Collectif
Nouvelle parution
Les Blancs du texte, Jean-Pierre Goldenstein (dir.)

Les Blancs du texte, Jean-Pierre Goldenstein (dir.)

Publié le par Alexandre Gefen

Les blancs du texte, Etudes réunies et présentées par Jean-Pierre Goldenstein, Université du Maine, 2007.


Le 10 décembre 2004 se tenait à la faculté des Lettres, Langues et Sciences humaines de l'Université du Maine une journée d'études organisée par le GRESIL – Groupe de Recherche sur l'Indicible en Littérature – sur «Les blancs du texte».

En littérature, on le sait, «l'homme poursuit noir sur blanc» (Mallarmé). Mais le blanc du texte peut se manifester de différentes manières et revêtir des significations extrêmement variées – de la surface où s'inscrivent d'abord très matériellement des signes aux diverses thématiques actualisées par le texte, de la censure à l'ellipse narrative ou à la mise en scène de l'impossible à dire…

Étudier les blancs du texte c'est par conséquent vouloir tout ensemble prendre en considération et le compte tenu des signes et le compte tenu des mots. Les différentes interventions retenues pour cette journée d'études s'attachent, chacune à sa façon, à répondre à ces questions.


Sommaire

Ouverture – Jean-Pierre Goldenstein

Blancheurs du blanc – Jérémie Collot

Pour une typologie des blancs – Reza Mir-Samii

Ecriture en fragments, les blancs du texte – Jean-François Bourdet

Usages du blanc – Jean-Pierre Goldenstein

Le blanc sous presse – Alain Riffaud

Les silences du récit – Alexandre Gefen

Les blancs du texte mallarméen – Ahmed Kaboub

Le voyage en Orient de Segalen: une plongée dans le blanc des cartes de géographie – Jean-Philippe Guichon

Trous noirs et rêves blancs : l'écriture onirique de Proust – Thanh-Vân Ton-That

Marie Darrieusecq ou l'écriture blanche dans White – Cécile Narjoux


Présentation détaillée

Le 10 décembre 2004 se tenait à la faculté des Lettres, Langues et Sciences humaines de l'Université du Maine une journée d'études organisée par Le GRESIL – Groupe de Recherche sur l'Indicible en Littérature – sur «Les blancs du texte». Depuis 2000, le GRESIL menait des recherches sur les différentes formes langagières de l'extrême. Nos réflexions se donnaient pour but de mieux comprendre comment des scripteurs confrontés à une expérience limite cherchent à écrire l'in-scriptible. Par expérience limite nous entendions toutes formes de violences, naturelles ou humaines, faites à l'homme – catastrophes naturelles, massacres, révolutions, formes modernes de génocides, torture... Il s'agissait d'abord d'arpenter un territoire en proposant, au cours des réunions tenues par le groupe manceau, tant des travaux originaux que des mises au point effectuées à partir d'essais récents déjà publiés. Cela nous a par exemple conduits à présenter les grandes lignes d'ouvrages extrêmement divers[1] comme à aborder des sujets aussi divers que «l'indicible et le voile de l'image à partir d'un fait divers de presse» (Alain Riffaud), «le plagiat comme indicible de la littérature» (Hélène Maurel-Indart), «l'indicible de l'homosexualité et sa fécondité littéraire dans l'oeuvre de Julien Green» (Michèle Raclot), «l'indicible de l'idéologie chez Aragon» (Maryse Vassevière), «le dicible et l'indicible chez Roussel» (Kenji Kitayama, Université Seijo, Japon), «la clinique comme écriture du réel» (Youssef Mourtada), «l'indicible dans la littérature de jeunesse» (Christian Poslaniec)…

Il était sans doute inévitable que le GRESIL rencontrât au cours de ses réflexions la question du blanc. En littérature, on le sait, «l'homme poursuit noir sur blanc» (Mallarmé). Mais ce dernier peut se manifester de différentes manières et revêtir des significations extrêmement variées. Support des divers codes graphiques, il offre à la page une surface où s'inscrivent d'abord, au sens le plus matériel, des signes. Il propose par ailleurs des usages diversifiés à toutes sortes de «thématiques» ou de tentatives – de la censure aux discours amoureux ou mystiques, de l'ellipse narrative à la mise en scène de l'impossible à dire.

Étudier les «blancs du texte» c'est par conséquent vouloir tout ensemble prendre en considération et le compte tenu des signes et le compte tenu des mots. Le blanc est-il obligatoirement un silence? Que dit-on, que lit-on à travers/par lui? Les différentes interventions retenues pour cette journée d'études s'attachent, chacune à sa façon, à répondre à ces questions.

Il a semblé bon de donner sur cet objet singulier la parole aussi bien à de jeunes doctorants (J. Collot, A. Kaboub) qu'à des enseignants-chercheurs plus confirmés du Mans (J.-Fr. Bourdet, J.-P. Goldenstein, J.-Ph. Guichon, R. Mir-Samii, A. Riffaud) ou venus d'autres universités (A. Gefen, Université de Neuchâtel; C. Narjoux, Université de Bourgogne; T.-V. Ton-That, Université d'Orléans) qui nous ont fait l'amitié de collaborer à cette réflexion collective. Il va de soi que les propos librement exprimés n'engagent que leur auteur.

Jérémy Collotpropose une intervention éminemment questionnante en abordant la question en amont, d'un point de vue théorique et épistémologique et en cherchant à déconstruire l'évidence du blanc, à en questionner la validité théorique. Le blanc pour lui est avant tout un objet à construire, à considérer dans ses différents types de manifestation sans se limiter à une approche métaphorique comme présence de l'indicible. Dans cette perspective, il s'agit de penser le blanc, la blancheur du blanc par-delà son apparente évidence. A cette fin, il prend le cas de l'écriture en fragments et soutient que le blanc, loin d'être un facteur de continuité ou de discontinuitéest à la fois facteur de continuité et de discontinuité.

Reza MIR-SAMII avance les éléments d'une typologie des blancs, examine les diverses manifestations du blanc à l'écrit comme à l'oral. Il développe une réflexion fondée sur les valeurs linguistiques du terme en s'attachant aux valeurs de base de «blanc» dans le système sémiologique en tant que signe linguistique et non linguistique et dégage les principales significations du terme en tant que nom et qu'adjectif. Sa réflexion s'appuie volontiers sur une pièce de théâtre de Yasmina Reza – Art – où il est question d'une toile peinte en blanc sur laquelle, en clignant les yeux, «on peut apercevoir de fins liserés blancs transversaux» que plus d'un lecteur sans doute prendra plaisir à découvrir ici.

Jean-François Bourdet s'intéresse autexte fragmentaire qui, contrairement aux apparences, n'est pas obligatoirement partiel ou incomplet. Au lecteur de prendre en charge les blancs du texte, espace ouvert de sa construction et présent dans le projet d'écriture. Comment dès lors penser le blanc qui sépare les fragmentsnotamment dans le cas des textes des mystiques occidentaux qui usent du blanc comme d'un outil de dépassement? Questionner cette présence indicible, et pourtant dite, c'est aussi s'interroger sur les limites de la représentation. L'histoire de la peinture témoigne également de ce phénomène.

Jean-Pierre Goldensteinpropose les rudiments d'une typologie des blancs en littérature, aussi bien des blancs au sens propre du terme, l'absence de signes sur le papier, que des blancs qui font l'objet de thématisations à l'intérieur des oeuvres suivant diverses configurations. A partir d'exemples divers il présente des usages du blanc imposés par une volonté institutionnelle. Il explore également diverses formes de blancs thématiques et métaphoriques, que le contrat de lecture soit ludique (Alphonse Allais et ses oeuvres «monochroïdales») ou sérieux (Gérard Wajcman renonçant dans son roman L'Interdit aux pages majoritairement blanches à la mise en intrigue faute de pouvoir trouver les mots susceptibles de dire l'indicible).

La contribution d'Alain Riffaud, richement illustrée, rappelle opportunément que le blanc avant de posséder éventuellement une dimension symbolique relève tout d'abord d'une matérialité première de feuille de papier préparée pour l'impression. Prenant l'exemple du théâtre imprimé du XVIIe siècle français, il observe, nombreux exemples minutieusement commentés à l'appui, la recherche de la répartition harmonieuse des blancs sur la page tout comme les divers accidents qui peuvent survenir lors de la préparation d'une impression. La politesse typographique recherche un équilibre entre les blancs, les lignes de matière et les ornements. Le blanc est un élément matériel de première importance. Il doit savoir ne pas s'afficher avec ostentation mais également s'affirmer, se mettre au service de la lecture dramatique (didascalies marginales, respirations du discours), et se soumettre aux exigences esthétiques gouvernées par l'honnêteté.

Alexandre Gefen s'intéresse quant à lui à un phénomène totalement différent: les blancs de la diégèsequi constituent les «silences du récit» et invitent le lecteur à combler ce que la dynamique du récit a tu. Après avoir mené une analyse narratologique des silences du récit, il se met «à l'écoute des silences» et montre que pour les écrivains ce silence est la possibilité même de l'intertextualité et du commentaire. Pour le lecteur expert, ces silences du récit sont le lieu du commentaire. Les silences du récit apparaissentavant tout dans des poétiques du soupçon et témoignent d'une volonté de dénaturaliser l'opération de narration, d'en dénoncer les stratégies manipulatoires cachées. Ils désignent ce par quoi le monde résiste ou dépasse la représentation.

La contribution d'Ahmed KABOUB revient sur l'usage des blancs typographiques dans les oeuvres de Stéphane Mallarmé. Il étudie plus particulièrement les treize poèmes en prose d'Anecdotes ou poèmes et montre comment Mallarmé puise dans les ressources typographiques en octroyant au blanc de multiples significations symboliques. On passe bien en l'occurrence avec Mallarmé du blanc typographique à visée esthétique au blanc porteur d'indicible.

Jean-Philippe GUICHON explore le blanc dans le cycle chinois de Victor Segalen et fait le départ entre voyager par le truchement des cartes et voyage réel. Les rêves du possible se heurtent à la réalité d'un univers fini. Tout se passe comme si Victor Segalen voulait donner un sens plus pur aux cartes de géographie, ces dernières ne valant plus finalement que par les blancs qu'elles recèlent. De fait, les blancs de la carte incarnent l'inconnu et constituent la seule invitation au voyage qui vaille. Telle est la mélancolique morale qui se dégage de cette plongée dans le blanc des cartes de géographie: l'enfant baudelairien «amoureux de cartes et d'estampes» n'aurait jamais dû grandir.

Parmi les nombreux rêves dans la Recherche, Thanh-Vân TON-THATdistingue le rêve de Swann qui clôt Un amour de Swann. Ce rêve articule les jeux de continuité et de discontinuité autour des blancs explicites ou non du texte. Comment ce rêve littéraire en noir et blanc fonctionne-t-ilderrière son économie apparemment cohérente ? Quel rôle y jouent notamment les blancs, les vides du texteet les ellipses?

La contribution de Cécile Narjoux s'attache au tout récent roman de Marie Darrieussecq, White (2003). Il s'agit pour elle d'explorer les différentes facettes du blanc dans un roman dont le titre annonce d'emblée la couleur. A cette fin, elle analyse les principales composantes d'une poétique du blanc chez une romancière qui, depuis Naissance des fantômes (1998), définit l'écriture comme exploration des zones frontières entre réel et imaginaire, monde extérieur et monde intérieur. Marie Darrieussecq s'intéresse à ce qui se joue aux limites, le non-espace, le non-temps: le rêved'une «écriture blanche».

La diversité des études ici réunies, on le voit, permettra à chacun de trouver son bien. Au lecteur désormais de poursuivre «noir sur blanc». Puisse-t-il y prendre quelque intérêt; c'est là tout le mal que je lui souhaite.

Jean-Pierre Goldenstein

Professeur de littérature française

Université du Maine

GRESIL – EA 3267


[1] Aussi bien La grammaire du silence: une lecture de la poésie de Marguerite de Navarre de Robert Cottrell (Paris, Honoré Champion, «Etudes et Essais sur la Renaissance», n° 10, 1995) que le volumineux recueil édité par Catherine Coquio, Parler des camps, penser les génocides (Paris, Albin Michel, 1999)ou l'essai d'Alain Finkielkraut, Une voix qui vient de l'autre rive, (Paris, Gallimard, 2000).