Questions de société
Lettre de P. Gonthier (Unsa) et T. Cadart (Sgen) à V. Pécresse & X. Darcos (juin 2009)

Lettre de P. Gonthier (Unsa) et T. Cadart (Sgen) à V. Pécresse & X. Darcos (juin 2009)

Publié le par Bérenger Boulay

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"Le front syndical n'est pas unanime sur les solutions, mais récusela vision gouvernementale de la réforme de la formation desenseignants. Nouvel épisode : l'UNSA et le CFDT ont envoyé une lettrecommune aux deux ministres qui détaille leur vision de la réforme.
Quelleréponse auront-ils ? Les ministres, confortés par le résultats desélections européennes, auront-il envie de ralentir le cours desréformes alors qu'ils ont plutôt donné des signes montrant leurimpatience d'en finir ?"

http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2009/06/mast%C3%A9risation-unsa-et-cfdt-%C3%A9crivent-%C3%A0-p%C3%A9cresse-et-darcos.html

Patrick GONTHIER, 
Secrétaire général, 
FÉDÉRATION UNSA ÉDUCATION, 
87 bis avenue Georges Gosnat 
94853 — Ivry‐sur‐Seine Cedex 

Thierry CADART, 
Secrétaire général, 
FÉDÉRATION DES SGEN‐CFDT 
 47/49 avenue Simon‐Bolivar, 
75950 — Paris Cedex 19 


à  

Madame Valérie PÉCRESSE, 
Ministre de l'Enseignement supérieur  
et de la Recherche  

Monsieur Xavier DARCOS, 
Ministre de l'Éducation nationale 
Objet : formation et recrutement des enseignants 

Madame la Ministre, 
Monsieur le Ministre, 


La formation des enseignants est à la croisée des chemins. Compte tenu de l'urgence de la  situation,  la  fédération  des  SGEN‐CFDT  et  la  fédération  UNSA  Éducation  ont  jugé  nécessaire de vous interpeller solennellement. 


En effet, l'examen précipité des projets de décrets sur les concours de recrutement par le Comité technique paritaire ministériel de l'Éducation nationale et, bientôt, par le Conseil  supérieur  de  la  fonction  publique  de  l'État,  « préempte »  l'avenir,  alors  même  que  la  commission de concertation Marois‐Filâtre n'a pas achevé ses travaux. Une rupture risque  d'en découler, notamment avec le monde universitaire.  


Nous avons pourtant enregistré, dans la procédure de concertation qui s'était amorcée, des  avancées  réelles,  qu'il  s'agisse  des  mesures  transitoires,  du  contenu  des  concours,  de  l'année  de  fonctionnaire  stagiaire  ou  d'une  rénovation,  fondée  sur  un  plus  haut  degré  d'exigence, de l'agrégation. 

Nous  comprenons  d'autant  moins  une  crispation  que  rien  n'explique.  Les  organisations syndicales présentes lors de la concertation ont exprimé leur accord avec la nécessité, pour les futurs enseignants, de recevoir le grade de master (M2) avant d'être nommés  fonctionnaires  stagiaires.  Or  quatre  questions  majeures  risquent  de mettre  en péril  un fragile équilibre : la place du concours ; la prise en compte, pour tous les enseignants, du « référentiel de compétences » ; la nécessité d'un cadrage national ; la situation des IUFM. La place du concours, envisagée en cours de deuxième année de master (M2) pose un  triple‐problème :  

Elle  risque  de  conduire  dans  l'impasse  cinq  étudiants  sur  six  engagés  dans  un  master  « enseignement »  qui  n'auraient  aucune  perspective  d'emploi,  avec  un  mécanisme désastreux, socialement inacceptable, générant quelque 100 000 « reçus collés », alors même que l'insertion professionnelle figure dans les missions que la loi donne aujourd'hui à l'Université. L'argument visant à évoquer des « masters larges » paraît vain, tant il est évident que la dimension professionnelle sera nécessairement  très prégnante.; 

Pour des raisons d'organisation que  tout président d'université, directeur d'UFR ou responsable de master connaît, elle conduirait à la « cannibalisation » des autres masters qu'il serait impossible d'organiser et qui pourraient purement et simplement disparaître. La situation serait notamment catastrophique à court terme en lettres et sciences  humaines,  quand,  pourtant,  le  besoin  d'élargir  les  recrutements  à  des formations qui ne soient pas seulement fondées sur le « tout mathématique » sont 
ressenties jusque dans les écoles de commerce. 

Enfin,  elle  poserait  des  problèmes  considérables  en  matière  d'organisation  de stages de terrain qui, de surcroît devraient s'exercer « en responsabilité ». Ce ne serait ni dans l'intérêt des étudiants ni dans celui des élèves. 


Les  deux  fédérations  (UNSA  Éducation  et  SGEN‐CFDT)  ont  proposé  une  autre  solution, 
compatible  avec  l'esprit  de  la  mastérisation :  un  concours  organisé  sur  une  année  en 
glissement,  avec,  en  fin  de  M1,  une  admissibilité  calibrée  (en  fonction  des  besoins  de 
recrutement  étendus  aux  recrutements  sur  listes  complémentaires  et  à  une  marge  de 
sécurité) et, à l'issue du M2, les épreuves définitives d'admission.  
Cette proposition permettrait, au travers de ce que nous avons nommé une « organisation 
des  masters  en  râteau  (forte  dimension  disciplinaire  en  M1  avec  une  initiation  à  la 
recherche,  spécialisations  plus  variées  en  M2  dans  le  cadre  de  masters  « unifiés », 
professionnels  ou  de  recherche),  de  prendre  en  compte  la  situation  des  étudiants  non 
admissibles  ne  souhaitant  pas  refaire  une  année  supplémentaire  de  préparation  aux 
concours. 
La question du « référentiel unique de compétences », élément de l'unicité du métier 
enseignant est une question majeure. Enseigner est un métier qui nécessite tout à la fois la 
maîtrise  des  connaissances  et  compétences  que  requiert  l'enseignement  de  la  ou  des 
disciplines,  mais  aussi  la  connaissance  du  milieu  professionnel  dans  lequel  exercent  les 
enseignants.  La  première  compétence  requise  des  enseignants  est  qu'ils  agissent  en 
fonctionnaires de l'État, avec les droits mais aussi les obligations que cela implique. 
Cette dimension doit être présente dans le concours. Elle implique, pour l'ensemble des 
concours, une épreuve de connaissance générale du système éducatif. Au moment même où 
l'on insiste sur la nécessité de développer la sensibilité de tous les acteurs aux enjeux d'une 
orientation active, ou encore sur la continuité entre les différents ordres d'enseignement, 
nos  deux  fédérations  (SGEN‐CFDT  et  UNSA  Éducation)  considèrent  que  cette  exigence 
s'impose pour tous les enseignants.
La  demande  d'un  cadrage  national,  copiloté  par  vos  deux  ministères  a  fait  l'objet  d'un 
accord  large  des  organisations  présentes  à  la  concertation.  Ce  cadrage  doit  servir  à  la  fois  à 
définir  le  contenu  attendu  des  nouveaux  masters,  à  guider  la  place  de  chaque  composante 
dans  leur  mise  en  place  ,  à  expliciter  les  apprentissages  requis  et  à  établir  une  carte 
nationale  des  formations  pour  éviter  que  ne  se  créent    des  « déserts ».  Les  deux  fédérations 
UNSA  Éducation  et  SGEN‐CFDT  demandent  que,  au‐delà  de  déclarations  d'intention,  cette 
question  soit  traitée  concrètement.  Si  chacun  des  deux  ministères  concernés  a  ses 
responsabilités  et  sa  sphère  d'intervention  propres,  il  n'en  demeure  pas  moins  que  toute 
décision  prise  ici  peut  avoir  des  répercussions,  et  non  des  moindres  comme  nous  l'avons 
montré sur la question des concours, là. 
Sans  remettre  en  cause  l'autonomie  des  universités  ou  l'indépendance  pédagogique  des 
structures  de  formation  (comme  les  actuels  IUFM  ou  les  UFR  assurant  des  préparations  aux 
concours), il faut veiller à la cohérence qu'imposent des concours à caractère national. Cette 
cohérence  passe  par  deux  éléments  :  une  grille  d'évaluation  s'appuyant  sur  le  référentiel 
unique  de  compétences  et  l'obligation  d'une  signature  des  maquettes  à  la  fois  par  une 
composante  professionnelle  et  une  composante  académique.  L'importance  du  référentiel 
unique  de  compétences  doit  être  réaffirmée  à  cet  égard.  Mais  il  faut  aussi  veiller  à  un 
équilibrage  géographique  des  préparations,  y  compris  pour  des  raisons  d'attractivité  du 
vivier.  
La  question  des  stages  de  terrain  est  un  élément  important  d'un  tel  cadrage.  Poser  les 
stagiaires  comme  des  pions  avant  de  les  ramener  en  formation  universitaire  n'a  guère  de 
sens  et  ne  donne  guère  de  sens  au  stage,  réduit  à  une  expérience  nécessairement  limitée 
dans le temps. 
Les  deux  fédérations  SGEN‐CFDT  et  UNSA  Éducation  préconisent  donc  la  mise  en  oeuvre  de 
stages  co‐préparés,  sous  co‐tutelle  et  co‐évalués.  Cela  implique,  en  fonction  de  la  nature  de 
celui‐ci  (observation,  pratique  accompagnée,  responsabilité),  qu'un  cahier  des  charges  et  un 
référentiel  précis  permettent  des  définir  ce  qui  est  attendu  de  l'Université,  de 
l'établissement  (ou  des  formateurs  de  terrain  dans  le  premier  degré)  et  des  stagiaires.  Ce 
serait  là,  à  nos  yeux,  la  meilleure  manière  de  mettre  en  pratique  le  concept  d'alternance 
professionnelle  que  nous  appelons  de  nos  voeux.  Il  va  de  soi  qu'un  tel  système  doit  prendre 
en  considération  d'autres  paramètres,  comme  l'autonomie  des  EPLE  et  leur  charte  de 
pilotage. 
La  situation  des  IUFM  doit  être  regardée  sans  apriori  idéologique.  Ils  représentent 
aujourd'hui  un  réseau  de  formateurs  variés  (enseignants‐chercheurs,  enseignants  des 
premier  et  second  degrés,  formateurs  de  terrain),  avec  un  maillage  territorial  sans 
équivalent  (centres  départementaux  et  locaux)  et,  surtout,  des  compétences  en  termes 
d'ingénierie de la formation des enseignants qu'il s'agit de valoriser.  
La  loi  de  2005  sur  l'éducation  (intégration  des  IUFM,  établissements  publics  administratifs, 
dans  les  universités  avec  le  statut  d'« école  interne »  qui  s'applique  aujourd'hui  aux  IUT,  IAE 
ou  même  à  des  écoles  d'ingénieurs)  a  rendu  inéluctables  des  évolutions  qu'accentue  la 
mastérisation.  Nonobstant  certains  raisonnements  aussi  caricaturaux  que  saugrenus,  les 
deux  fédérations  UNSA  Éducation  et  SGEN‐CFDT  refusent  le  retour  aux  écoles  normales  de 
jadis.
Les  deux  fédérations  SGEN‐CFDT  et  UNSA  Éducation  demandent  donc  des  incitations  fortes 
pour que se développent les coopérations entre UFR des universités, intégratrices ou non, et 
les  IUFM.  Elles  ne  sauraient  accepter  que  leur  rôle  se  réduise  à  celui  d'un  simple  prestataire 
de  service  chargé  de  l'intendance  des  stages  professionnels  ou  d'un  repli,  de  fait,  sur  le 
premier degré ce qui conduirait paradoxalement à une régression de type « école normale ».  
Nous  n'avons  pas  voulu,  dans  ce  courrier,  revenir  dans  les  détails  sur  d'autres  chantiers  tout 
aussi  importants  à  nos  yeux,  qu'il  s'agisse  des  aides  aux  étudiants  dans  un  contexte 
d'allongement de la durée d'études requises, de la nécessité de regarder de près la question 
des viviers (spécifiquement, mais pas exclusivement, outre‐mer ou pour certaines spécialités 
professionnelles),  les  conséquences des  changements  en  cours  sur  les  formations  ASH  ou  de 
psychologues, etc. 
Il  y  a  aujourd'hui  des  points  clés  qui  peuvent  rendre  impraticable  la  mastérisation  en 
risquant  au  passage  de  transformer  aussi  bien  la  formation  des  enseignants  que  le  second 
cycle  universitaire  en  champs  de  ruine  en  raison  de  décisions  précipitées,  à  l'impact 
insuffisamment  mesuré  quelles  qu'aient  été  nos  interventions.  Il  y  aussi  le  risque  d'une 
coupure  profonde,  durable  entre  le  monde  universitaire  et  le  ministère  de  l'Éducation 
nationale, au risque de faire durer des situations aussi improductives que conflictuelles. 
La  fédération  UNSA  Éducation  et  la  fédération  des  SGEN‐CFDT  en  appellent  à  votre  sens 
des  responsabilités.  Il  est  nécessaire  de  différer  l'examen  —  et  à  tout  le  moins  la 
publication  —  de  projets  de  décrets  tant  que  n'auront  pas  été  examinées  de  manière 
sereine  les  conclusions  de  la  mission  Marois‐Filâtre  qui  doit  pouvoir  mener  ses  travaux 
jusqu'à son terme en  toute sérénité. 
Il  est  indispensable  de  sortir  d'une  logique  de  passage  en  force  aujourd'hui  dépassée.  Nos 
organisations  ont  su  prendre  leurs  responsabilités,  tout  récemment  encore  dans 
l'enseignement  supérieur ;  elles  considèrent  que  le  processus  de  discussions  doit  permettre 
d'aboutir  à  la  sortie  de  crise.  C'est  dans  cet  esprit  que  s'inscrivent  les  propositions  de  nos 
fédérations. Elles ne remettent pas en cause la mastérisation : elles la rendent possible.  
Il  vous  appartient,  Madame  la  Ministre,  Monsieur  le  Ministre,  de  donner  des  signes  rapides 
et décisifs à tous ceux qui pensent que la logique de négociation peut prévaloir encore. 
Veuillez  agréer,  Madame  la  Ministre,  Monsieur  le  Ministre,  l'expression  de  notre  profond 
attachement au service public d'éducation. 

  Patrick GONTHIER, Secrétaire Général de la fédération UNSA Éducation 

Thierry CADART, Secrétaire Général de la fédération des SGEN‐CFDT