Questions de société

"Les sciences humaines dans la ligne de mire de Pécresse", (I. Delaporte, L'Humanité, 04/09/09) + "Les sciences sociales en pleine crise matérielle et intellectuelle" (AFP 08/09/09)

Publié le par Bérenger Boulay

Les sciences humaines dans la ligne de mire de Pecresse - Ixchel Delaporte, L'Humanité, 4 septembre 2009

http://www.humanite.fr/2009-09-04_Societe_Les-sciences-humaines-dans-la-ligne-de-mire-de-Pecresse

Universités.La ministre de l'Enseignement supérieur veut recentrer les humanitéssur des objectifs de compétitivité, d'évaluation et d'innovation.

À deux semaines de la rentrée universitaire, la ministre del'Enseignement supérieur, Valérie Pécresse, multiplie les déplacements,les rencontres et les points presse. Mercredi dernier, elle a prononcéun long discours devant les vingt-huit membres du tout nouveau Conseilpour le développement des humanités et des sciences sociales. Créé en1998 par Claude Allègre, ce conseil reprend du service pour une duréed'un an. Ses missions ? « Définir une vision stratégique pourl'ensemble des disciplines de sciences humaines et sociales, clarifierles enjeux de formation et d'insertion professionnelles, favoriserl'excellence académique et la compétitivité, et accroître l'ouverturedes sciences humaines et sociales vers la société et l'économie. »

Dans son allocution, la ministre exprime une volonté de reprise en main de disciplines considérées comme trop « subjectives »,trop indépendantes et, par conséquent, génératrices d'une penséecritique. En un mot, contestataires. Ce que la ministre n'est pas loind'assumer : « Je le sais, bien des craintes et bien des inquiétudestraversent la communauté des sciences humaines et sociales. Lemouvement du printemps dernier l'a montré : c'est en son sein que lesinterrogations sont les plus vives. » Du côté des universitairesmobilisés, le but de ce conseil éveille plus que des interrogationsquant à l'avenir des disciplines visées. Pour Jérôme Valluy, professeurde sociologie politique à Paris-I, « Valérie Pécresse a bien comprisque les sciences humaines et sociales ont fortement contribué aumouvement d'opposition à ses réformes et semble vouloir les traiterspécifiquement à l'aune de ses mots clés : programmationtechnocratique, utilité pour les entreprises, évaluation etconcurrence, visibilité internationale… Quatre façons de garantir ledéclin de leur influence dans la société. » Autre réaction, celle du SNESup. Pour son secrétaire général Stéphane Tassel, ce conseil « sous-tend une logique utilitariste et de mise en concurrence ».

Enfin, la composition de ce conseil laisse rêveur. La présence de« personnalités qualifiées », comme Franck Riboud, PDG de Danone, duPDG d'un cabinet de services financiers, et de personnalités telles quel'explorateur Jean-Louis Étienne ou l'éditorialiste Jacques Julliard,pose la question de la représentativité et de la pluralitéintellectuelle de ce conseil. Ces nominations, loin d'être seulementsymboliques, plongent un peu plus encore l'université française dans lamarmite des logiques managériales du monde de l'entreprise.

Ixchel Delaporte

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Les sciences sociales en pleine crise matérielle et intellectuelle AFP, le 8 Septembre 2009.

Les sciences humaines et sociales (SHS),pour lesquelles un grand campus va être construit à Paris, sontconfrontées en France à une crise des débouchés, à la prédominance del'anglais, et doivent se consacrer davantage à des objets de rechercheétrangers, estiment des experts.

Au total huit établissements devraient, pour partie ou totalité,être réunis d'ici sept ou huit ans sur le campus Condorcet à la portede la Chapelle et à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), dont l'Ecole deshautes études en sciences sociales (EHESS) qui devra prochainementquitter ses locaux parisiens du boulevard Raspail pour désamiantage.

"Je n'ignore pas qu'un malaise s'exprime concernant les scienceshumaines et sociales", a déclaré la semaine dernière la ministre del'Enseignement supérieur et de la Recherche Valérie Pécresse en lançantle projet, au lendemain de l'installation d'un Conseil chargé dedéfinir une "vision stratégique" pour ces disciplines.

Signe du malaise, les étudiants et enseignants-chercheurs ensciences humaines étaient surreprésentés au début de l'année lors dumouvement de protestation contre les réformes du gouvernement.

"Nous formons des chercheurs français et étrangers souventremarquables sans avoir de jobs à leur proposer", constate lesociologue Michel Wieviorka, à la tête depuis cet été de la FondationMaison des Sciences de l'Homme.

Plus qu'en sciences "dures", les débouchés sont rares en dehors del'enseignement, et les emplois stables dans la recherche trèsconvoités. Il arrive souvent que des titulaires de doctorats vivent depetits boulots sans le moindre rapport avec leur activitéintellectuelle.

Au CNRS, premier organisme de recherche français, les scienceshumaines et sociales ne disposent que d'un seul institut, contre huitpour les sciences "dures" et deux pour la seule physique.

Depuis 2007, la mise en place de l'Agence d'évaluation de laRecherche et de l'Enseignement supérieur (AERES) est particulièrementmal acceptée dans ces disciplines car "il est plus difficiled'apprécier la qualité d'un livre en sciences sociales que d'apprécierla qualité d'une démonstration en biologie", estime M. Wieviorka.

Dans le même temps, l'usage de l'anglais pour publier, depuislongtemps accepté en sciences exactes, a du mal à passer pour desmatières dont les objets d'étude sont constitués par le langage.

"L'hégémonie de l'anglais comme langue de communication scientifiquepose problème dans certaines disciplines où écrire en français n'étaitpas jusqu'à une date récente un handicap pour le succès de ses idées.Les choses ont changé", affirme l'économiste Alain Trannoy, de l'EHESSet membre du conseil fraîchement institué.

Pour l'historien Jean-Frédéric Schaub, lui aussi de l'EHESS etmembre du conseil, il est vain de vouloir s'opposer à l'anglais commeoutil de communication dans la mesure où "il n'existe pas actuellementde dispositif d'échanges scientifiques qui soit réellement plurilingue,ni à l'échelle européenne ni à l'échelle mondiale".

Selon ce spécialiste d'histoire européenne, "l'un des problèmesmajeurs est la place absolument outrancière occupée par la sociétéfrançaise comme objet d'examen dans les sciences humaines françaises"au détriment des autres cultures, dont l'étude devrait occuper uneplace centrale.

Enfin, si nombre de sociologues, anthropologues ou historiensfrançais sont toujours invités par les plus prestigieuses universitésaméricaines, le rang de la France n'est plus ce qu'il était il y a 30ans, en raison de la présence croissante de chercheurs asiatiques,africains ou latino-américains.

AFP