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Le toucher au cinéma et dans les médias numériques

Le toucher au cinéma et dans les médias numériques

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Amanda Robles)

Le toucher au cinéma et dans les médias numériques

Pour son neuvième numéro, Entrelacs, revue scientifique éditée par l’École Supérieure d’Audio-visuel et le Laboratoire de Recherche en Audiovisuel de l’Université de Toulouse 2 (L.A.R.A.), propose de mettre en œuvre une réflexion esthétique sur le toucher au cinéma et dans les médias numériques. Comment les différentes sphères de la création cinématographique (celles des cinéastes, des techniciens, des acteurs et des spectateurs) sont-elles marquées par l'expérience du toucher ? Quant aux « nouveaux » médias, comment explorent-ils à leur façon les possibilités tactiles de l'audio-visuel ?

La main d'un meurtrier effleurant la branche d'un noisetier ; celle d'un adolescent ivre manipulant un singe mécanique ; les doigts d'une religieuse caressant le visage paré d'une danseuse indienne… De Robert Bresson à Nicolas Ray en passant par Michael Powell, le cinéma a sans nul doute épuisé le corpus du tact énuméré par Jean-Luc Nancy : « effleurer, frôler, presser, enfoncer, serrer, lisser, gratter, frotter, caresser, palper, tâter, pétrir, masser, enlacer, étreindre, frapper… »1 Car le cinéma est avant tout une histoire de corps, de gestes et de points de contact entre les êtres soulevant une question de proximité avec le monde qui les accueille ou les repousse. L'histoire du cinéma pourrait ainsi être considérée comme une série de réactions épidermiques entre les différentes forces esthétiques, politiques, économiques en présence à l'écran, ainsi qu'entre l'image visible et les hors champs qui l'enveloppent.

Nous proposons de nous éloigner ici de l'analyse traditionnelle qui pense le cinéma comme une expérience sensorielle avant tout visuelle et auditive pour soulever l'hypothèse qu'il peut s'agir aussi d'un art éminemment tactile, non seulement parce qu'il imprime les aventures sensuelles des corps filmés mais aussi parce qu'il engage chez le cinéaste, outre une acuité visuelle et auditive, un sens du toucher singulier. Le cinéma qui nous touche est donc peut-être avant tout celui que fabriquent les cinéastes avec leurs mains et qui porte en creux, ou en plein, la trace de leurs tâtonnements. Un cinéma qui cherche à établir un contact plus direct avec la réalité filmée, un cinéma qui vient à nous et s'avance au plus près, jusqu'à nous toucher, comme on apposerait la surface sensible de la main pour abolir la distance du regard. L’œuvre cinématographique nous touche et, par cette réversibilité inévitable que Maurice Merleau-Ponty associait au toucher2, nous nous touchons à elle.

Ce cinéma tactile qui ouvre la possibilité d'une interactivité physique entre le corps regardant et les espaces-temps regardés, trouve des développements particulièrement intéressants dans la création numérique. Par le biais de nouvelles interfaces et l'exploration de zones frontières entre l'image et le récepteur, les nouveaux médias sollicitent plus concrètement notre participation corporelle.

Dans les arts cinématographiques et numériques, la question du toucher vient comme un relais de l’œil, peut-être pour pallier cette distance nécessaire à la constitution d'une image. Selon Gilles Deleuze, il existe une qualité du regard située à la frontière du visible et du tactile. Ce regard haptique développe un espace de proximité et d’affect intense, un espace de contact qui permet au regard de toucher, de palper l’objet et de s’y perdre.3 Le cinéaste en même temps que le spectateur participent alors très activement à l'élaboration de cet espace haptique. Habités par la question du toucher, les cinémas que nous souhaitons mettre ici au travail sont de ce fait « hantés » par la figure de la main : que celle-ci soit visible ou non dans le film, qu'il s'agisse de la main du personnage, du cinéaste ou de celle du spectateur.

Le toucher à l'écran

La main est un élément dramaturgique qui structure explicitement certains cinémas. Chez Robert Bresson, Alfred Hitchcock ou Raul Ruiz, la manipulation des objets découpe un espace de relations psychologiques ou chamaniques permettant de caractériser des personnages grâce à leur point de contact avec la matière inerte. Aveugles ou aveuglés, les protagonistes semblent chercher dans ces différentes expériences tactiles une nouvelle clairvoyance qui ne passe plus par le visible, éclairant alors différemment l'intrigue. D'une autre façon, l'Actors Studio voyait dans la manipulation d'objets une méthode efficace pour caractériser les personnages en faisant du geste de la main un acte manqué particulièrement expressif. Le ruban caressé par Carroll Baker ou le gant de femme dans lequel Marlon Brando glisse sa main en disent long sur les pulsions de contact mises en œuvre dans le cinéma d'Elia Kazan. Par ailleurs, le morcellement du regard qu'implique la mise en valeur de ces micro-actions fait naître un nouvel espace cinématographique ultra fragmenté, que l’œil devra recomposer à tâtons, comme une main agence les éléments d'un puzzle.

Le toucher du cinéaste

Dans d'autres cinémas, la main du Pickpocket laisse place à celle du cinéaste qui entre à son tour dans le cadre pour toucher la réalité filmée et témoigner de sa relation au monde. Des 1908, Émile Cohl introduisait ses mains dans Fantasmagorie pour dévoiler la naissance de sa créature en trois coups de crayon. Le toucher s’affichait alors comme geste de pouvoir, intervention du « deus ex machina » capable de donner vie au monde inanimé. Ce geste intrusif a continué de hanter le cinéma en se chargeant sans cesse de nouvelles significations. Alain Cavalier, Naomi Kawase, Jonas Mekas, Claudio Pazienza, Johan Van der Keuken ou encore Agnès Varda en ont fait le signe de la complexité de leur rapport au réel : doute profond de la perception, fragile appartenance au monde ou questionnement sur la distance de prise de vue4. Ce type d’image réunit dans un geste d’embrassement quasi amoureux l’espace se trouvant derrière la caméra (espace habité par le filmeur) et celui de la réalité exposé devant ses yeux.

Mais dans le même temps que le cinéaste cherche à toucher la réalité, il marque aussi la distance qui le sépare du monde. Car le toucher implique un mouvement d'avancée et de recul. Cette scène primitive où l'homme dessine sur le mur de la grotte la trace de sa main absente5, se rejoue sans cesse au cinéma comme dans Les Mains négatives de Marguerite Duras. À la fois présente et absente, la main hante le cinéma à la manière d'un fantôme, habitant tout le film alors même qu'elle demeure invisible. Et la sensation tactile ne se donne qu'en creux : dans l’intervalle entre chaque image vue, on imagine la main du cinéaste au travail ou encore celle du monteur - polyphonique et révolutionnaire dans L’Homme à la caméra ; silencieuse, généreuse, indéniablement politique chez les Straub-Huillet. Le film est alors constitué des traces laissées par ces mains invisibles sur la matière, comme en témoignent explicitement l'action-painting de Pablo Picasso filmé par Henri-George Clouzot ou encore les manipulations des cinéastes expérimentaux qui jouent avec le matériau en étirant le temps, recadrant les images, allant jusqu'à gratter la pellicule.

Le toucher du spect-acteur

Depuis la fin des années cinquante, les outils cinématographiques, devenus légers et maniables, se sont transformés en même temps que l'usage de la vidéo et des technologies de l'information se développait dans la création (art vidéo, installations multimédias). De « nouveaux » dispositifs interactifs liés à la technologie numérique, apparus dans les années quatre-vingt, permettent aujourd'hui au spectateur de choisir un certain nombre de fonctionnalités et de contenus. Les films interactifs, via Internet et les réseaux sociaux, mais aussi les interfaces intelligentes (capteurs de mouvements et tactilité des écrans, etc.) offrent donc la possibilité d'autres écritures audiovisuelles (net art, webdoc, POM, etc.). La position traditionnelle du spectateur de cinéma est bien renouvelée face à l'émergence de ces médias numériques au point que son existence même est remise en cause par les concepteurs qui utilisent la notion de spect-acteur ou d'inter-acteur6. Nous sommes ainsi appelés à choisir, agir et réagir... à toucher et être touchés...

 

1. Jean-Luc Nancy, Corpus, Paris, Métailié, 2000, p.82.

2. Selon Maurice Merleau-Ponty, « toucher c'est se toucher », Le Visible et l'invisible, Paris, Gallimard, 1964.

3. Dans Mille plateaux, Gilles Deleuze développe une opposition entre Espace lisse (haptique) / Espace strié (optique). L'haptique ou le lisse étant un espace de proximité, une forme de vision rapprochée, par opposition à un espace optique ou strié soit une forme de vision éloignée qui se déploierait dans un monde figé et articulé par des normes découlant de la perspective. (Mille plateaux, Paris, Minuit, 1980, pp. 614-622.)

4. « Je filme à la distance où je peux toucher et où l'on peut me toucher » explique Johan Van der Keuken. (« La distance à laquelle filmer », Aventures d'un regards, Paris, Cahiers du Cinéma, 1998, p. 171.

5. « Être un humain, c’est produire la trace de son absence sur la paroi du monde et se constituer comme sujet qui […] voyant l’autre, lui donne à voir ce qu’ils pourront partager : des signes, des traces, des gestes d’accueil et de retrait. » (Marie-José Mondzain, Homo spectator. De la fabrication à la manipulation des images, Paris, Bayard, 2007.)

6. Voir Catherine Guéneau, « Du spectateur à l'interacteur ? », Médiamorphoses, numéro 18, Bry-sur-Marne, INA, 2006 et Franck Beau, Philippe Dubois, Gérard Leblanc, Cinéma et dernières technologies, Paris, Bruxelles, De Boeck, 1998.

Les propositions de contribution pourront notamment aborder l'un des trois axes développés ci-dessus : le toucher à l'écran, le toucher du cinéaste, le toucher du spect-acteur.

 

Modalités de soumission

Les propositions doivent être transmises par courrier électronique avant le 1er mars 2013 à :

amanda.robles@univ-tlse2.fr et julie.savelli@univ-montp3.fr

La réception de chaque proposition donnera lieu à un accusé de réception par mail.

La proposition livrée en fichier attaché (titrée au nom de l’auteur) au format rtf, doc ou odt, sera composée de 2 parties :

- une proposition de contribution entre 1500 à 3000 signes maximum.

- une courte biographie du(des) auteur(s), incluant titres scientifiques et principales publications récentes - une page maximum.

Organisation de la sélection

Chaque auteur recevra un avis circonstancié qui indiquera l’acceptation (conditionnée ou non), ou le refus de l’article. Les propositions acceptées devront ensuite être modifiées en fonction des remarques du comité de lecture.

Modalités techniques

L’article définitif devra respecter les conventions typographiques et de mise en page qui seront à consulter sur le site de la revue à l'adresse suivante : http://entrelacs.revues.org/371

La taille de l’article sera comprise entre 15 000 et 30 000 signes espaces compris.

Il sera envoyé par voie électronique sous la forme d’un fichier au format rtf, doc ou odt, contenant le titre, le résumé (10 lignes environ), le texte et, le cas échéant, ses illustrations libres de droit (de préférence en tif ou eps, résolution 300 ppp), numérotées par ordre (figure 1, figure 2, etc.) et légendées.

Publication

Les articles seront publiés en juin 2013 par voie électronique dans l’espace de publication du site web d'Entrelacs : http://entrelacs.revues.org sur le portail revues.org du CLEO / CNRS

Calendrier (dates importantes)

  • Date limite de soumission : 1er mars 2013

  • Notification d'acceptation des propositions : 30 mars 2013

  • Remise des textes complets (30 000 signes maximum, espaces compris) : 15 mai 2013

  • Publication : 15 juin 2013

En savoir plus

Pour de plus amples renseignements sur la revue Entrelacs, vous pouvez consulter le site Internet de la revue : http://entrelacs.revues.org

Directeur de publication :

Pierre ARBUS, MCF, École Supérieure d’Audiovisuel (ESAV : esav.fr) / Laboratoire de Recherche en Audiovisuel (LARA : lara.univ-tlse2.fr / lara.hypotheses.org)

Rédactrices en chef du numéro 9 :

Amanda Robles, ATER, École Supérieure d’Audiovisuel (ESAV : esav.fr)

Julie Savelli, maître de conférences associée (PAST), Université Paul Valéry – Montpellier 3