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Les nouvelles tendances de la création calligrammatique

Les nouvelles tendances de la création calligrammatique

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Nicole Biagioli)

Cadre théorique :

Depuis qu’il a été inventé par Apollinaire en 1918, le mot « calligramme », tout en permettant de mettre un nom sur l’antique pratique des « vers figurés » a ravivé les tensions internes à la création poétique, entre l’expressivité graphique et l’expressivité sonore, la mimesis et le lyrisme.

Le secret de la longévité et de l’adaptabilité du genre réside dans l’interrogation sans cesse renouvelée qu’il porte sur le trait, support commun à la peinture et à l’écriture, et sur la langue, grâce à la forme prégnante, interprétant universel seul en mesure de lutter avec l’emprise du sens textuel (Nicole Biagioli, Daniel Bilous, Lire le calligramme, Protée, vol.14, n°1-2, 1986).

Le renouveau du calligramme au début du XXe siècle a été relié à la « crise des arts plastiques et la nécessité d’un renouvellement poétique » et au souci d’intégrer dans une oeuvre d’art « la multiplicité de points de vue » (Nicole Marie Mosher, Le texte visualisé. Le calligramme de l’époque alexandrine à l’époque cubiste, New York, Peter Lang, [u. a], 1990). Mais le développement de l’art typographique n’y a pas été étranger (Anne-Marie Christin, L’Image écrite ou la déraison graphique, Paris, Flammarion, 1995).

Le XXIe siècle est l’ère du télescopage des cultures, de la littérature-monde et des technologies modernes qui minent la distinction entre texte imprimé et texte tracé. Le calligramme hérite de la « pensée de l’écran » propre à l’image et se positionne au coeur des pratiques intermédiales (Philippe Marion, synthèse du 5ème colloque du CRI, Montréal, Nouvelle sphère intermédiatique V, 2003). Alors que pour certains il sert « non pas [à] exprimer une culture, mais [à] s’en arracher » (Michel Le Bris, Jean Rouaud (dir.) Pour une littérature-monde, Gallimard, Paris, 2007), pour d’autres, il est l’embrayage par excellence de la langue et la culture.

Quatre artistes ont accepté de collaborer avec nous et de nous faire partager leur expérience :

Juri Gik : artiste russe né à Kaliningrad à 1971 qui vit à Pushkino près de Moscou depuis 1996, pratique le mail art et l’art visuel. Il associe le calligramme à son travail sur le timbre (stamp-art), la correspondance postale et  la correspondance électronique. Il a publié la première anthologie du stamp-art sur CD ROM sous le titre "Encyclopedy of Collector" (Cyrill & Methodius, 1999) ;

Yazid Kheloufi : né en 1963 à Hammam Boughrara, dans l'Ouest algérien, plasticien calligraphe qui s’inspire du grand philosophe arabo-persan du Xe siècle, Abu Hayyan al-Tawhidi. Il tend à se rapprocher de l'écriture mystique, considérant l'unité entre ce que l'on voit, ce que l'on comprend et ce que l'on "ressent"comme condition nécessaire à l'expression de la beauté.

Bruno Niver : artiste français qui vit à Moscou depuis les années 90. Il déploie les potentialités du genre vers l’intersémioticité (par le passage à la couleur, à la troisième dimension et au mouvement), l’interculturalité (français/russe), et le plurimédia (tension entre le projet poétique et ses déclinaisons plastiques et musicales).

William Wolkowski : artiste et scientifique qui vit à Paris. Il combine calligrammatisation et traduction pour redéployer le sens et la forme de textes et de citations célèbres de Poe, St François d’Assise, Ronsard, Schiller, Mickiewicz, et pour célébrer l’année mondiale de la chimie en 2011. Son oeuvre contribue à l’amorce d’un « Espace Géopoétique Européen ».

 

L’oeuvre de ces artistes servira de tremplin à une réflexion sur les tendances actuelles de la production calligrammatique qui s’organisera autour de trois axes :

 

1- L’entrée dans la modernité

En revenant sur les révolutions esthétiques qui ont marqué le XXe siècle, on retracera l’histoire moderne du genre, qui a préludé à son actuelle mondialisation :

  • Quelles grandes scansions : auteurs-phares, écoles et mouvements esthétiques, extension à la sphère publicitaire et politique rythment l’évolution du genre ?
  • Avec quels autres genres s’est-il mêlé, affronté ? Pour quels métissages, quelles expérimentations ?
  • Quelles conséquences les controverses idéologiques, les bouleversements formels l’expansion et la démocratisation du genre ont-ils eu eux sur sa réception ?

 

2- Calligramme et interculturalité interlinguistique

 

En considérant les productions les plus récentes des artistes multilingues, on s’interrogera sur la manière dont le calligramme permet aux artistes de visualiser le bruissement des langues:

 

  • Quelle importance revêt la traduction dans le processus de production du calligramme depuis la conception jusqu’à la diffusion ?
  • Quel rôle jouent en particulier les écritures non romaines : arabe, chinois, cyrillique et avec quels effets de défamiliarisation?
  • Qu’est-ce qui demeure des « expériences singulières, c’est-à-dire socialement marquées » (Bourdieu) qui motivent la création ? Le calligramme est-il conçu comme une expression des identités ou comme une invite au dialogue interculturel ?

 

3- Calligramme et nouveaux médias :

On réfléchira aux enjeux des nouvelles technologies (traitement de texte, mise en ligne, projection, création interactive sur site, etc.) pour la création calligrammatique :

  • Comment le calligramme s’est adapté à la multiplication des écrans dans notre quotidien ? La tactilité du doigt vient-elle se substituer à la tactilité de l’oeil ?
  • Comment le tracé pictural ou manuscrit, prolongement du geste corporel et de la personne de l’artiste, résiste à ou se repositionne dans un tel contexte ?
  • Comment la création calligrammatique est-elle entrée dans l’ère de la création plurielle et interactive ? Existe-t-il des calligrammes collectifs ?