Questions de société
Le principal syndicat étudiant de Paris IV (l'AGEPS) propose en ligne un texte sur la masterisation à destination des étudiants.

Le principal syndicat étudiant de Paris IV (l'AGEPS) propose en ligne un texte sur la masterisation à destination des étudiants.

Publié le par Sophie Rabau (Source : Ageps)

Alors que les étudiants peinent à s'informer complètement sur la masterisation et ses conséquences immédiates ou à long terme, le premier syndicat étudiant de Paris IV (l'Ageps) publie sur son site un texte court mais dense destiné aux étudiants. En l'absence de vrai travail des organisations étudiantes nationales sur ce problème, l'AGEPS soumet se texte à diffusion.

http://www.ageps.free.fr/image/TexteConcoursAGEPS.pdf

Réforme des Concours : silence on assassine !

Les nouveaux concours prévus dès 2009 orientent la formation et le recrutement des professeurs vers un système inédit par son recul disciplinaire, sa remise en cause profonde du métier d'enseignant, son injustice sociale et sa précarisation.

La nouvelle formation en 2 ans après la Licence (masterisation) marque un recul profond et dangereux dans la formation des étudiants et des futurs enseignants.

            Le savoir disciplinaire est marginalisé. Portée à Bac +5, le concours est « du niveau de la Licence ». La formation des étudiants est donc niée et dévalorisée vis-à-vis de l'extérieur. Les programmes sont recentrés sur « ceux du Secondaire » tandis que le mémoire, coeur du Master, est ravalé au rang de T.P.E. de 30 pages, à valeur didactique et pédagogique.

            Au final, le Master est conçu comme une « super-terminale », où l'étudiant se limite à une culture minimale de sa matière, sans lien avec des thématiques et des démarches universitaires.

            La formation professionnelle et pratique est dénaturée. Le stage d'un an post-concours, rémunéré, est supprimé. Il est remplacé par un stage non payé entre février et mai de l'année du M2, entre les écrits et les oraux, dans une situation de stress accrue. Dès la première année, l'enseignant est confronté à un service complet, contre une seule classe aujourd'hui.

            La réorientation des candidats, nombreux à échouer dans un contexte de réduction de postes, devient très problématique. A diplôme bidon répond un avenir bidon. Quelle sera la valeur de Masters prétendant témoigner d'un niveau de Licence et du Secondaire, sans formation à la Recherche, sans démarche d'approfondissement, de réflexion et d'originalité.

Les nouveaux concours transforment le processus de sélection des professeurs, passant d'une logique d'évaluation et de sélection de spécialistes disciplinaires aptes à enseigner à une logique de contrôle du corps enseignant, réduit au statut d'exécutant docile et formaté. 

            Pour des raisons budgétaires, les épreuves sont réduites alors même que leurs natures évoluent sensiblement. Les deux seuls oraux « de même coefficient » placent à égalité maîtrise disciplinaire et « connaissance du système éducatif ». L'oral disciplinaire, comme les deux écrits, est soumis au tirage au sort, dans une logique de développement de la « bivalence et trivalence ». Avec ces 20 minutes pour toute sa science, le candidat est évalué à part égal sur sa connaissance de « l'existence des comités d'hygiène et sécurité (…), de sa place dans la hiérarchie (...), et dans la Cité ».

            L'indépendance même de l'enseignant est menacée. Expert de ce qui lui est autorisé et interdit, le professeur postulant est jugé dans son second oral par un jury « ouvert à la société civile » et aux proviseurs. Pour juger les dangereux soldats qui auront à utiliser des craies lance-flammes, seront conviés des membres « d'institutions [association de parents d'élèves ?], d'entreprise [ !], de collectivité [maire ? adjoints ?] ».

Enfin, le recrutement évolue dans son ensemble vers une précarisation du métier d'enseignant et une réduction de sa diversité sociale.

            Le mode de recrutement et de formation prévu par le Ministère engendre une précarisation inévitable des étudiants et des futurs professeurs. Dès 2010, des milliers d'étudiants seront titulaires d'un Master Enseignement mais recalés aux concours. Ce diplôme, sans valeur autre que dans le cadre de l'Education Nationale, permettra au Ministère de recruter de nombreux vacataires ou contractuels (précaires et exploités), accentuant la baisse de postes aux concours, dans une logique de dumping.

            Le nouveau recrutement dissimule à peine les évolutions à terme du statut de l'enseignant. La composition des jurys l'annonce, le futur du recrutement des professeurs passent pas une remise en cause du cadre national du concours, voire du concours lui-même, remplacé par un entretien d'embauche à la carte, selon l'établissement, ses besoins, ses exigences et les pressions de la « société civile » consommatrice.

            La mise en place de la masterisation est un coup sévère porté à la mobilité sociale des étudiants et à la diversité de l'Ecole de demain. Alors que les bourses d'Agrégation ont été supprimées (4000 euros), que le stage rémunéré disparaît, les études s'allongent. Le nouveau concours prétend valoriser les expériences de stages à l'étranger, alors même que les échanges Erasmus semblent inconciliables avec un Master enseignement et des concours. On se demande quel est l'idée que se fait le ministère de l'étudiant de base passant le Capes. Veuve fortunée en mal d'activité ou jeune à la recherche d'un ascenseur social?

Le nouveau monde de l'enseignement mis en place annonce une mutation profonde de l'Enseignement Primaire, Secondaire, Supérieure et de la Recherche.

Les Masters Recherche deviennent des filières de « niche » déconnectées de tous débouchés au contenu amoindri par la concurrence avec les Masters enseignement (mise en place de correspondance entre les deux parcours). De la première année de Licence (Plan Licence), aux Masters, la logique devient celle des « acquis fondamentaux » (cultures générales, bases juridiques, connaissances du monde socio-économique) opposée à la spécialisation. Le cursus universitaire devient une annexe du Lycée, une classe prépa généraliste, sans ses moyens.

            Les nouveaux programmes des Concours annoncent une régression, si ce n'est la disparition, des spécialités « non rentables » au sein des études supérieures. Désertées par les étudiants recentrés sur des concours et des Masters généralistes, ces  filières seront les premières menacées par la réduction des budgets des Universités. La concurrence entre les IUFM et les Universités fait peser un risque sérieux sur la pérennité des Facs et d'abord en province.

            La refonte de la formation des professeurs, les réductions de postes dans le Secondaire et donc d'heures d'enseignement (en Economie, en Histoire-Géographie etc.), à travers la semestrialisation et la suppression des filières générales (L, ES, S), se conjuguent pour dégrader sérieusement le niveau de formation et de connaissances des collégiens, lycéens et étudiants, avec en toile de fond une seule logique comptable. Les coupes budgétaires, la casse du CNRS, les nouveaux critères d'évaluation des enseignants-chercheurs (survalorisation des publications sans critères qualitatifs. Négation de la recherche fondamentale ou non-marchande financée par l'Etat) et le nouveau rôle des Universités font peser de réelles menaces pour les études supérieures universitaires, la Recherche, l'indépendance intellectuelle, l'approfondissement du Savoir.

Le Gouvernement casse l'Education et nos études. Ne le laissons pas détruire notre avenir.

Nous sommes méprisés, ne devenons pas méprisables !