Questions de société
Lettre ouverte de la Fsu à V. Pécresse, L. Chatel et B. Lemaire sur la masterisation (15/04/11)

Lettre ouverte de la Fsu à V. Pécresse, L. Chatel et B. Lemaire sur la masterisation (15/04/11)

Publié le par Bérenger Boulay

[ Rappel concernant la FSU et la mastérisation: la direction de la Fsu avec Darcos, mai 2009 ]

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SNES-FSU - SNEP-FSU - SNUEP-FSU - SNETAP-FSU - SNPI-FSU

http://www.snepfsu.net/actualite/lettre/15avr11.php 

Lettre ouverte à

Valérie Pécresse, Ministre de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche
Luc Chatel, Ministre de l'Education Nationale
Bruno Le Maire, Ministre de l'Agriculture, de la Pêche, de la Ruralité et de l'Aménagement du Territoire

Madame la Ministre,
Messieurs les Ministres,

La réforme de la formation des maîtres a produit dès cette année des effets désastreux immédiatement visibles : dégradation des conditions d'entrée dans le métier des stagiaires, nouvelle baisse importante du nombre de candidats présents aux concours, difficultés à trouver des tuteurs, affaiblissement du potentiel de formation des IUFM … Ces effets immédiats entraînent l'amplification d'un phénomène déjà inquiétant de baisse d'attractivité des métiers de l'éducation, produit de l'insuffisance chronique des recrutements depuis 2004 et de la dévalorisation des métiers. L'absence de cadrage national, la désorganisation des cursus de formation au niveau des masters, le manque d'articulation entre la préparation au concours et celle du master, l'absence de cadrage national hypothèqueront gravement l'avenir des futurs enseignants et CPE. C'est pourquoi le Gouvernement doit mettre en oeuvre une politique d'augmentation et de programmation des recrutements, de
pré-recrutements et, en tant qu'État employeur, de formation professionnelle de ses personnels.

Il y a une double urgence : ne pas laisser les choses se dégrader plus et poser les jalons d'une véritable amélioration. Les déclarations récentes laissent plutôt penser qu'aucune de ces deux urgences n'est prise en compte et la proposition de « master en alternance » semble surtout guidée par le souci de constituer un vivier de remplaçants à peu de frais plutôt que par des objectifs de formation.

Un tel constat nécessite d'aller au-delà de la seule critique. Si la FSU demande le retrait de cette réforme, c'est bien pour reconstruire une véritable formation professionnelle des enseignants et non revenir à la situation antérieure ou procéderà des aménagements à la marge. Certaines propositions sont à interroger sur le plan des conséquences qu'elles entraînent : par exemple, notamment pour le second degré, le positionnement de l'admissibilité en M1 risquerait d'entraîner un pilotage du master par le concours, difficilement compatible avec la logique universitaire. Il organiserait la sélection en particulier des futurs enseignants des disciplines techniques, professionnelles, sportives et artistiques uniquement sur des écrits. Et il ne règlerait pas les problèmes de gestion des flux d'étudiants et de reconversion pour les étudiants collés à l'issu du concours ou
désireux de poursuivre en doctorat.
Les syndicats de la FSU soussignés rappellent que l'idéal est une formation pensée sur un modèle « intégré » qui prenne en compte les différentes dimensions (disciplinaires, didactiques, pédagogiques, …) de manière progressive tout au long du cursus et qui soit conçue selon un continuum de la licence à l'entrée dans le métier, puis avec la formation continue ; mais ceci n'est possible qu'avec des étudiants choisissant très tôt de préparer les concours de recrutement d'enseignants. On ne peut exclure le cas d'étudiants le décidant tardivement, voire après le Master ou par VAE. La proposition ci-après chercheà concilier l'ensemble des parcours.

Nos préoccupations sont simples : avoir des enseignants bien formés est un enjeu déterminant pour l'école et la société tout entière. Former un professeur demande du temps. Cela impose de réfléchir à un cursus progressif jusqu'à la première année de titulaire si l'on veut construire une formation basée sur l'articulation des acquis disciplinaires et professionnels. Nous faisons deux propositions essentielles dont une pour le très court terme afin de ne pas sacrifier encore une génération d'étudiants (et d'élèves au bout du compte) :

  • sachant que les reçus aux concours de cette année ne seront pas mieux formés que ceux de l'année précédente, il faut rétablir immédiatement a minima la formation en IUFM pour 2/3 du temps en alternance avec 1/3 de temps devant les élèves. Dispositif qui existait avant la réforme.
  • offrir aux néo-titulaires entrant en fonction à la rentrée 2001 au moins un mi-temps leur permettant de compenser les manques de cette année.

Diversifier les voies d'accès aux concours

Pour le plus long terme, nos propositions ont l'ambition d'élever le niveau de qualification de tous les personnels
d'enseignement et d'éducation par l'obtention d'un master, sans décrochage entre les différents degrés d'enseignement, tout en intégrant la réalité des métiers, de prendre en compte les différences entre les disciplines, d'intégrer dans le processus tous les enseignants de LP et de prendre en compte les différents parcours des candidats. Pour relever ce défi, il est nécessaire de dépasser les contradictions actuelles en sortant des cadres de pensée qui considèrent qu'un système unique résoudra l'ensemble de ces préoccupations. La qualification reconnue pour tous les enseignants doit demeurer la même : celle du master. Cela implique le maintien de la même grille indiciaire pour les professeurs des écoles, les certifiés, les PLP, les PEPS et les CPE.

Une première voie s'adresserait aux étudiantes et étudiants qui font le choix des parcours préparant au métier d'enseignant précocement dans leur cursus universitaire. Les deux autres voies seraient offertes aux autres étudiants ou aux personnes en situation de reconversion. Ces trois voies débouchent sur une même qualification et le pari que tous doivent avoir en fin de cursus des compétences permettant d'exercer ce métier de conception. Dans les trois cas, la place et les contenus de concours doivent être revus.

La première voie reposerait sur un cursus progressivement professionnalisant dès la Licence. Ce cursus serait suivi d'une entrée dans le métier avec l'équivalent d'au moins un mi-temps consacré à la formation. Elle permet une réelle formation intégrée qui articule au mieux formation scientifique et professionnelle. Elle nécessite des pré-recrutements destiné sà attirer les jeunes vers le métier et/ou anticiper les flux et éviter les impasses et les difficiles reconversions. Les pré-recrutements permettraient non seulement un financement des études, mais aussi de constituer des viviers dans toutes les disciplines, générales et professionnelles, réguler et orienter celles et ceux qui souhaitent, tôt dans leur scolarité, devenir enseignant-es ou CPE. Ce qui peut être actuellement vécu comme une dépense, dans une logique aveugle de gestion des moyens, est en réalité un investissement pour l'avenir.

Pour l'étudiant, être pré-recruté le libère non seulement de contraintes financières, mais le rend disponible pour
assumer une quantité de travail spécifique et exigeante, ce qui lui permet de suivre les modules de préprofessionnalisation tout en acquérant les compétences et savoirs spécifiques au master, permettant d'autres possibilités de débouchés que le métier d'enseignant.
Ces pré-recrutements peuvent se faire à tout niveau afin de permettre aux étudiants de milieu populaire de s'engager dans les études. Suivant le niveau où ils ont lieu, le contenu des épreuves est adapté.
Les modules de pré-professionnalisation, obligatoires pour les étudiants pré-recrutés, devraient être accessibles à tous tout au long du cursus.
Lors du concours commun aux deux premières voies, les pré-recrutés pourraient bénéficier d'aménagements ou de dispenses d'épreuves pour tenir compte de leur cursus professionnalisant.

La seconde voie serait destinée aux candidats déjà titulaires d'un Master au moment des épreuves. Le concours doit tenir compte du fait qu'ils n'ont pas eu de pré-professionnalisation. Suivent deux années en alternance réelle (pratique accompagnée, puis responsabilité, didactique, connaissance du milieu…).

La troisième voie serait une voie de reconversion, par voie de VAE, avec un concours spécifique. Cette voie pourrait s'adresser à celles et ceux qui ont déjà eu une activité professionnelle, ou dans le cas de disciplines qui ne disposent pas de cursus universitaire. Après le concours il y aurait, là aussi, deux années de formation en alternant théorie et pratique.

Dans tous les cas, des préparations aux concours doivent être organisées dans le cadre de l'université.

La recherche « en-sur-pour » l'éducation doit permettre de faire un bond qualitatif

Il faut aujourd'hui un véritable plan de rattrapage pour mieux éclairer les problématiques d'éducation et d'enseignement. Comment dépasser les constats sur l'échec scolaire sans irriguer la réflexion et l'aide aux choix stratégiques ? La recherche permet le développement de savoirs sur les apprentissages et, diffusée auprès des enseignants, constitue un levier de la réussite des élèves.

Une étape décisive doit être franchie, c'est un des enjeux d'une réelle élévation de la qualification. Un bilan et une mutualisation doivent précéder la mise en place systématique de réseaux inter-universitaires et inter-composantes. Enfin l'Etat doit impulser de grands projets nationaux qui articulent production scientifique et expérimentations de terrain et s'appuient sur des équipes pluri-catégorielles.

Formation par la recherche

Reconnaître aux enseignants l'obligation d'avoir un master implique la formation par la recherche. Il ne s'agit pas simplement de prodiguer des enseignements sur les produits de la recherche ou sur les méthodologies mais véritablement de confronter tout enseignant aux exigences et à la rigueur de la production de connaissances, lui offrant ainsi, outre une plus grande qualité professionnelle, la possibilité ultérieure d'une formation continue fructueuse, formation qu'il s'agit d'offrir effectivement.

Dans le cadre de la formation continue, il faut concevoir un plan spécifique de formation des tuteurs qui ont un rôle déterminant dans la liaison Université/IUFM-terrain. Les maîtres formateurs du premier degré doivent ainsi pouvoir accéder aux masters de formation de formateurs par VAE ou dans le cadre de la préparation du CAFIPEMF.

Revoir les concours

Les concours actuels devront être revus. En l'état, bâtis à la hâte et sans concertation suffisante, ils ne répondent pas aux exigences et besoins du moment. L'alignement de tous sur 4 épreuves ne correspond pas aux critères d'évaluation, ni sur le plan universitaire, ni par rapport au métier à venir. Nous demandons de mettre en perspective leur évolution après un véritable travail avec les formateurs, le recruteur et les organisations professionnelles représentatives.

En conclusion, les syndicats SNES-FSU, SNEP-FSU, SNUEP-FSU, SNETAP-FSU, SNPI-FSU demandent de ne pas reproduire les erreurs des années passées, sans vision politique globale des enjeux, et donc d'éviter tout bricolage qui montrera vite ses limites. Nous voulons nous inscrire dans une temporalité plus longue et plus sérieuse pour un sujet de cette importance. Le rôle et la fonction de l'Université d'une part, et la formation des enseignants de demain, qui formeront l'ensemble de la nation, méritent que l'on s'y attarde de façon ambitieuse. A cet effet, nous réitérons notre demande d'une concertation associant les différentes composantes intervenant dans la formation des maîtres et les organisations syndicales représentatives.

Veuillez croire, Madame la Ministre, Messieurs les Ministres, à notre haute considération.


Frédérique Rolet pour le SNES-FSU
Serge Chabrol pour le SNEP-FSU
Jérôme Dammerey pour le SNUEP-FSU
Jean-Marie Le Boiteux pour le SNETAP-FSU
Michel Gonnet pour le SNPI-FSU