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 « Le rationalisme de Viollet-le-Duc : la lisibilité comme valeur et ses diverses impossibilités » (Séminaire Espaces Ecritures Architectures)

« Le rationalisme de Viollet-le-Duc : la lisibilité comme valeur et ses diverses impossibilités » (Séminaire Espaces Ecritures Architectures)

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Emmanuel Rubio)

Séminaire Espaces Ecritures Architectures : lisible/visible

INHA galerie Colbert, Paris, 75002, salle Mariette

Séance d'ouverture

Emmanuel Rubio : « Le rationalisme de Viollet-le-Duc : la lisibilité comme valeur et ses diverses impossibilités »

Thème pour 2011-2012 :

Du visible, qui paraissait d'abord le domaine réservé de l'architecture, au lisible, que proposent tout naturellement les lettres, il n'est qu'un pas que la théorie fait bien souvent. Kevin Lynch, pour sa part, n'hésite pas à appliquer ce glissement à la ville dans son ensemble : « Tout comme cette page imprimée est lisible si on peut la percevoir comme un canevas de symboles reconnaissables et liés entre eux, de même une ville lisible est celle dont les quartiers, les points de repère ou les voies sont facilement identifiables et aisément combinés en un schéma d'ensemble. » Et l'architecture n'est pas en reste : Viollet-le-duc louait, de l'architecture romaine, le plan « clair, facile à lire », et Boullée pensait avant lui que « nos édifices, surtout les édifices publics, devraient être en quelque façon des poèmes ». A bien y regarder, les deux professions de foi ne s'appuient d'ailleurs pas nécessairement sur la même lisibilité, et la lecture ne saurait se limiter à ce que le dix-huitième siècle dénommait « architecture parlante ». Par-delà le symbolisme proprement dit, la lisibilité de l'architecture peut renvoyer à une fonction, une pratique, à moins encore qu'elle ne laisse apparaître l'histoire d'un lieu… D'une certaine façon, la lisibilité signe peut-être déjà une certaine transformation du visible, une manière de l'habiter. Peut-être même en est-elle indissociable et engage-t-elle, par-delà sa définition a minima (comme effet de reconnaissance, de clarté), la question du sens. Il n'est pas rare en tout cas que l'architecte, soucieux de la réception de son oeuvre, s'attache par écrit, à l'éclairer, à moins qu'il ne la redouble, ayant, pour la rendre vraiment lisible, à passer du côté de la lettre. La littérature ne s'est pas privée d'opérer sur l'architecture et la ville un décryptage dont les descriptions balzaciennes ou celles des romans policiers offrent de remarquables points d'orgue. Rien pourtant de naturel dans une telle opération. Comment l'objet architectural (dispositif spatial, morphologie, effets de lumière...) est-il perçu et vécu (frontalité, déplacement...) ? Dans quelle mesure cette perception visuelle ou les modalités de son habité induisent-elles une lecture du bâti (instantanéité, parcours sociaux ou sensoriels...) ? Comment la littérature exprime-t-elle cette lisibilité en termes de narrativité (rôle du détail, de l'ornement...) ? D'une lisibilité comme originelle, et nécessaire, à la lisibilité comme concept opératoire, voire comme idéal architectural, le changement est d'ailleurs peut-être plus décisif qu'il ne le paraît au premier abord et peut conduire à privilégier certains types d'écriture et d'habitation. Avancer l'« honnêteté », la « sincérité » de façades rendant lisible l'intérieur, est une chose ; on peut tout aussi bien favoriser les effets de surprise, de rupture, et jouer, en dehors de toute transparence, d'une multiplication du visible, dont le cinéma ou la littérature narrative savent user à leur tour. Est-il d'ailleurs légitime de donner le texte pour modèle ultime à l'architecture ? L'architecture se voit et se donne à voir dans ses projets comme dans ses réalisations ainsi que dans ses diverses représentations plastiques et littéraires. Si les conditions de sa production, ses projets, leurs représentations (maquettes, photomontages, simulations...) permettent de mieux d'approcher la réalité de l'objet architectural, d'en mesurer la lisibilité, faudra-t-il supposer pour autant que le spectateur ne soit pas d'emblée un bon lecteur de l'architecture (en raison de son originalité ou de sa complexité) ? Qu'il faut lire ou avoir lu pour voir une architecture ? Et cette lecture ne finit-elle pas par faire effet de masque ? « La lettre tue », rappelle Thom Mayne après Lacan ; « la pratique du langage […] annule les proliférations potentielles de sens contradictoires, tous les contraires qui pourraient aussi être vrais ». A moins, il est vrai, d'en appeler à un texte un peu moins lisible. Car la littérature elle-même, que l'on pense au Nouveau roman ou avant lui aux exercices extrêmes de James Joyce ou Gertrud Stein, a su se défier d'une lisibilité évidente – qui risquait de perdre toute charge humaine. A côté de la visibilité de la lettre, du Coup de dés mallarméen à la poésie concrète, on pourrait ainsi mentionner le rôle important, pour la rénovation du lisible, tenu par l'image poétique ou la description et l'attention au réel sensible – en passant par l'architecture (Robbe-Grillet). Il est significatif, en tout cas, qu'un architecte comme Peter Eisenman, au contact permanent de la lettre philosophique, ait oeuvré sans cesse à une architecture brouillant toute lisibilité définitive. Les questions de la visibilité et de la lisibilité se posent enfin dans tous les arts, sans que de leur visibilité ne soit induite leur lisibilité. « Il n'y a peut-être d'image à penser radicalement qu'au-delà de l'opposition canonique du visible et du lisible », écrit Georges Didi-Huberman. En irait-il de même de l'architecture ?

Le séminaire est organisé dans le cadre du CSLF (www.cslf.fr/), de l'EA 4414 - Histoire des arts et des représentations et de l'équipe REAGIR, EA 1586, (Paris Ouest Nanterre La Défense). Il aura une séance par mois. Architectes, spécialistes de littérature, d'arts ou de critiques, psychanalystes, sociologues, sémioticiens y seront les bienvenus.