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Le regard dans le roman au XXe siècle

Le regard dans le roman au XXe siècle

Publié le par Aude Leblond

Le regard dans le roman au XXe siècle : appel  à communications

Journée d'études doctorants et jeunes chercheurs des équipes Métamorphoses de la fiction et CERACC (Paris III) le 9 juin 2008

Sous la direction scientifique de Marc Dambre et Alain Schaffner


Martin Jay élabore dans Downcast Eyes une histoire du dénigrement du regard dans la pensée du XXe siècle, de la défiance bergsonienne au panoptique de Foucault et à la société du spectacle. Entre philosophie et théorie littéraire, le thème du regard connaît un désenchantement : loin que le sens de la vue reste, comme l'avait formulé Descartes, « plus considéré que tous les autres », il devient un instrument de perversion, d'angoisse (du Chien andalou aux visions de Bataille), voire d'oppression (de la conception sartrienne du désir au règne de la surveillance). Pourtant, le XXe siècle est un moment d'explosion des possibilités artistiques liées au visuel, qu'il s'agisse du développement de nouveaux media (photographie et cinéma) ou de la recherche de nouvelles intersections entre texte et image (collage, calligramme, etc.). De fait, il semble que la littérature soit obsédée par le regard, de l'instrument d'optique proustien à l'École du Regard, en passant par le « stupéfiant-image » d'Aragon.
    La littérature participe-t-elle donc de ce dénigrement ? Le regard y est-il dénoncé ou célébré ? Quel élément pèse le plus lourd dans À la recherche du temps perdu, la véracité profonde des toiles d'Elstir, ou la perversion du voyeurisme, qui fait résonner le traumatisme de la scène profanatoire de Montjouvain au spectacle masochiste de Charlus dans la maison de passe ? Concentrer la réflexion sur la notion de regard permettra de faire cohabiter des problématiques thématiques et stylistiques ; il semble par ailleurs souhaitable de couvrir l'ensemble du champ historique du XXe siècle, dans la mesure où ce thème rassemble des mouvements littéraires a priori antagonistes. La réflexion pourrait s'organiser autour des pistes de réflexion suivantes, sans prétendre épuiser le champ des possibles.

Le regard comme métaphore critique
    On peut s'interroger sur la construction, dans le discours critique, d'une dramaturgie de l'oeuvre : vision de l'écrivain, statut de spectateur conféré au lecteur, thème du miroir sont des images dont il est difficile de faire l'économie, même si elles sont continuellement remises en question (notamment dans l'attaque du roman mimétique qui se déclenche avec L'Ère du soupçon). La notion de regard envahit ainsi le discours critique, dans la droite ligne de la phrase du Temps retrouvé selon laquelle « (…) le style pour l'écrivain aussi bien que pour le peintre est une question non de technique, mais de vision ». Un styliste aussi pointilleux que Gracq, quarante ans plus tard, intitulera un long entretien radiophonique, première mouture de sa poétique romanesque, « Les yeux bien ouverts ». Quel est l'enjeu de ces métaphores visuelles ?

Regard et « transposition d'art »
    La littérature est concurrencée dans son entreprise mimétique, au début du XXe siècle, par la photographie et le cinéma. Dans quelle mesure ces nouveaux media métamorphosent-il la réception des oeuvres ? Que signifie porter sur un roman un regard de spectateur ? Claude Simon, dont la vocation première était picturale, déclare : « J'écris mes livres comme on ferait un tableau. Tout tableau est d'abord une composition ». Il accorde ainsi au regard un rôle central et organisateur, ce qui transparaît dans le choix d'un titre comme Triptyque. On peut comprendre à partir de ce genre de conception que les oeuvres visuelles envahissent la diégèse : le masque aux yeux vides de l'Inconnue de la Seine, la toile de Burne-Jones dans « Le Roi Cophetua », la Judith de Cranach chez Leiris, le portrait en couverture de La Route des Flandres semblent appeler un type de lecture fondé sur la confrontation entre un texte et une ekphrasis emblématique.

Regard et point de vue : vers un scepticisme ?

    Gide prône un usage déceptif du point de vue. Le roman, selon lui, doit utiliser le point de vue pour barrer la vue au lecteur, et ménager de multiples zones d'ombre ; bref, le lecteur doit descendre du point de vue surplombant qu'il s'imaginait pouvoir partager avec l'auteur. La question du point de vue ne conduit pas seulement à marquer les limites du regard : elle pose aussi celle du pouvoir du regard dans l'oeuvre. Proust accorde par exemple au regard esthétique un pouvoir de déchiffrement du monde et de soi : « En réalité, chaque lecteur est quand il lit le propre lecteur de soi-même. L'ouvrage de l'écrivain n'est qu'une espèce d'instrument d'optique qu'il offre au lecteur afin de lui permettre de discerner ce que sans ce livre il n'eût peut-être pas vu en soi-même. » Le regard proustien veut échapper à la définition du regard littéraire, qui se situerait au carrefour de la subjectivité et de la mimésis. Proust cherche à percer le secret des choses en les esthétisant par le regard, et il considère que cette opération alchimique permet d'extraire l'essence de l'objet. Cependant, ne peut-on soutenir qu'il lui importe bien plus de produire une belle image qu'une image vraie ?

Regard et description : vers une aporie ?

    « Rares sont les écrivains qui témoignent, la plume à la main, d'une vue tout à fait normale. », remarque Gracq. Il distingue entre les écrivains myopes (Huysmans, Breton) et les presbytes (Tolstoï, Claudel), ceux qui ne voient que de près et ceux qui ne voient que de loin. Dans ces conditions, comment la littérature peut-elle à donner à voir ? C'est dire que les enjeux de la description dépassent largement le cadre de la production d'une image mentale. On pourrait développer comme emblème de cette problématique la leçon esthétique du Chef-d'oeuvre inconnu : comme sur la toile de Frenhofer, le culte du détail peut avoir rendu impossible la formation et la perception de l'image, de même que je ne peux pas me représenter le chiliogone, pour emprunter un exemple à Descartes. Dès lors, on peut poser la question d'une utopie de la vision : le regard dans le Nouveau Roman est-il aussi impérialiste qu'on pourrait le supposer ? Un roman peut-il reposer entièrement sur la description ? Le jeu d'échecs dans La Vie mode d'emploi, le plan de Bleston dans L'Emploi du temps suggèrent un renoncement à nos habitudes de lecture fondées sur l'intrigue et la chaîne causale, mais modifient-ils en profondeur notre mode de lecture ?

Les propositions de communication (1500-2500 signes) devront être envoyées à audeleblond@gmail.com ou denise@delepine.org avant le 30 avril.

Aude Leblond et Denise Buot de l'Epine

Équipes Métamorphoses de la fiction (dir. Alain Schaffner) & CERACC (dir. Marc Dambre)
UMR 7171 Écritures de la modernité
Paris III - CNRS