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Les lectures à clés (revue Littératures classiques)

Les lectures à clés (revue Littératures classiques)

Publié le par Marc Escola

APPEL À COMMUNICATIONS POUR

UN NUMÉRO DE LITTÉRATURES CLASSIQUES

Lectures à clés. Pratiques et méthodes

COORDINATION : M. BOMBART & M. ESCOLA


Ce numéro de Littératures classiques rassemblera les actes de deux journées détude projetées lune à Paris à lautomne 2003 en association avec le GRIHL, lautre à Montpellier au printemps 2004 sous légide du CMR 17. Des contributions sans participation à ces journées détude sont également envisageables.

Les textes définitifs sont à remettre début juin 2004

pour une parution au printemps 2005.

Les propositions de communications devront nous être transmises avant le 30 mai 2003.

Aujourdhui largement décriées ou méconnues, les lectures " à clés " ont pourtant constitué une modalité majeure du rapport au texte dans la culture " classique ". On sinterrogera ici à la fois sur ce décri et sur cette permanence du XVIe siècle à au XVIIIe sans sinterdire des incursions vers des époques plus anciennes ou plus récentes où les clés ont pu avoir aussi une actualité.

En rouvrant le dossier des lectures à clés, on voudrait dabord uvrer à une histoire des pratiques de lecture du plaisir esthétique comme des usages des textes en se donnant une chance dappréhender en retour ce qui sépare la culture " classique " de la nôtre, pour laquelle la littérarité dun texte se mesure à sa polysémie. Le phénomène invite donc dabord à une approche pleinement historique :

Ladoption dune clé suppose chez le lecteur des compétences interprétatives sans doute héritières de modèles allégoriques et exégétiques : jusquà quel point lexistence de clés révèle-t-elle une actualité de ces traditions herméneutiques à lépoque classique (en particulier dans les cas où le texte se veut guide initiatique comme chez Béroalde de Verville, ou dans le roman " philosophique " de dAubignac, Macarise) ? À moins quelle nen soit une version dégradée et ludique ?

La pratique recouvre une diversité dusages qui méritent dêtre historicisés. La vogue mondaine des clés romanesques fait de lallusion et de sa reconnaissance un signe de connivence dans un milieu où les pratiques littéraires ont un rôle fort dans la définition des identités de groupe, et la clé prend alors souvent la forme dune rumeur relayée par les correspondances, recueils danecdotes, etc. En soffrant au XVIIIe siècle à un public plus large via les gazettes, la Bibliothèque des romans, voire des publications autonomes, les clés deviennent linstrument de révélations sur les turpitudes des grands ou les scandales politiques. À chaque fois, les clés constituent un mode dappropriation des uvres, révélateur de la place du littéraire aux époques et dans les sociétés en question. Les formes quelles prennent (orales, manuscrites, imprimées, dans le livre, ou en dehors du livre, avouées par lauteur ou non, diffusées de manière clandestine) méritent en ce sens la plus grande attention.

Si lécriture à clé est au fil du temps de plus en plus dévaluée, la lecture à clé devient au XIXe siècle un des modes de la recherche érudite (avec Victor Cousin par exemple) qui se perpétue sous des formes plus ou moins avouées jusquà aujourdhui. Lérudition croise la curiosité bibliophilique, et les clés donnent lieu à des collections et des spéculations dont lobjet privilégié est le roman du XVIIe siècle (voir Charles Nodier et ses émules).

La question des lectures à clés offre aussi un versant plus ouvertement théorique : le phénomène intéresse en effet un large éventail de genres, de la mode mondaine des romans à clés autour de Mlle de Scudéry aux figures et éthopées de la littérature morale, des fictions dramatiques aux textes poétiques. La pratique des lectures à clé unifie un ensemble de genres qui déborde le champ de la seule fiction pour sidentifier à ce que nous appelons la " littérature ".

Dun point de vue théorique, on doit sans doute distinguer les faits de lecture du fait décriture : tout texte est-il susceptible dune lecture à clé, ou faut-il supposer un encodage spécifique ? À quelles marques reconnaît-on quun texte est passible dun tel décodage ? Quel est leffet produit à linverse par lapplication dune clé à un texte qui a priori ne la prévoit pas ?

Comment distinguer lecture à clé et lecture allégorique ? La relation du texte à clé à son référent extra-linguistique est-elle en outre aussi univoque quon veut bien le dire ? Si certaines formes de cryptages sont univoques, notamment ceux qui servent de voile (le plus souvent transparent) aux satires et pamphlets, la plupart des clés ouvrent en fait les textes à plusieurs niveaux de sens ; rares sont les cas où une clé nest pas sujette à spéculation les fréquentes dénégations des auteurs suscitant une concurrence entre " déchiffreurs ".

Si lécriture à clé est avant tout linstrument dune figuration du réel, nest-elle pas le lieu où séprouvent les ressources de la fiction et plus largement de la littérature en matière didéalisation, de raillerie, de modélisation ?

On aura compris quun tel projet implique enfin un horizon méthodologique : nos modernes protocoles herméneutiques ne tendent-ils pas à se constituer en clé, quitte à transformer pour cela le texte commenté en serrure formelle ? Quest-ce qui distingue linterprétation des textes dune lecture classiquement allégorique ?

Et serait-il vraiment déraisonnable de repenser le principe même de ces lectures à clé ? À trois siècles de distance, une clé ne nomme plus pour nous un référent : elle nous ouvre les portes dune bibliothèque.