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Les nouveaux avatars du roman policier 

Les nouveaux avatars du roman policier

Publié le par Marc Escola (Source : Kamel Feki)

 

Argumentaire pour la publication d’un ouvrage collectif

Les nouveaux avatars du roman policier

(Sous dir. Moez LAHMEDI, Kamel FEKI)

 

Depuis les années soixante-dix du siècle écoulé, et devant l’évolution rapide du roman policier, la multiplication de ses branches (roman de suspense, roman noir, néopolar, roman d’espionnage, polar humoristique, polar historique, polar mythique, etc.) et l’apparition de nouvelles formes romanesques mi-littéraires mi- policières, les théoriciens commencent à s’interroger sur l’avenir de la littérature noire et les risques qu’elle court si elle poursuit ses « mues » successives. Dans son article « Les avatars d’un genre protéiforme », Marc Lits remarque à juste titre qu’à force d’interagir avec le roman littéraire (le « roman roman » pour reprendre l’expression de Japrisot), « le genre semble peu à peu se diluer dans la sphère plus englobante de la littérature, comme si son insertion dans la paralittérature arrivait à son terme, celle-ci ne servant que de purgatoire avant une reconnaissance institutionnelle »[1].

« Mais où va donc le roman policier ? » s’interrogent beaucoup de critiques dont quelques-uns ont fini par succomber à l’idée que la mort du genre est inéluctable : « Il ne va nulle part, rétorque ironiquement le tandem Boileau-Narcejac. C’est un pommier qui donne différentes variétés de fruits, mais ce sont toujours des pommes. L’erreur, précisément, est de vouloir modifier son essence par des greffes qu’il supporte toujours mal »[2].

Le sort que va connaître le genre à partir des années quatre-vingt va infirmer cette thèse car, des greffes, le roman policier va en subir une infinité (et des plus fantasques aussi) sans que cela ne diminue en rien son succès littéraire, sériel et cinématographique. C’est que les auteurs policiers ont compris, plus ou moins tardivement (si l’on adopte comme repère le coup de génie de la Reine du crime dans Le Meurtre de Roger Ackroyd), que la transmutation relève de l’essence même de la littérature noire : « Les grands textes de la littérature policière enfreignent les lois du genre. C’est l’effet de leur liberté créatrice autant que d’une propension à surenchérir dans le surprenant, dans l’inédit. […] L’hypothèse est donc que certains textes policiers parmi les plus construits se distinguent par le traitement désinvolte qu’ils font subir à la structure de base et par la crise qu’ils ouvrent dans le genre dont ils se réclament »[3].

On peut remarquer, d’autre part, que beaucoup d’auteurs de polars ont contribué à la « littérarisation » du roman policier et à son accession progressive à la sphère de la grande littérature et ce, en valorisant ou, pour reprendre l’expression de Jean-Marie Schaeffer, en « travaillant »[4] l’une des composantes du genre. Le cas d’Hubert Monteilhet est intéressant à cet égard, puisqu’il fut parmi les premiers auteurs policiers à vouloir dégager la « para »-littérature du ghetto dans lequel on l’emprisonnait. N’avoue-t-il pas dans l’Avertissement des Mantes religieuses que l’enjeu principal derrière la rédaction de ce roman est de conférer une note « classique » au roman policier ?

…Nous nous sommes efforcé, écrit-il, d’apporter à cette littérature ce dont on la prive trop fréquemment : une rigueur classique. Nous avons choisi une histoire où l’horreur procède plus de la psychologie des acteurs que d’un vain décor, une histoire où un vocabulaire généralement mesuré suffit – semble-t-il – à tout exprimer[5].

On voit donc qu’à une époque où le néopolar connaissait son âge d’or avec des écrivains de renommée internationale (Ed Mac Bain, Léo Malet et un peu tardivement Jean-Patrick Manchette) qui prônaient l’autonomie et l’indépendance du genre et qui rejetaient catégoriquement l’idée de l’immixtion mutuelle du « noir » et du « blanc »[6], Monteilhet se fixait un objectif complètement différent et quelque peu « fou », en ce sens qu’il voulait, lui, conquérir le terrain de la littérature classique et faire accéder la paralittérature au rang des Belles Lettres.  

À notre sens, une enquête devrait être menée pour mettre en lumière le rôle capital de certains romanciers appartenant au camp « noir » dans cette « littérarisation » du genre policier.

Les maisons d’édition y sont aussi pour quelque chose puisque, depuis les années quatre-vingt et pour des raisons purement commerciales, la plupart d’entre elles ont adopté une nouvelle stratégie fondée sur le brouillage des repères génériques (paratextuels) des œuvres publiées[7].

Force nous est de reconnaître que le roman policier contemporain repose narrativement sur une esthétique de la dissidence ou plutôt de la subversion : chaque auteur s’efforce en effet de singulariser ses textes en enfreignant les codes qui régissent le genre. Littérature foncièrement idiosyncrasique, le roman policier est comparable au Sphinx qui renaît de ses cendres, mais à chaque fois sous une nouvelle forme[8].

En réalité, cette volonté de profaner les temples génériques et les sanctuaires taxinomiques est caractéristique non seulement du roman policier mais aussi de la littérature « blanche » contemporaine, laquelle présente le texte comme étant « le “site” de modes de représentation en interaction »[9]. On sait que la plupart des écrivains contemporains adoptent une attitude ironique et déconstructiviste à l’égard des repères génériques existants : « Pour le moment, affirme Cioran, il nous reste à corrompre tous les genres, à les pousser vers des extrémités qui les nient, à défaire ce qui fut merveilleusement fait ». [10]

Que les auteurs soient du camp « noir » (le polar) ou « blanc » (la littérature générale), l’objectif ou plutôt le projet demeure toujours le même : déconstruire les anciens modèles et inventer de nouvelles formes d’écriture : « Les démarquages auxquels ont procédé - et procèdent - tant de contemporains se rejoignent, tous ou presque, dans un projet commun. Certes, ils sont de degré et de tonalité variables. Certes, ils vont de l’aimable parodie à la transposition métaphysique, de la reprise serrée à l’évocation plus lâche ou plus allusive. Mais tous se rencontrent dans semblable intention ironique de détourner un modèle de sa norme »[11].

Jean-Paul Colin, lui, aborde les « mues » successives du genre du point de vue de la réception : chaque époque affiche, selon lui, une préférence pour l’une des branches de l’arbre policier. De ce fait, « l’histoire du roman policier ne saurait être l’évolution “progressive” (ni du reste progressiste) d’une forme initiale donnant des formes secondaires “améliorées”, mais qu’elle est à nos yeux le déplacement circonstanciel de certains éléments narratifs, qui d’une époque à une autre, mettent l’accent sur une branche particulière de cet “arbre à crimes” qu’est le genre en question, développent - parfois même hypertrophient - une espèce mieux consommable dans un contexte donné »[12].

Ainsi, beaucoup de nouveaux textes hybrides qui échappent aux « radars » des spécialistes et aux grilles génériques existantes ont vu le jour, jetant dans la confusion la critique littéraire contemporaine : « Les règles codifiées par Poe, exploitées depuis le roman policier britannique, une fois libérées de la tyrannie de la centralisation des genres, et rendues au libre circuit de l’écriture, se sont révélées capables d’engendrer de nouveaux produits hybrides fort originaux »[13].

 Le malaise générique est d’autant plus grand que les frontières qui séparent, d’une part, les différentes catégories policières et, d’autre part, les deux grands types de littérature (blanche et noire) tendent à disparaître : « C’est que les contours et les frontières sont artificiels et vacillent incessamment. Entre les sous-genres d’abord : où classer définitivement un Simenon ou un Japrisot ? Entre le roman policier et les autre genres, ensuite : avec S. King, qui flirte avec la terreur et l’épouvante … Entre le roman et la littérature enfin : avec P. Auster, D. Pennac, etc.[14] ».

« Semi-polars », « faux polar », romans « à traces policière »[15], des « plus-que-romans policiers », des romans policiers « littéraires », autant d’appellations qui attestent, d’une part, les difficultés d’ordre générique que pose un pan important de la littérature contemporaine, et d’autre part, la grande fertilité du roman policier, son « étrange disponibilité »[16] et son aptitude impressionnante à fusionner avec d’autres genres et à subir une infinité de greffes. Selon Jacques Dubois, c’est cette spécificité générique du roman policier qui a permis aux œuvres (policières) originales de s’imposer dans l’arène littéraire et de s’intégrer dans la sphère de la grande littérature.

Beaucoup d’enquêtes génériques et textuelles doivent donc être menées afin de résoudre les nouvelles énigmes que posent les formes policières contemporaines.

Sans prétendre à l’exhaustivité, nous proposons les axes de recherche suivants :

1 - Les enjeux de l’écriture policière subversive et les principales stratégies de détournement.

2- Les nouvelles approches théoriques et méthodologiques pour aborder les avatars contemporains du roman policier.

3- Le roman policier creuset de multiples savoirs (son ouverture sur la médecine, l’archéologie, les mathématiques, la chimie, les sciences physiques, etc.)

4- La réception des romans policiers hybrides.

5- La représentation de la figure du détective (les femmes en particulier) dans les séries policières françaises et américaines.

6- L’espace et l’énonciation dans les romans policiers (après les années quatre-vingt).

7- Le retour au detective novel : manifestations et enjeux.

8- L’exploitation pédagogique des nouveaux avatars du roman policier.

9 - Roman policier et style « littéraire ».

 

Envoi des propositions :

Nous sollicitons des propositions d’articles originaux (de 200 à 300 mots) pour le 30 novembre 2016 au plus tard. Veuillez joindre à votre proposition une courte notice bio-bibliographique et les envoyer à :

moez_lahmedi@yahoo.com

kamel_fekih@yahoo.fr

La date limite d'envoi des articles et les normes typographiques seront envoyées ultérieurement aux auteurs sélectionnés.

 

Comité scientifique : 

- Yves Reuter : Université Lille 3

- Isani Shaeda : Université Stendhal-Grenoble 3

- Michel Sirvent : University of North Texas

- Christina Horvath : University of Bath

- Kamel Feki : Faculté des Lettres de Sfax

- Moez Lahmédi : Faculté des Lettres de Sousse

 

 

 

[1] In Le français aujourd’hui (dossier Les risques du polar), n° 138, juillet 2002, p. 16.

[2] Le roman policier, coll. « Que Sais-je », Paris, PUF, 1975, p. 121.

[3] Jacques Dubois, Le roman policier ou la modernité, coll “Hachette”, Paris, Nathan, 1988, p. 17.

[4] Cf.  « Du texte au genre. Notes sur la problématique générique », in Théorie des genres, Paris, Seuil, 1986, p. 197.

[5] Paris, Edition Denoël, 1960, p. 6.

[6] « le polar non-classique, dit Manchette dans l’une de ses interviews, n’est pas formellement un roman noir (…), c’est un polar kitsch, contradictio in adjecto (…) Certains auteurs m’inspirent de la sympathie (Echenoz), d’autres non (le sémioticien démochrétien Eco m’inspire de la haine). Le seul "polar non-classique" que j’apprécierais, somme toute, serait du genre de ce à quoi je travaille : le décharnement formel du roman noir doit maintenant être mis au service d’une réalité nouvelle, et laisser sur leur cul les polareux littérateurs et les polareux stalino-gauchistes. Vivre et écrire dans les banlieues (Lyon, par exemple) tombe malheureusement en dehors de mes capacités ordinaires. C’est la seule voie intéressante ouverte au roman noir français actuel. Il l’évite, bien sûr. Hammett, Orwell, Dick, quelqu’un devrait prendre la suite, même timidement, et les gens de haut goût oublieront les clowneries actuelles sur la "subversion du texte" » in Combo, n°8, 1991. URL : « http://www.davduf.net/Combo-ossements-rock.html?lang=fr).

[7] Marc Lits affirme dans ce contexte que « dans le souci d’attirer le maximum de lecteurs, les maisons d’édition contaminées par la mentalité américaine, réclament des romans mixtes où le roman policier trouve sa place comme piment », op. cit., p. 16.

[8] Rappelons ici que le mot « idiosyncrasie » provient du substantif grec « idiosugkrasia » qui signifie selon Le Petit Robert « tempérament particulier ».

[9] Jullier Laurent, L’Ecran post-moderne. Un cinéma de l’allusion et du feu d’artifice, Paris, L’Harmattan, 1997,     p. 13.

[10] La tentation d’exister, coll.  « Tel », Paris, Gallimard, 1986,  p. 111.

[11] Jacques Dubois, op. cit., p. 56.

[12]  Le Roman policier français archaïque, Berne, Editions Peter Lang SA, 1984, p. 10.

[13] Stephano Tani, Cité par Marc Lits, Le roman policier : introduction à la théorie et à l'histoire d'un genre, Liège, Editions de C.E.F.A.L, 1993, p. 136.

[14] Yves Reuter, Le roman policier, Paris, Nathan, 1997, p. 113

[15] Cf. Marion Girard, Parodie et transposition dans le roman policier contemporain, Thèse de doctorat, université Lumière, Lyon II, http://theses.univ-lyon2.fr/documents/getpart.php?id=260&action=pdf

[16] Cf. « L’étrange disponibilité du roman policier », in Revue critique de fixxion française contemporaine, n° 10 (mai 2015), p. 4-12.