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Les lieux de sociabilités littéraires et artistiques (XVIIIe-XXIe s/) (COnTEXTES)

Les lieux de sociabilités littéraires et artistiques (XVIIIe-XXIe s/) (COnTEXTES)

Publié le par Marc Escola (Source : Clément Dessy)

« Les lieux de sociabilités littéraires et artistiques (XVIIIe-XXIe siècles) » 

Appel à communications pour les septièmes journées d’études du groupe COnTEXTES (Bruxelles, 12-14 mai 2016)

 

            Du salon de la rue Notre-Dame des Champs où Hugo a rassemblé les lieutenants qui le soutiendraient lors de la bataille d’Hernani jusqu’aux cafés où se rassemblaient les Surréalistes avant que Breton ne mette le holà sur leur consommation de boisson (Vrydaghs, 2009), en passant par la bibliothèque de l’Arsenal où Nodier ouvre le Cénacle et telle librairie de province où tel auteur est invité à faire la promotion de son ouvrage, les lieux de sociabilité littéraires sont aussi nombreux que diversifiés. Leur histoire reste toutefois à faire. En France, par exemple, si dès le XVIIe siècle, des salons littéraires se sont développés dans l’ombre de la cour, l’époque romantique a vu augmenter le nombre de ces espaces de réunion avec l’autonomisation de l’écrivain par rapport au pouvoir royal et l’avènement d’un marché libre des valeurs littéraires (Glinoer, Laisney, 2013 : 25, 26). Il faudrait déterminer comment cette multiplication des lieux de sociabilité entre cafés-concerts, clubs, cercles, music-halls, etc. a perduré ou non jusqu’à nos jours et comment ont évolué leurs modalités.

            Les formes de sociabilité artistique et littéraire ont fait l’objet d’études, principalement sous l’angle historique et sociologique. Ces recherches se concentrent essentiellement sur les pratiques et les acteurs de ces regroupements mais elles ne prennent guère en compte l’espace et le lieu même au sein desquels se déroulent les échanges. L’émergence récente de perspectives issues de la « géographie littéraire » amène à interroger la dimension spatiale des pratiques littéraires (voir notamment Collot, 2014). Le territoire au sens large, la ville et les milieux ruraux, sont autant de sujets déjà abordés sur le plan des représentations, mais le lieu, entendu en son sens restreint, lorsqu’il assume une fonction au sein des sociabilités artistiques et/ou littéraires, est rarement analysé en tant que tel. Or ces sociabilités, tant dans l’étendue des réseaux qu’elles mobilisent que dans leurs modalités d’échanges, sont intimement déterminées par les lieux dans lesquels elles prennent place.

            Jusqu’à présent, les études en sociologie littéraire n’ont pas pleinement pris la mesure de cette dimension spatiale. Ces journées d’étude s’appuient sur l’hypothèse que la localisation et le type de lieu participent des modes de fonctionnement des champs littéraire et artistique. La permanence d’un lieu peut ainsi pérenniser l’existence d’un groupe – on sait par exemple l’importance du café de Flore pour les écrivains existentialistes comme lieu emblématique de leurs rencontres. De même, l’accès à un lieu peut constituer l’étape déterminante d’une entrée dans le champ : la formule du Chat noir où chacun est invité librement à prendre la parole devant un public d’amateurs a pu servir de tremplin à de jeunes aspirants écrivains. Dans ses fonctions et sa configuration mêmes, le lieu peut rencontrer de manière permanente ou provisoire les besoins d’un ensemble d’agents. Le caractère privé du cénacle, dans son confinement, peut ainsi rencontrer la volonté de discrétion mystérieuse d’un collectif en formation (Glinoer, Laisney, 2013). Le type d’activités tenues en un lieu, qui se détache souvent du cadre strict de la pratique littéraire ou artistique, influence les formes de sociabilités qui peuvent s’y tenir (voir les interactions entre pratiques littéraires et culturelles avec les activités d’un cercle d’escrime bruxellois de la fin de siècle comme Arte et Marte : Aron, 2013). Le lieu peut enfin endosser une fonction mythifiante. Il est pourvoyeur d’une connotation, d’une valeur symbolique. Cette dernière peut préexister à l’établissement d’une sociabilité en son sein, de même qu’à l’inverse la fréquentation d’un lieu par des artistes ou des écrivains servira de prétexte à la construction de sa légende. Songeons à la pension bretonne Le Gloanec à Pont-Aven, qui servit de nid à l’éclosion de sociabilités picturales et littéraires notamment autour de Paul Gauguin, ou à Médan, lieu emblématique du lien entre Zola et ses disciples naturalistes (Pagès, 2015).

            La question du lieu de sociabilité trouve toute sa pertinence si on la considère dans sa pluralité. Il importe d’étudier la fréquentation concommitante et successive des lieux par un ou plusieurs agents en évaluant les relations de concurrence, de complémentarité ou de hiérarchie entre ces lieux. Ces septièmes journées d’étude du groupe COnTEXTES aborderont donc une réflexion sur les dimensions spatiales des sociabilités littéraires et artistiques du xviiie siècle jusqu’à nos jours, qui sera articulée selon quatre axes :

1° Géographies

            La localisation d’un lieu de sociabilité se trouve à l’intersection de déterminations qui ne relèvent pas du seul champ littéraire (répartition sociale, travaux de rénovation urbaine, etc.), mais qui informent les dynamiques à l’œuvre au sein de celui-ci. Il s’inscrit dans un espace socialement structuré, particulièrement au sein des villes. Le pouvoir étatique, le champ économique et les flux de circulation divisent le territoire en quartiers et l’organisent en une série de lieux emblématiques. L’emplacement d’un lieu de sociabilité est donc signifiant selon qu’il se situe dans un quartier financier ou industriel ou à proximité d’une institution académique ou culturelle, une école artistique, une gare, une maison d’édition ou encore tout simplement du lieu d’habitation des artistes. À cette structure matérielle et objectivable des espaces se superpose un ensemble symbolique de représentations collectives. Ces représentations et la symbolique littéraire ou artistique des espaces vont éventuellement répliquer leurs oppositions sur une structure spatiale ou géographique qui ont une influence dans l’élection d’un lieu (Charle, 1977 ; Sapiro, 2001). Ces réflexions ne doivent pas se restreindre aux réalités urbaines, elles pourront aussi être menées en ce qui concerne les lieux situés dans les espaces ruraux.

            Il importe in fine de dresser une géographie étendue. Des écrivains fréquentent plusieurs lieux de sociabilité à un même moment ou évoluent d’un lieu à un autre de manière successive au cours de leur carrière. On décrira les relations établies entre ces différents lieux dans la synchronie et la diachronie, en ce qu’elles peuvent notamment éclairer l’émergence et la trajectoire d’un écrivain ou d’un mouvement.

2° Typologies

            Un examen sommaire montre rapidement que les lieux de sociabilités littéraires et artistiques ne se limitent pas aux seuls cafés, salons ou autres locaux de rédaction de revue. Le présent appel propose d’en renouveler et d’en préciser la typologie. On citera en vrac les cinémas, les maisons d’édition, les rédactions de revues, les librairies, les académies, les écoles artistiques, les maisons ou appartements privés, les pensions, les hôtels, les parcs, les universités, les foires et salons du livre, … La typologie de ces lieux doit se penser conjointement aux pratiques qui peuvent y être liées et aux besoins que les artistes peuvent rencontrer. L’existence aussi bien que l’absence de critères pragmatiques dans l’élection d’un lieu (telle la nécessité d’échapper à des appartements exigus) constituent autant d’indices factuels, parfois occultés, qui demandent à être confrontés aux discours et aux images légendaires fabriqués autour de ce lieu. L’aspect morphologique de ces espaces sera également envisagé : l’architecture, la décoration, la configuration spatiale sont-elles en lien avec l’esthétique des collectifs qui s’y rassemblent ? peuvent-elles se penser avec leur position dans le champ et au sein des hiérarchies sociales ? Entre la bohème « exclue » et les écrivains mondains, la plupart des cénacliers du XIXe siècle choisirent par exemple un lieu privé et bourgeois correspondant à leur statut (Glinoer, Laisney, 2013 : 252). 

            La relation entre un lieu et les sociabilités qu’il accueille doit ici être évaluée. Si une adresse spécifique peut être attachée à un mouvement ou un groupe (comme « La Fleur en papier doré » pour les Surréalistes à Bruxelles), le même endroit peut rassembler, parfois au même moment, différents collectifs, qui peuvent être concurrents. Le lieu, en tant que tel, participe-t-il à l’établissement de semblables différenciations ? Une typologie des lieux devra aussi mettre en évidence les formes sociabilitaires qu’ils rendent possibles. Une perspective genrée pourra montrer comment sont choisis des lieux de sociabilités féminins. De même, on interrogera la spécificité induite par un lieu dans des sociabilités militantes. Les contributions transversales ou définitoires seront particulièrement privilégiées dans cette perspective.

3° Fictions et représentations

            Une perspective géocritique (Westphal, 2000) doit envisager le lieu de sociabilité littéraire comme reposant en partie sur un ensemble de représentations textuelles et/ou graphiques.

            La mythographie qui permet à ce type de lieux d’accéder à la légende – on pense entre autres à l’aura qui entoure le café littéraire parisien (Laisney, 2010) – devra notamment être questionnée : qui fait le lieu ? qui le rend célèbre ? qui l’institue ? par quels biais et de quelle façon ? On s’interrogera enfin sur les conséquences de cette mythographie du lieu sur la cohésion et la périnisation de collectifs littéraires et artistiques.

            Un élément de représentation lié à ces lieux (la salle de l’hôtel des étrangers dans laquelle se rassemblent les Zutistes est par exemple qualifiée de « turne » et de « taudis sombre » recouverte de « tapis infects » par les membres de l’assemblée) ou à des ambiances (du « style de vie bon enfant » d’un café « à l’atmosphère réservée et exclusive des salons », Bourdieu 1998 : 126-127) peut être instrumentalisé pour susciter l’adhésion ou le rejet vis-à-vis d’une esthétique ou d’une « conduite de vie » (Weber) d’un collectif (Saint-Amand, Vrydaghs, 2008 ; Vrydaghs, 2009). Il peut également constituer un élément de la posture qu’un groupe ou un individu souhaite adopter ou reproduire ou dont ils cherchent à se distinguer.

4° Géopoétique

            Les déterminations qu’implique un lieu de sociabilité sur la création littéraire doivent encore être étudiées. On s’interrogera sur les pratiques de création qui peuvent se dérouler en un lieu de sociabilité donné. Le cas échéant, ces pratiques sont-elles déterminées par le cadre spatial lui-même au point de vue formel, générique ou thématique ? L’hypothèse des « petites formes » (sketches, lectures de poèmes, chansons, pantomimes) a déjà été évoquée dans le contexte des cabarets viennois, mais guère analysée (Segel, 1993 : 29-31). La question de l’adaptation des formes littéraires et artistiques au lieu se pose notamment dans le cas du théâtre d’ombres et des cabarets ou café-concerts, tel que celui du Chat Noir.

            L’existence déjà connue de pratiques créatives collectives invite à prendre en compte dans leur interprétation le lieu même où elles ont été produites. Peut-on envisager une dimension spatiale dans la génétique du « cadavre exquis » surréaliste ? Les œuvres connues pour leur référence ludique à la sociabilité littéraire, comme le « Salut » de Stéphane Mallarmé, peuvent-elles être remises en perspetive par la prise en compte des dispositions mêmes du lieu où l’œuvre se met en scène ?

Ces journées viseront à dépasser le récit anecdotique de lieux, afin d’étudier leurs effets, du point de vue de leur matérialité concrète et de leur localisation, sur les sociabilités et les pratiques elles-mêmes. Les questions épistémologiques et les études de cas développant une perspective théorique seront donc privilégiées.

Le colloque aura lieu à Bruxelles les 12, 13 et 14 mai 2016. Les propositions de communication (environ 500 mots) sont à envoyer avant le 1er décembre 2015 à :

Après évaluation par le comité scientifique du groupe COnTEXTES, un avis sera communiqué aux auteurs en janvier 2016.

 

Bibliographie sélective

Aron (Paul), « Petite contribution à l’étude d’un art de vivre : Edmond Picard et le cercle d’escrime Arte et Marte », dans Jane Block, Claude Sorgeloos (dir.), Homage to Adrienne Fontainas. Passionate Pilgrim for the Arts, New York/Bern/Berlin/Bruxelles/Frankfurt am Main/Oxford/Wien, Peter Lang, 2013.

Bourdieu (Pierre), Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire [1992], Paris, Seuil, « Points », 1998.

Charle (Christophe), « Situation spatiale et position sociale », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 13, février 1977, p. 45-59.

Collot (Michel), « Vers une géographie littéraire », Fabula-LHT, Dossier, 16 mai 2011 [En ligne], URL : http://www.fabula.org/lht/8/index.php?id=242.

Collot (Michel), Pour une géographie littéraire, Paris, Corti, 2014.

Fäcker (Julie), « Lieux d’écrivains. Le café dans la construction posturale des Jeunes Belgique », Textyles, n° 47, Bruxelles, une géographie littéraire, dirigé par P. Aron et L. Brogniez, 2015 (à paraître).

Fugier (Anne), Les Salons de la IIIe République. Arts, littérature, politique, Paris, Perrin, 2003.

Glinoer (Anthony) et Laisney (Vincent), L’Âge des cénacles. Confraternités littéraires et artistiques au XIXe siècle, Paris, Fayard, 2013.

Laisney (Vincent), « Cénacles et cafés littéraires : deux sociabilités antagonistes », Revue d'histoire littéraire de la France, vol. 110, 2010/3, p. 563-588.

Lemaire (Gérard-Georges), Les Cafés littéraires. Vies, morts et miracles, Paris, La Différence, 1997.

Lepage (Auguste), Les cafés artistiques et littéraires de Paris, Paris, Boursin, 1882.

Lilti (Antoine), Le Monde des salons : sociabilité et mondanité à Paris au xviiie siècle, Paris, Fayard, 2005.

Pagès (Alain), Zola et le groupe de Médan, Paris, Perrin, 2015.

Parvulesco (Constantin), Cafés littéraires de France et d’Europe, Boulogne-Billancourt, Du May, 2007.

Racine (Nicole) et Trebitsch (Michel) (dir.), Cahiers de l’institut d’histoire du temps présent, « Sociabilités intellectuelles. Lieux, milieux, réseaux », n° 20, mars 1992.

Saint-Amand (Denis), Vrydaghs (David), « La biographie dans l’étude des groupes littéraires », COnTEXTES [En ligne], La question biographique en littérature. Histoire, méthodologies, fictions, édité par le groupe COnTEXTES, n°3, 2008, URL : http://contextes.revues.org/2302.

Sapiro (Gisèle), « De l'usage des catégories de « droite » et de « gauche » dans le champ littéraire », Sociétés et représentations, n° 11, p. 19-53.

Segel (Harold B.), The Viennese Coffeehouse Wits, 1890-1938, West Lafayette, Purdue University Press, 1993.

Vrydaghs (David), « Des cafés aux dancings », COnTEXTES [En ligne], Qui a lu boira, édité par Geneviève Boucher et Pascal Brissette, n°6, septembre 2009. URL : http://contextes.revues.org/4412.

Westphal (Bertrand), « Pour une approche géocritique des textes », dans La Géocritique mode d’emploi, Limoges, PULIM, coll. « Espaces Humains », n° 0, 2000, p. 9-40.