Questions de société

"Les LABEX prétendent évaluer les chercheurs, les organismes de recherche doivent les désavouer !" (SNCS Hebdo, 08/11/2010)

Publié le par Arnaud Welfringer (Source : SLU)

"Les LABEX prétendent évaluer les chercheurs, les organismes de recherche doivent les désavouer !" (SNCS Hebdo 10 n°20 du 08/11/2010)

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On a vu (cf. SNCS-Hebdo 10 n°16 et 18) comment les LABEX s'attaquent à la structuration de la recherche scientifique en instaurant un nouveau circuit de financement arbitraire, totalement piloté par le politique. Mais les LABEX veulent aussi prendre en main l'évaluation des chercheurs ! L'évaluation par les pairs, sous le contrôle d'instances collégiales élues démocratiquement, est marginalisée : on demande maintenant aux « porteurs » de LABEX de désigner les chercheurs les plus prometteurs, préfiguration de futurs découpages d'unités. Le résultat est risible, mais les dégâts potentiellement immenses : si l'on se met à classer les chercheurs des LABEX sur la base de critères bibliométriques ou par leurs primes et prix, c'en est fini de toute recherche originale, à risque ou à long terme. Les dirigeants des organismes de recherche, dont certains ont très bien su arrêter l'utilisation inappropriée des indicateurs bibliométriques, doivent désavouer les LABEX pris en flagrant délit sur cette pente.

Christophe Blondel, membre du bureau national du SNCS-FSU

Dans la précipitation (voulue) qui préside à leur mise en place, les LABEX sont en passe d'introduire une procédure parallèle d'évaluation des chercheurs. Le « document B » de l'appel à projets LABEX demande en effet de « présenter [chaque] laboratoire en indiquant [après la note de l'AERES] la présence de chercheurs ou enseignants-chercheurs de très haut niveau ou à très haut potentiel (noms, prénoms, distinctions, prix, publications...) ».

Comme les expériences vécues sur le terrain ces jours-ci le montrent, cette consigne déjà sidérante s'aggrave au fur et à mesure qu'elle est répercutée vers la base. Ainsi tel coordinateur de LABEX ajoute-t-il naturellement aux critères proposés le facteur h. Et les directeurs de laboratoires finissent, dans leur descente aux enfers, par faire d'un indicateur chiffré un critère de classement quasi exclusif. On pourrait en rire : dans les projets de LABEX qui nous sont tombés sous les yeux, la recherche du « haut niveau » ou du « haut potentiel » par le facteur h a abouti à sélectionner les plus vieilles gloires... Car le h s'accroît toujours en vieillissant et à cette aune, les chercheurs dotés du plus haut potentiel sont les retraités ou les préretraités. Suivant ce filtrage les LABEX apparaissent comme de magnifiques « labos des ex ».

Le système est-il rattrapable ? Y a-t-il une façon acceptable de répondre à la question de l'appel d'offres ? À considérer les critères proposés, la cause paraît sans espoir. Quand bien même on recenserait honnêtement les titulaires de « distinctions » et de « prix », on ne ferait que célébrer les succès du passé. Vouloir sélectionner les chercheurs d'avenir sur ces critères, c'est aller contre toute logique : on n'est pas bon parce qu'on a un prix, on a (en principe) un prix parce qu'on est bon, ou plutôt parce qu'on l'a été...

Mais le mal est plus profond. À supposer que l'objectif de sélection soit sérieux (ce dont la sélection finale par un ministère incompétent fait douter), il s'agit ici bien d'évaluation, et de la plus difficile : l'évaluation prospective des chercheurs. Seules les instances d'évaluation des personnels (au CNRS le Comité national de la recherche scientifique) sont habilitées à la faire, parce qu'elles seules ont le recul et les outils nécessaires pour l'entreprendre sérieusement.

C'est pourquoi le SNCS invite ses militants à refuser toute mise en oeuvre de ce recensement hors de propos, par les LABEX, des chercheurs « à très haut potentiel ». Le SNCS demande solennellement aux dirigeants des organismes de recherche, au premier rang desquels le président du CNRS qui a désavoué il y a peu la « caractérisation » inappropriée des chercheurs, de retirer leur soutien aux LABEX qui se hasarderaient à pratiquer cette mascarade évaluative.

Pourquoi en l'occurrence vouloir faire de l'évaluation individuelle ? Rien n'y oblige, sinon la volonté de mettre au pas la communauté scientifique. Un peu partout, la tendance initiale des LABEX au dépeçage des unités de recherche a reculé devant notre ferme volonté de préserver l'unité de nos laboratoires. L'évaluation individuelle des chercheurs des LABEX est une façon de revenir à la charge. Il faut à tout prix la repousser et continuer à défendre, contre la création de ces baronnies rétrogrades que sont les LABEX, le modèle des établissements publics de recherche auquel nous tenons.