons à tous les articles déjà publiés.

Commençons par dire que le système actuel n’était pas, loin s’en faut, parfait. On connaît les reproches qui lui sont faits, rappelés dans le rapport : le bac est une charge coûteuse et lourde en terme d’organisations, bloquant tout le mois de juin, qui disparaît de fait des emplois du temps. Les séries S, ES, L souffraient de déséquilibres évidents, tant la première paraissait offrir aux familles un choix stratégique pour que leur enfant trouve une formation qui lui permette de s’intégrer sur le marché du travail. Concédons aussi que par des emplois du temps chargés et des enseignements obligatoires nombreux, les élèves n’étaient pas toujours des plus motivés par l’ensemble des matières qu’ils avaient l’obligation de suivre. Enfin, on peut accepter d’entendre que l’organisation d’un galop d’épreuves s’étalant sur une semaine à la fin de leur scolarité oblige les candidats à « bachoter », sans forcément considérer au mieux les enseignements, les questionnements multiples et abstrait, la curiosité ; aboutissant à ce qu’ils se désintéressent du secondaire, du détail, du périphérique. En histoire, l’absurdité est allée loin, jusqu’à la capitulation : nos élèves de série générale n’ont plus qu’à apprendre par cœur des croquis préparés par leurs enseignants, des plans et des cours donnés par leurs enseignants, sans que jamais on n’évalue réellement ce qui fait le sel de la discipline : la critique, la recherche du contradictoire, la démonstration d’un point de vue par l’administration de preuves scientifiquement rassemblées. Surtout, la simple question par définition non évaluable qu’on nomme « problématique » par paresse, mais qui amène à comprendre le monde tel qu’il est : injuste ; et à envisager que d’autres avant avaient fait le constat, ont combattu, l’ont changé. Voir, tout simplement, victoire modeste, quand on lit dans le regard l’émerveillement parce qu’ « il » a compris. Il n’y a pas de note pour ça, et tous les profs comprendront de quoi je parle.

Mais c’est un autre reproche central qui est fait : le baccalauréat aurait perdu sa crédibilité, en tant que premier grade dans l’enseignement supérieur. Constat largement partagé, du ministère à la salle des profs : le bac, aujourd’hui, on le donne, alors on ne peut plus les « tenir » avec ça. Sous-entendu, à quoi bon faire subir un examen si tout le monde l’obtient ? Sous-entendu, un examen n’est-il pas valable, digne, glorieux, si il n’y a pas aussi des recalés ? Il faut rehausser le niveau (qui n’en finit plus de baisser), répéter aux tirs-aux-flancs (qui n’en finissent plus de saper l’autorité des profs et de ne rien apprendre) qu’ils n’ont pas leur place, ça leur fera les pieds. Le monde est une compétition, il y a les gagnants et « ceux qui ne sont rien ».

Il ne peut y avoir de société libérale, moins encore de projet politique libérale, sans une école libérale, capitaliste, dans son sens absolu. Et c’est bien comme cela qu’il faut lire les projets macroniens pour l’université et pour le lycée. C’est un modèle culturel de société qui est défendu. Edicter des attendus pour sélectionner à l’entrée des universités, ou rendre au baccalauréat sa superbe par des épreuves et des orientations socialement discriminantes – réussir le grand oral, obtenir le bac dans un bon lycée qui garantira le dossier idoine pour les grandes écoles et demain les grandes université – ce sont des modèles éducatifs qui existent déjà, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis. Les plus pauvres, les moins chanceux, moins dotés en capitaux sociaux et culturels, moins bien logés, en zones périphériques plutôt que dans les centres des villes, sont renvoyés aux cursus secondaires d’universités qui seront secondaires.

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