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Le XIXe siècle et ses langues

Le XIXe siècle et ses langues

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Sarga MOUSSA (CNRS, UMR LIRE))

Le XIXe siècle et ses langues

Resp. SargaMoussa et Éric Bordas

Congrès de laSociété des études romantiques et dix-neuviémistes

Paris, 24-26janvier 2012

(FondationSinger-Polignac : après-midi du 24 et 25 janvier ;

Institut du MondeArabe : 26 janvier)

Texte d'orientation

Ilfaut sans doute partir de l'idée que le XIXe siècle (re)découvre ladiversité des langues et des cultures : les langues vivantes, bien sûr,comme l'allemand (Mme de Staël), mais aussi, plus largement, deslangues européennes moins connues (par exemple scandinaves, à travers des« comparatistes » comme Xavier Marmier et Jean-Jacques Ampère), ouextra-européennes (chinois, persan…), dont les littératures font l'objet detraductions de plus en plus nombreuses ; il y a aussi les languesanciennes (le sanscrit, les hiéroglyphes…), qui permettent de rêver à d'autreslangues-« mères » que le grec et le latin, donc à repenser lesfiliations culturelles. L'étude des langues orientales donne lieu à la créationde chaires d'enseignement, qui ne sont pas sans répercussion sur la productionlittéraire (voir les traductions de poésie arabe préislamique que Hugo insèreen notes dans ses Orientales). Unegéographie et une histoire tout à la fois renouvelées, étendues etreconfigurées, apparaissent, bousculant du même coup frontières du savoir etparadigmes explicatifs. Des « valeurs » sont associées à ces langues,qui servent parfois à légitimer des discours raciologiques (Gobineau, Renan).

Cettediversité se révèle aussi, littérairement, dans la manière dont certainsauteurs ponctuent leurs textes de mots étrangers (tels Gautier et Nerval dansleurs récits de voyage), mais aussi dans la conscience d'une diversitélinguistique intérieure, que la Révolutionfrançaise avait voulu gommer, et qui fait retour, notamment dans l'emploi desrégionalismes (voir les romans de G. Sand). Les progrès de la sciencecontribuent aussi à la diversification des « langues », ou plutôt deslexiques : introduction, chez Balzac, de termes techniques modernes(vocabulaire de la sociologie, en particulier), qu'un romancier comme JulesVerne développe à plaisir, mais aussi, dès le début du XIXesiècle (Mercier), de néologismes, ou encore, dans la seconde moitié du siècle,de traités et de dictionnaires d'argot (Delvau, Larcher…). On devra aussis'interroger sur les différentes langues éventuellement employées par un mêmeécrivain et sur le rapport qu'il entretient avec elles : les languesanciennes, mais aussi des langues moderne, avec la question des traductions,qui contribuent parfois à donner un nouveau statut à tel ou tel auteur (pensonsà Poe traduit par Baudelaire).

Le XIXesiècle a sollicité toute l'étendue de l'imaginaire linguistique. La tradition rousseauiste conduit à valoriserl'idée d'une langue commune à l'ensemble de l'humanité – celle del'origine de l'humanité, ou celle de Dieu, dont Lamartine croit déchiffrer lessignes dans l'espace, en Orient comme en Occident. L'idée d'une langueuniverselle connaît des avatars dans un registre laïc et humaniste, par exempleà travers les projets de langue universelle (l'espéranto, le volapuk) quinaissent en marge des Expositions universelles. Il faut donc aussi prendre encompte, pour l'ensemble du siècle, les rêveries sur La Langue, qui permettrait aux différents groupes de s'entendre. On revient ainsi aux bases mêmes de l'imaginaire deBabel : qu'est-ce qu'une langue ? quelles en sont lescomposantes ? quelle part l'oralité joue-t-elle, avant toute transcriptionécrite, dans la transmission du savoir (la voix maternelle, l'oreille…) ?

Mais le XIXesiècle est aussi celui de la diffusion des connaissances sur les langues, que ce soit à travers les manuels de grammaire, lesdictionnaires, les programmes scolaires, les politiques d'enseignement, leslibrairies spécialisées, en France ou à l'étranger, sans parler dudéveloppement de la linguistique (pensons au Mémoire du tout jeune F. de Saussure). Ce siècle est aussicelui des francophonies émergentes. De forts enjeux épistémologiques sont liésà ces questions : comment les langues sont-elles représentées, classées,hiérarchisées ? comment jouent-elles dans la construction des identitésnationales ? en quoi peuvent-elles être instrumentalisées comme uninstrument de pouvoir, que ce soit face aux patois ou dans un contexte de rivalitécoloniale ? Mais on pourra aussi réfléchir sur le fait que, pour certainsécrivains libanais et égyptiens du tournant du siècle, le choix du françaiscomme langue d'écriture fut revendiqué comme un espace de liberté.

Voilà quelquespistes de recherche qu'il s'agirait de préciser et d'historiciser, àl'intérieur même du XIXe siècle, et dont on suggère qu'il faudraitd'emblée les examiner de manière véritablement interdisciplinaire, enconfrontant les apports des littéraires et des spécialistes de languesétrangères, mais aussi des comparatistes, des linguistes et des historiens.

Quelques axes deréflexion :

- les langues étrangères en France et leurs usageslittéraires

- l'imaginaire de la langue française dans leslittératures francophones émergentes

- primitivismes : rêves d'une langue originaire,d'une langue-mère, de la langue comme patrie, d'une langue divine…

- la sexuation des langues : langue du père, de lamère, langue « virile » vslangue « efféminée », rimes masculines et féminines…

- langues et genres (le roman comme polyphonie desparlures sociales ; le théâtre, la pantomime, l'oralité…)

- langues, nations, races : formes d'altéritécollective et constructions de nouveaux paradigmes

- langues et idéologies : valeurs associées à lareprésentation des langues étrangères (parlées ou écrites) dans la littératurefrançaise

- langue et style : les écritures« artistes », l'invention des « langues » littéraires

- la langue comme véhicule de nouvelles politiquesculturelles et éducatives : triomphe du français et survivance desdialectes, patois, etc.

- frontières de la langue : langage du corps,symptômes, bruits, infralangage,

- l'invention des langues nouvelles (espéranto, langagesscientifiques…)

- langues et systèmes sémiotiques non langagiers :le rôle de l'écrit dans la peinture, la musique, la sculpture, l'architecture,la danse, la caricature, les transpositions et les codes de notationsymboliques

- les institutions de la langue : sociétés savantes,les chaires, les académies, les grammaires, les manuels, les dictionnaires…

Comité scientifique : Éric Bordas (ENS de Lyon), Jocelyne Dakhlia(EHESS), José-Luis Diaz (Univ. Paris 7), Philippe Hamon (Univ. Paris 3),Jean-Noël Luc (Univ. Paris 4), Françoise Mélonio (Univ. Paris 4), Sarga Moussa (CNRS), Jacques-PhilippeSaint-Gérand (Univ. de Limoges)

Les propositions decommunication (titre et résumé d'unedemi-page à une page) sont à envoyer pour le 1er mai 2011 à Sarga Moussa (smoussa@free.fr)et à Éric Bordas (erbordas@club-internet.fr)