Actualité
Appels à contributions
Le passé colonial belge au prisme des productions littéraires et artistiques contemporaines, 2000-2015 (Bruxelles)

Le passé colonial belge au prisme des productions littéraires et artistiques contemporaines, 2000-2015 (Bruxelles)

Publié le par Romain Bionda (Source : veronique bragard)

Le passé colonial belge au prisme des productions artistiques contemporaines

(2000-2015)

 

Organisation : Université libre de Bruxelles, Université catholique de Louvain,

Université de Lubumbashi

 

Lieu du colloque : Université libre de Bruxelles

Date : jeudi 30 et vendredi 31 mars 2017

 

Les spectres du colonialisme européen et de ses injustices, comme l’indique l’historien de l’art T. J. Demos[1], restent emprisonnés dans une amnésie profonde. Le passé colonial belge refait parfois surface dans l’espace public, mais force est de constater que ce n’est que sporadiquement, et rarement pour établir des liens avec les formes d’exploitation contemporaines. Les contestations et polémiques qu’ont suscitées, en 2015, la volonté de la Ville de Bruxelles de célébrer l’anniversaire de l’intronisation de Léopold II ou le refus répété (une fois de plus en 2016) de la commune d’Ixelles de créer une place Lumumba sont des événements certes relayés par la presse, mais qui ne font pas (encore) l’objet d’un débat sociétal de fond, pourtant souhaité vivement par une partie de la population ainsi que par les associations citoyennes.

 

Dans un article récent[2], l’historien Idesbald Goddeeris tente d’expliquer cette « spécificité belge » quant à la gestion du passé colonial en soutenant que depuis le tournant du xxie siècle, la Belgique se serait trouvé un « compromis confortable » qui consiste à « reconnaître les erreurs du passé » tout en « peignant un portrait globalement positif des colonisateurs idéalistes ». Toute critique du passé colonial se voit ainsi disqualifiée par la classe politique qui continue de focaliser son attention et de concentrer son énergie sur la crise identitaire du plat pays. La société belge actuelle souffrirait ainsi d’un « impensé colonial », qui se manifeste aussi par un manque de transmission de l’histoire coloniale au sein du système éducatif. Or, l’anthropologue Jacinthe Mazzocchetti estime qu’« en restant dans le non-dit, sans prendre la peine de creuser la question coloniale et postcoloniale », on laisse la place à un « racisme ordinaire tellement ancré qu’il en devient inconscient »[3].

 

Si les politiques semblent se soucier peu du débat public quand il touche à la colonisation, refusant ainsi d’établir le lien entre cette question et les conditions d’un « vivre ensemble » satisfaisant, les artistes, quant à eux, se sont saisis du passé colonial pour en faire le matériau de leur création. La publication toute récente du livre collectif Créer en postcolonie : Voix et dissidences belgo-congolaises 2010-2015 a été l’occasion, pour les responsables de l’édition (Demart et Abrassard, éds), de mettre en avant la profusion des créations qui traitent, explicitement ou implicitement, de la question (post-)coloniale. Dans Return to the Postcolony : Specters of Colonialism in Contemporary Art[4], T. J. Demos envisage toute une série d’artistes comme des « conjurers of the “spectral” », des prestidigitateurs du spectral, qui, en revisitant le temps colonial de leurs parents et grands-parents, ouvrent, grâce à de nouvelles configurations expérimentales, les possibilités artistiques à l’affect, à l’imagination, à un autre type de « vérité » tout en investiguant les formes contemporaines du néo-colonialisme.

 

Nombreux sont les artistes de l’extrême contemporain qui s’emparent du passé colonial belge. Ils et elles sont d’origines diverses et ont des parcours de vie souvent internationaux. Leurs œuvres, romans (Fiston Mwanza Mujila, Marcel-Sylvain Godfroid, In Koli Jean Bofane, Eric Vuillard, José Tshisungu wa Tshisungu, Wilfried N’Sondé, Clémentine Faïk-Nzuji), nouvelles (Joëlle Sambi, Parole Mbengama, Freddy Kabeya, Monique Mbenga Phoba, Bisbish Mumbu, Richard Ali), poésie (Kalvin Soiresse, Laurent Demoulin), romans graphiques et bandes dessinées (Barly Baruti & Christophe Cassiau-Haurie, Jean-Philippe Stassen & Sylvain Venayre, Maryse et François Charles & Frédéric Bihel, Stéphane Miquel & Loïc Godart, Tom Tirabosco & Christian Perrissin, Nicolas Pitz, Hermann & Yves H.), pièces de théâtre (David Van Reybrouck), courts ou longs-métrages relevant de la fiction ou du documentaire (Monique Mbeka Phoba, Sven Augustijnen, Marie-Anne Thunissen, Nathalie Borgers), photographies (Kiripi Katembo, Sammy Baloji, Vincent Meessen), musique (Badi, Baloji, Pitcho), peintures (Mufuki Mukuna, Chéri Chérin, Sammy Baloji), et bien d’autres, relèvent le plus souvent de pratiques intergénériques, intermédiales et interdisciplinaires, qui reflètent leur démarche qui consiste à la fois à défier les images médiatiques et à croiser les mémoires.

 

C’est ce corpus mixte et hybride à bien des égards que nous proposons d’examiner selon les axes de réflexion suivants :

(1) Quels sont les dispositifs narratifs et les procédés techniques/technologiques utilisés pour donner forme et sens au passé colonial ? Quels sont les thématiques, motifs et topoï récurrents ou occultés ? Quels contenus, émotifs, critiques et éthiques, sont véhiculés par la mise en forme, en scène, en images, en sons et en mots de ce matériau historique ? Quels détournements de l’histoire sont éventuellement opérés dans les œuvres et comment ceux-ci peuvent-ils s’expliquer par son économie interne ?

 

(2) Mertens, Goedertier, Goddeeris & Brabanter[5] montrent, dans leur étude, comment le hip hop congolais en Belgique met en avant le caractère non achevé du présent plutôt qu’une logique de révolte contre un passé dont le sens serait clos. Dès lors, quel lien les œuvres artistiques tissent-elles avec la situation présente ? Dans quelle mesure ces relectures créatives du passé colonial permettent-elles de mettre en avant la récurrence, la persistance, ou le maintien sous d’autres formes, de mécanismes de domination et d’exploitation dans un monde désormais globalisé ?

 

(3) Du point de vue pratique de la transmission générationnelle, comment ces productions artistiques peuvent-elles être exploitées pour enseigner, voire enseigner « autrement », l’histoire des colonisations et les formes particulières qu’elle a revêtues au Congo ? Quelle distance critique offrent-elles par rapport aux discours officiels ? Quelles réflexions épistémologiques suscitent-elles relativement au travail qu’effectuent les historiens ?

 

(4) L’on s’interrogera sur ce que ces productions artistiques nous permettent de comprendre des mécanismes mémoriels, tant individuels que collectifs : de quels phénomènes d’occultation, de sélection, de re-construction (enjolivement ou altération) sont-ils les témoignages ? Entre l’individuel et le collectif, que dire de la mémoire familiale, de ses silences, tabous ou clichés ? Dans une société qui accorde de plus en plus de place à la mémoire et au « devoir de mémoire », quelle part et quel type d’oubli (Weinrich, Ricœur, Kipman) est néanmoins nécessaire pour reconfigurer l’avenir ? Les mémoires coloniales sont-elles condamnées à être rivales ou est-il possible de les faire dialoguer afin qu’elles deviennent le socle d’une « intimité historique » (Phoba) entre les peuples ? Qu’y aurait-il à y gagner ?

 

(5) En partant d’une approche plus sociologique, telle que celle des « champs » bourdieusiens, l’on se demandera de quelle manière les discours artistiques de l’extrême contemporain se positionnent (lien de rupture, de continuité) non seulement par rapport aux discours qui les ont précédés (notamment, la littérature congolaise des années 80 et suivantes, alors en pleine floraison), mais aussi par rapport à des discours contemporains concurrents (la presse, par exemple). Comment évoluent les narrations coloniales ? Quelles sont les raisons et mécanismes de ces évolutions ? Quelles « rivalités » discursives, mémorielles, et institutionnelles sont à l’œuvre, en RDC comme en Belgique ? Comment certains récits finissent-ils par être dominants ou marginaux, par rapport à quels groupes d’acteurs et à quel moment donné ? Comment des perspectives provenant hors de la Belgique sont-elles susceptibles de créer de nouvelles synergies et/ou débats ?

 

(6) Dans une perspective plus théorique, l’on se demandera s’il existe un « régime d’historicité », soit un « mode d’articulation des trois catégories du passé, du présent et du futur » (Hartog), propre à une communauté que l’on nommerait « postcolonie » belgo-congolaise, sachant que le terme « postcolonie » serait compris comme « société récemment sortie de l’expérience que fut la colonisation » (Mbembe), incluant dès lors la société ayant subi le joug colonial tout comme celle qui l’a imposé. En d’autres termes, la question serait de savoir comment des êtres humains, héritiers de l’expérience de la colonisation, se saisissent du médium artistique et du mode narratif pour mettre en scène leur rapport à l’histoire (coloniale) et, plus généralement, au temps (passé, présent et futur). Est-il possible, comme les travaux de Dominic Thomas[6] le font dans le champ littéraire afro-français, de cerner et caractériser un « patrimoine en partage »[7] (Mangeon & Grenouillet), de proposer une relecture de l’histoire artistique, culturelle, politique, sur base des relations qui se sont créées entre la Belgique et le Congo, entre la Belgique et l’ensemble de ses colonies ?

 

Ces pistes de réflexion ne sont pas exhaustives et les organisateurs restent ouverts à toute proposition en lien avec le propos. Dans l’optique d’une compréhension plus générale du fait colonial belge et de ses suites, toute communication portant sur l’expérience coloniale belge au Congo et/ou au Ruanda-Urundi sera la bienvenue. Par ailleurs, le comité scientifique sera réceptif aux communications relevant d’autres expériences coloniales et ce, en vue de discussions comparatives.

 

Langues des interventions 

français – néerlandais – anglais

 

Publication 

Sur base des interventions au colloque, une série d’articles sera sélectionnée pour constituer un dossier spécial que nous soumettrons à la Revue Belge de Philologie et d’Histoire (évaluée A1 dans les classements ISI / Thompson). Tous les articles seront soumis à une double évaluation aveugle, conformément à la procédure de la revue.

 

Aspects pratiques

Aucun frais d’inscription n’est requis.

Aucune prise en charge des frais de transport et logement ne sera proposée.

Moyennant l’obtention des subsides auxquels nous avons postulé, les organisateurs du colloque assureront les dépenses pour les deux repas de midi et le repas du jeudi soir.

 

Les propositions de communication (300 mots), qui préciseront notamment la problématique abordée, devront être envoyées pour le 30 novembre au plus tard conjointement à Sabrina Parent (sabrina.parent@ulb.ac.be) et à Véronique Bragard (veronique.bragard@uclouvain.be). La pertinence des propositions de communication sera évaluée par le comité scientifique.

 

Comité organisateur

Sabrina Parent, Université libre de Bruxelles

Véronique Bragard, Université catholique de Louvain

Maurice Amuri, Université de Lubumbashi

 

Comité scientifique

Maurice Amuri, Université de Lubumbashi

Véronique Bragard, Université catholique de Louvain

Bambi Ceuppens, Musée Royal de l’Afrique centrale

Pierre Halen, Université de Lorraine, Metz

Bénédicte Ledent, Université de Liège

Maëline Le Lay, Université de Bordeaux

Xavier Luffin, Université libre de Bruxelles

Anthony Mangeon, Université de Strasbourg

Sabrina Parent, Université libre de Bruxelles

 

[1] Return to the Postcolony : Spectres of Colonialism in Contemporary Art, Berlin, Sternberg Press, 2013.

[2] Goddeeris, I. (2015). « Postcolonial Belgium : the Memory of the Congo », Interventions : International Journal of Postcolonial Studies, 17 (3), 2015, 434-451.

[3] Les propos de l’anthropologue sont rapportés dans l’article d’Elodie Blogie : « La Révolte des jeunes Belges de la diaspora africaine », Le Soir, 7 octobre 2016, accessible en ligne pour les abonnés :

http://plus.lesoir.be/62912/article/2016-10-07/la-revolte-des-jeunes-belges-de-la-diaspora-africaine, consulté le 10 octobre 2016.

[4] Op. cit.

[5] « A New Floor for the Silenced ? Congolese Hip Hop in Belgium », Social transformations : Journal of the Global South, 1(1), 2013, 87-113.

[6] Voir, par exemple : Black France : Colonialism, Immigration, and Transnationalism, Indiana University Press, 2007 ; Africa and France : Postcolonial Cultures, Migration, and Racism, Indiana University Press, 2013 et Noirs d’encre. Colonialisme, immigration et identité au cœur de la littérature afro-française, Paris, Editions La Découverte, 2013.

[7] Corinne Grenouillet et Anthony Mangeon organisent du 11 au 13 avril 2017 à l’Université de Strasbourg un colloque ayant pour thème « La relation franco-africaine, une nouvelle histoire politique et littéraire (1975-2015) ». Il faut aussi souligner l’initiative de Pierre Halen et Maëline Le Lay, dans le cadre du projet « Congo : récits, littératures, images », de réaliser une histoire littéraire/culturelle « élargie » de la RDC.