Questions de société
Le Monde et le mouvement universitaire (Acrimed 18/03/09)

Le Monde et le mouvement universitaire (Acrimed 18/03/09)

Publié le par Bérenger Boulay

Voir aussi: Cédelle et Rollot sont dans un bateau, par Pierre Jourde  

Acrimed:

Le Monde et le mouvement universitaire

Publié le 18 mars 2009 par Henri Maler, Olivier Poche

Celane fait aucun doute : si vous voulez bénéficier de l'attention desgrands médias, il vaut mieux être enseignants-chercheurs que salariésde la SNCF (ou simplement membres des personnels administratifs desUniversités). Certes, les radios et les télévisions accorderont à vosrevendications ou à votre mobilisation à peine plus d‘attention qu'à unfait-divers, surtout si celui-ci est suffisamment sordide [1], mais elles en parleront tout de même… Et dans la presse quotidienne et nationale imprimée ?

Dansla presse écrite, la morgue et le mépris qui ont, peu ou prou, étédéversés par les préposés aux commentaires sur la plupart desmobilisations sociales contre les réformes néolibérales depuis 1995,sont, face à l'actuelle mobilisation universitaire, fortementatténués : effet de proximité sociale, sans doute, entre les éminencesdu journalisme et les sommités académiques ; effet de proximité,éventuellement miné par un conflit de légitimité entre les chercheurset le clergé médiatique, comme le montre la sortie de Franz-OlivierGiesbert qui, dans Le Point, accusait les universitaires, d'avoir « chevillée au corps, l'idéologie du Père Peinard » [2].

Mieux : les divisions politiques entre les principaux journaux nesont pas sans effets. Force est de constater qu'entre l'hostilité(embarrassée…) que manifeste Le Figaro et la proximité (revendiquée…) dont témoigne Libération [3],l'écart est grand : informations minimalistes dans le premier cas(assorties d'entretiens réservés à la droite, et d'enquêtes à chargesur les enseignants-chercheurs qui « ne publient pas » ou les grévistesqui « sont payés »), couverture généreuse dans le second. Et, entre lesdeux , Le Monde

Le Monde qui le 14 novembre 2007 annonçait dans un brefarticle « la fin du mouvement contre la loi sur l'autonomie », une loique l'éditorialiste anonyme du quotidien avait ardemment soutenue. Plusd'un an plus tard le quotidien, grand communicateur de toutes les« réformes » gouvernementales, est confronté à de nouvelles« réformes » dont la plupart poursuivent la grande « rénovation »néo-libérale entreprise par le gouvernement. Suspense : Comment Le Monde va-t-il informer sur le conflit entre universitaires et gouvernement ?

I. Quand Le Monde informe

Quand Le Monde « informe » sur ce conflit, c'est, le plussouvent, non pour présenter les arguments en présence, mais pour jaugerla mobilisation d'un regard en surplomb et l'ausculter du point de vuedu ministère. Car Le Monde est atteint d'un étrange strabismeéditorial. D'un oeil, il ne lit que les déclarations bien intentionnéesdu gouvernement, ne perçoit que sa très raisonnable bonne volonté – etprésente donc ses « gestes » et ses « annonces » avec la sobriété quisied à un journal officiel. De l'autre il aperçoit des opposants dontla mobilisation ne s'explique (et s'exprime) que par des réactionsaffectives et des émotions mal contrôlées.

Au début de l'année, Le Monde, ne voyant rien venir à l'horizon, communiquait les principales informations de sources gouvernementales [4].Mais trois jours plus tard, le 5 janvier, le quotidien titre « Dans unelettre à Sarkozy, les présidents d'université dénoncent "l'état detension" sur les campus » (Catherine Rollot). Ainsi est présentée unelettre ouverte de la Conférence des présidents d'université (CPU) dontle titre est beaucoup plus explicite : « Chronique d'une crise annoncéedans les universités ». Et le 6 janvier, Le Monde publie, sousforme de « tribune », le texte d'une pétition - « Université : pas denormalisation par le bas » – qui explique le désaccord total dessignataires avec les nouveaux projets du gouvernement. On se prenait àrêver...

Mais le 14 janvier sur le site internet et dans l'édition imprimée datée du lendemain, Le Monde présente le projet de décret (« Enseignants-chercheurs : nouvelles règles du jeu »), et les commentait sousle titre « Valérie Pécresse prévoit d'évaluer lesenseignants-chercheurs tous les quatre ans ». La première phrase del'article indique la nature du souci de l'auteur «  La réforme du statut des enseignants-chercheurs va-t-elle enfin aboutir ? ». C'est que, précise un sous-titre, il s'agit là d'un « Dossier explosif ». Angoissant... Mais « la ministre a rédigé une nouvelle version qui devrait donner des gages aux opposants les plus modérés à la réforme. Sans calmer, en revanche, les critiques du syndicat majoritaire, le SNESUP-FSU, qui réclame le retrait du projet. » Quant à « la toute-puissance des présidents d'universités en matière de modulation de services et d'avancement », qu'on se rassure : « La nouvelle mouture prévoirait des garanties pour limiter ce sentiment d'arbitraire.  [5]

La « grogne » et la « fronde »

Dès le samedi 24 janvier, dans un article de Catherine Rollotintitulé « Universités : appels à la grève contre le statut desenseignants chercheurs », la cause est entendue : Le Monde n'entend qu'une « grogne » et ne perçoit qu'une « fronde ».

Première phrase de l'article du 24 janvier : « La grogne monte dans les universités » [6].Dans la langue automatique du journalisme professionnel, la « grogne »désigne en effet n'importe quelle forme de contestation [7]. Et le même article de distinguer, d'une part des « objectifs » (« Le décret s'inscrit dans une réforme globale de l'université dont l'un des objectifs est de mieux encadrer les étudiants ») et de l'autre une « fronde » à maîtriser (« Pour tenter de contenir la fronde […] Valérie Pécresse a concédé des aménagements […]. ») Mais au lieu d'écrire simplement « des aménagements que le SNES-Sup a qualifiés de “cosmétiques” », Catherine Rollot, inquiète ou déçue, écrit : «  Mais le SNES-Sup les a qualifiés de “cosmétiques” ». Un exemple, sans doute, de ce que le supplément Le Monde de l'éducation du 28 janvier, évoquant « le grand saut périlleux dans l'autonomie », identifie comme des «  crispations  ».

La grève illimitée est déclenchée et le temps passe. Le 10 février, en page 11, Le Monde renouvelle son vocabulaire, puisqu'il coiffe un article titré « Enseignants-chercheurs : la fronde s'étend », d'un surtitre novateur : « Le gouvernement fait face à une grogne qui touche les facs les plus conservatrices comme les plus remuantes ». Le 14 février, une fois de plus, en page 10, un titre condense les mobiles de la contestation : « Universités, organismes de recherche, enseignement scolaire : la grogne se propage ». Et le sous-titre complète ce diagnostic en se plaçant du point de vue des thérapeutes du gouvernement : « La désignation d'une médiatrice sur le dossier des enseignants-chercheurs n'a pas l'effet apaisant escompté. »

Ni le vocabulaire ni l'angle ne changeront pendant tout le moissuivant, car la « fronde », on l'a compris, est essentiellementaffective. Comme le confirme dès le 5 février, « « un éclairage » deLuc Cédelle –« Quand les dossiers de M. Darcos et Mme Pécresse agrègentles contestations » -, dans lequel, une fois encore, l'analyse desopposants aux « réformes » (qui peut être discutée…) est présentéeainsi : « Le sentiment s'enracineen milieu universitaire que, contrairement aux affirmations officiellesrelayées par les médias, l'idée directrice du gouvernement est bien lamise en concurrence générale, dans le cadre d'un grand marché libéralde l'éducation. ».

Des « gestes » et des « concessions »

Tandis que les opposants aux « réformes », en proie à leurs affects,« s'agitent », les gouvernants sont crédités d'une indéniable bonnevolonté (certes un peu brouillonne) puisqu'ils « précisent » et« arrondissent les angles », en multipliant les « gestes » et les« concessions » qui témoignent de sa « diplomatie », de sa« patience », et de sa volonté de « renouer le dialogue ».

- Dès le 31 janvier, une brève indique que le décretest envoyé au conseil d'Etat, alors que la première coordinationnationale a réclamé son retrait pur et simple, faute de quoi elleappellera à la grève illimitée. Mais Le Monde reste serein puisque le gouvernement a apporté « une précision destinée à rassurer la communauté universitaire. »

- Le 5 février, Catherine Rollot parvient « au coeur de l'agitation » : c'est « l'évaluation », bien entendu. Car la modulation « n'est possible que si leur travail est soumis à évaluation individuelle. Une notion qui suscite de fortes réticences dans le milieu universitaire ».Réticences dont le lecteur devra imaginer les causes ou les raisonstout seul, car l'article est entièrement consacré au système actuel« d'évaluation ». Il pourra à cette occasion tenter de s'expliquer les« réticences » d'un « milieu » à une « notion » qu'il pratique déjà [8].

- Le même jour, sous le titre « Quand les dossiers de M. Darcos et Mme Pécresse agrègent les contestations », Le Monde nous propose « un éclairage » de Luc Cédelle : « Mme Pécresse a beau tenter d'arrondir les angles  », soupire-t-il, « ses détracteurs durcissent leur position » .De durs détracteurs… de Mme Pécresse, donc, et non pas des « réformes »qu'elle porte ? Et Luc Cédelle de poursuivre en citant la ministre : « "une bonne gestion des ressources humaines se fait au niveau de l'établissement", déclarait-elle mardi 3. Un langage d'une autre planète pour les enseignants-chercheurs contestataires convaincus que le pouvoir accru des présidents d'université, dans le cadre del'autonomie, est une source d'arbitraire et un déni des valeursuniversitaires ». Sur quoi se fonde cette conviction ? Mystère. Seul compte le diagnostic déjà mentionné : « Le sentiment » qui « s'enracine en milieu universitaire » Etle sentiment s'enracine chez le lecteur que la planète ministériellepourrait bien avoir pour satellite un certain journaliste du Monde [9].

Très tôt, donc, les personnages et le scénario du conflit sont enplace. Les journées de mobilisation et de manifestations des 5, 10, 19,26 février et 5 mars ne parviendront pas à altérer cette présentationdu conflit et à modifier son vocabulaire, comme on peut le vérifier endétail dans l'annexe de cet article : « (Le Monde et le mouvement universitaire (2) : les « grognons et les « diplomates ».

Informer par transfert et par omission

Plutôt que d'informer sur les revendications collectives portées par les syndicats et les associations qui contestent la réforme, Le Monderenvoie aux « tribunes libres » qu'il publie et, en guise d'enquête,ponctue ses articles de témoignages ou propose un recueil de points devue individuels, variante (de référence) des micros-trottoirs.Ainsi, à côté de l'article qui informe approximativement sur les« appels à la grève contre la réforme du statut desenseignants-chercheurs, le 24 janvier, Le Monde publie ce qu'il désigne comme des « Paroles d'enseignants- chercheurs : entre intérêt et inquiétudes » sousun titre qui reprend le propos de l'un des cinq enseignants-chercheursinterrogés : « On voulait en finir avec les mandarins, on leur offre unboulevard ». Et dans les semaines qui suivent, si l'on excepte quelquesentretiens personnels, c'est quand Le Monde ouvre ses colonnesà des « tribunes libres » que les lecteurs ont quelque chance deprendre connaissance des arguments en présence. Une information partransfert, en quelque sorte…

…Et par omission. Ainsi quand Le Monde informe sur les motifset les objectifs des opposants aux « réformes », il omet de mentionnerle contenu précis des motions (au moins une quinzaine à ce jour)adoptées par la Coordination Nationale des Universités qui est pourtantl'instance représentative du mouvement. Cette instance est évoquéetrois fois : le 3 février, pour indiquer (dans une brève) son appel àla grève de la veille, le 13 mars pour signaler, comme signe de la« radicalisation » du mouvement un mot d'ordre (l'abrogation de la LRU)datant du 20 février, et dans l'édition du 8-9 mars, dans un articlequi est le seul à citer une de ses motions, mot pour mot – dans unecitation… d'un mot : on y apprend en effet que le compromis signé parPécresse est aux yeux de la CNU « inacceptable ».

Pis : Informateurs distraits et/ou désinformés, les journalistes du Mondene savent pas ou ne veulent pas savoir que le mouvement ne concerne passeulement le statut des enseignants-chercheurs. Des aspects décisifs duconflit sont minorés, d'autres sont rendus invisibles : la mobilisationet les revendications des personnels administratifs (BIATOSS) – quin'ont à ce jour jamais eu l'honneur d'être mentionnés dans Le Mondedepuis le début d'un conflit dont ils sont pleinement acteurs –, lesétudiants, les organismes de recherche, ou l'avenir du doctorat et desdoctorants… Ce dernier aspect est évoqué, pour la première fois (bienqu'il s'agisse, nous dit-on, d'un « point d'abcès de la contestation »),le 13 mars. Pour une raison simple, et significative : la ministre afait des « gestes » quelques jours auparavant sur le contrat doctoralunique. Nul doute que si Valérie Pécresse « tend la main » ou tente unbeau jour de « renouer le dialogue » avec les BIATOSS ou avec les IUT, Le Monde daignera nous informer de leur existence, au détour d'une phrase détaillant les « concessions » de la ministre.

II. Quand Le Monde analyse

Que les informations du Monde soient biaisées par descommentaires et mutilées en conséquence, on en trouve la confirmationdans les articles d'analyse qui proposent des versions longues desmêmes refrains.

Des opposants cruels

Le 13 février, Le Monde publie en page 10 une « enquête » titrée : « La réforme de l'éducation face à la loi du "buzz" ». Le sous-titre précise : « La rumeur nourrit la mobilisation étudiante, et aucune déclaration ne semble en mesure de la neutraliser »

L'article s'ouvre par un propos de Laurent Solly, tenu alors qu'il était chef de cabinet de Nicolas Sarkozy : « La réalité n'a aucune importance. Il n'y a que la perception qui compte ». Et enchaîne aussitôt sur le point de vue des ministres que l'auteur de l'article rapporte en l'adoptant : « Lepropos illustre la situation inconfortable où se trouvent aujourd'huiXavier Darcos et Valérie Pécresse. Pour les ministres de l'éducationnationale et de l'enseignement supérieur, l'actualité est faite de "perceptions"qu'ils ne parviennent plus à enrayer. Des exemples ? Ils sont légion.Ils n'obéissent pas aux canons de l'information validée par desprofessionnels mais à la loi du "buzz", autrement dit des bonnesvieilles rumeurs, aujourd'hui véhiculées sur Internet. »

D'un côté, « l'information validée par des professionnels », del'autre les « rumeurs » diffusées sur Internet. Entre les deux, lenéant… « L'information validée » n'est pourtant, comme on l'a vu, qu'unmélange d'informations officielles (en provenance des institutions) etd'informations tronquées (quand elles ont pour source les syndicats etles porte-parole de la mobilisation). Tout le reste ne serait donc que« rumeurs » et elles seraient « légion » ? Notre enquêteur n'en cite,en vérité qu'une seule : « la « lettre d'un principal de collège »,mais une lettre qui s'est propagée comme une information générale. Enune phrase, l'auteur de l'article donne quitus au gouvernement : sur leplan local « le problème avait été vite réglé, et, sur le plannational, l'accompagnement éducatif, priorité gouvernementale, n'a pasmanqué de financement. » Et on est prié de le croire, foi de « professionnel ».

Quant aux autres « rumeurs » mentionnées par l'article, il s'agitplus exactement de quelques interprétations du sens ou des conséquencespossibles de « réformes », interprétations présentées comme « rumeurs »parce que le journaliste du Monde en récuse la légitimité.Ainsi, il indique que selon « les « opposants » la mastérisation « mèneà la suppression des concours ». Interprétation d'autant plusfacilement disqualifiée qu'aucun argument qui pourrait la soutenirn'est rapporté. Et au prix d'une enquête approfondie, notre journalistedissipe les derniers doutes : « on peut soumettre tout le ministèreà la question sans trouver un responsable assumant le moindre débutd'intention d'aller dans ce sens ». Voilà une information « obéissant aux canons » de la propagande officielle.

S'inquiétant ensuite de tracts qui ont le toupet de développer leur « interprétation militante […] sur le ton de l'évidence », et réduisant la « privatisation » possible des universités à un « spectre […] qu'aucune déclaration de Valérie Pécresse » ne peut « contrecarrer », Luc Cédelle se rassure en constatant qu'heureusement, « il arrive toutefois qu'un élément probant s'oppose à la rumeur ».Et donne un exemple sans réplique : l'« accusation récurrente » portéecontre M. Darcos de vouloir « supprimer » l'école maternelle.Accusation sans fondement, qui s'évanouirait comme un spectrecontrecarré si l'on voulait bien prendre acte de cet « élémentprobant » : M. Darcos a « signé avec l'association des enseignants deces écoles une déclaration proclamant le contraire. »

Cette miraculeuse « enquête » est en vérité une « tribune libre »destinée à venir simultanément au secours des informateursprofessionnels et des informateurs officiels, et à disqualifier toutesles autres sources, et du même coup, les principaux acteurs de lamobilisation. « Visiblement, le gouvernement a perdu, surl'éducation, la bataille du buzz... Les rumeurs existaient déjà sousles gouvernements précédents, mais elles n'avaient ni la mêmeimportance stratégique ni le même impact. Il n'est pas évident que lepouvoir puisse reprendre l'avantage car personne - et surtout pas dessyndicats qui se sont sentis bafoués - ne viendra à son secours.Assommés, dans une première période, sous un déluge de communicationset d'annonces gouvernementales déstabilisantes, les opposants ytrouvent une revanche dont, au fond, ils apprécient la cruauté. » Resteà savoir si « sous les gouvernements précédents » ceux-ci disposaient« déjà » de journalistes capables de transformer en spectre malfaisantet « cruel » les « interprétations militantes » et les analysespolitiques de leurs opposants. A défaut de syndicats disposés à « venirau secours » du « pouvoir », comme le voudrait pourtant le bon sens, lepouvoir peut compter sur le soutien du Monde.

Des universitaires hypersensibles

Le 19 février, Le Monde publie un dossier spécial sur le mouvement, et en page 2, propose – selon le surtitre – une « Analyse » intitulée « Enseignants-chercheurs : les raisons d'une révolte ». Une « analyse » qui épouse, avec un minimum de distance, le point de vue du gouvernement et de « beaucoup » (dont Le Monde est le représentant) :

« Il y a trois mois, la réforme des universités semblait sur de bons rails ». Où il est sous-entendu, par conséquent, que c'est une « bonne » réforme, ainsi que le confirme la suite : « Votée en août 2007, sans trop de difficultés , cette réforme était perçue par beaucoup comme une nécessité . Ou du moins comme un mal nécessaire. » Parmi les « beaucoup », l'éditorialiste anonyme du Monde quiavait approuvé cette « réforme ». Est-ce une raison suffisante pouravoir déjà oublié les autres « beaucoup » qui en 2007 s'étaientmobilisés pour la contester ? Et Catherine Rollot de poursuivre : « Quelquessemaines plus tard, pourtant, la crise a éclaté. Dans le rôle dedétonateur, un décret d'application réformant le statut des enseignantschercheurs. La déflagration est tellement puissante qu'elle met endifficulté ... Valérie Pécresse et, au delà, sa réforme... »

Mais d'où vient cette malencontreuse explosion ? Précisément d'une mauvaise rencontre : « Cette situation résulte de la conjonction d'erreurs politiques et de l'hypersensibilité du milieu universitaire ». Danscette phrase (qui bénéficie d'un encadré au coeur de l'article) tout estdit, mais la suite va tout de même développer : les gouvernements, encharge de la raison, peuvent commettre des maladresses ; lesuniversitaires, minés par les affects, cèdent à leur hypersensibilité.

Ce qui est en cause, ce ne sont pas les mesures du gouvernement maisla façon dont il les a présentées. Ce qui a provoqué la contestationdes étudiants et des enseignants, ce ne sont pas les mesures annoncées,mais des erreurs de méthode. Leurs arguments sont des sentiments, leursactions de simples réactions : « Le premier geste maladroit du gouvernement a été d'ordre financier ... L'annonce d'un budget 2009en hausse, mais qui ne profite pas à tous les établissements, aprovoqué des crispations ... Ce sentiment s'est trouvé renforcé par l'annonce de la suppression de postes, près de 1000 selon les syndicats, 250 selon le ministère, semant le doute sur les intentions du gouvernement ... L'exécutif ... paie aujourd'hui les fruits de sa désinvolture . »

Le décret contesté – dont nous savions déjà qu'il n'était qu'un « détonateur » – devient maintenant un simple exemple : « l'exemple de la modulation de service » qui, nous dit-on, a été, « plébiscité par la communauté scientifique  ». Pour Le Monde,il en va de la communauté scientifique comme de la communautéinternationale : de même que celle-ci est incarnée par lesgouvernements de quelques pays dominants, celle-là est exclusivementconstituée d'un cénacle de mandarins et de Présidents d'Université.

Une phrase plus loin, l'exemple se transforme en principe, non pasrécusé mais détesté, non pour ce qu'il est, mais en raison d'une visiondéfaillante : «  […] ce principe est désormais honni car perçu de la façon suivante : à volume de postes égal, pour décharger les uns,il faut charger davantage les autres, puisque les effectifsn'augmentent pas. » Avouons que nous « percevons » mal la suite : « La démonstration contraire [laquelle ?] est difficile à faire et, en tout cas, difficilement audible . » Maisnous entendons fort bien que les désaccords, sont, quand il s'agit desopposants à la réforme, réductibles à de simples soupçons, du genre decelui que nous propose la suite : « Ce climat de suspicion a aussi été alimenté... [par les déclarations de Nicolas Sarkozy] ».Ce que l'auteur de l'article ne… soupçonne apparemment pas, c'est quele mépris affiché par Nicolas Sarkozy témoigne de divergences de fondsur ce qu'il appelait hier encore la « politique de civilisation ».

La suite est du même acabit : tous les constats des étudiants,enseignants-chercheurs, personnels administratifs, ne sont pasprésentés et, le cas échéant, contestés comme tels, mais immédiatementravalés au rang de simples « impressions » : « Les derniers plans d'envergure […] ont été lancés respectivement en 1990 et 1998, et concernaient surtout l'immobilier. Depuis, plus rien, ou pas grand chose, jusqu'à la réforme Pécresse . Mais celle-ci est vécue comme un rattrapage , et le compte n'y est pas. Les personnels ont eu l'impression de porter seuls le fardeau d'une population étudiante en forte croissance » Et s'ils « pouvaient encore se rassurer en s'appuyant sur leur réputation d'excellence en matière de recherche,par des comparaisons internationales, que contestent la plupart deschercheurs, le président de la République vient de contrarier cet espoir  »

Et si les lecteurs de cette brillante « analyse » pouvait encorenourrir le moindre « espoir » qu'il s'agit de simples maladresses deformulation, la conclusion le convaincra du contraire. En effet, cedont il s'agit, face à des «  mécontents de tout bord , unis ponctuellement contre ce décret », ce n'est rien de moins que la loi d'autonomie des Universités, que Le Monde souhaite sauver : « Or l'enjeu est de taille. Si le décret n'est pas publié, c'est l'édifice de l'autonomie qui est fragilisé ». Et, point d'orgue : « Face à ce péril , le pouvoir doit maintenant trouver une parade. »

***

Conflit social métropolitain CSP+ … et conflit social antillais CSP-

Des informations biaisées par des omissions flagrantes et descommentaires latéraux ; des analyses partisanes qui confirment etaggravent les biais de l'information : si Le Monde pouvait se résumer aux articles de ses journalistes, le résultat serait affligeant. Mais Le Monde,quotidien des CSP+, sait « spontanément » ménager ses lecteurs.Comment ? Une brève comparaison avec la grève générale en Guadeloupepeut avoir valeur de test. Pour une « couverture » d'ampleuréquivalente de conflits en grande partie contemporains, deuxdifférences méritent d'être relevées.

puce-32883.gif Le Monde hiérarchise : S'il faut attendre près d'une semaine pour que Le Mondedu 25-26 janvier, dans un petit article, évoque pour la première foisla grève générale guadeloupéenne, le mouvement de contestation desenseignants-chercheurs bénéficie de deux articles qui occupent une pageentière du quotidien dans l'édition du 24 janvier : soit une semaine avantle début « officiel » de la « grève illimitée » déclenchée le 2février. Trois jours plus tard, le conflit dans les universitésbénéficie d'un article complet à la « Une » du Monde [10].Le conflit guadeloupéen est quant à lui pour la première fois évoquédans un appel de « Une » le 6 février, soit 15 jours après le début dela grève générale : deux premiers paragraphes de l'article qui figureen page intérieure, sous un titre que Le Monde s'adresse involontairement à lui-même : « Un ministre à l'écoute tardive de la colère en Guadeloupe ».

puce-32883.gif Le Monde débat : Entre le 20 janvier et le 5 mars, date de la fin, non du conflit, mais de la grève générale en Guadeloupe, Le Monde à ouvert ses colonnes à dix-sept« tribunes libres » (dont huit le même jour, le 19 février) dédiées aux« réformes » et à la contestation universitaires contre… trois« tribunes libres » consacrées à la situation et au conflit auxAntilles. Si l'on continue les additions jusqu'au 14 mars, on obtientles chiffres suivants : dix-neuf contre sept (quatre tribunes sur « lesAntilles » ayant été publiées dans l'édition datée du 14 mars).

Comme nous le relevions dans la conclusion de Médias et mobilisations sociales,la production éditoriale des grands médias peut varier en fonction desoptions politiques de chacun d'eux et en fonction de la positionsociale des journalistes eux-mêmes. « En tout cas, pour êtresoutenu par les médias, mieux vaut être cadres moyens du secteur privéque fonctionnaires de la fonction publique, et chercheurs qu'éboueurs.Chercheurs, les motifs de leur légitime révolte mériteront desexplications ; et comme leur parole est gagée sur leur compétence, ellesera rendue audible. Eboueurs, leurs revendications et leurs visagesseront enfouis sous les immondices que leurs grèves laissent traînerdans les rues. » Sur les « explications méritées » par leschercheurs, nous avions péché par optimisme. Mais leur parole, bienqu'inaudible pour les journalistes du Monde, est lisible… dans ses pages « Débats ». CSP+ oblige.

Henri Maler et Olivier Poche

puce-32883.gif Lire le complément : « Le Monde et le mouvement universitaire (2) : les « grognons et les « diplomates ».

Notes

[1][A titre d'exemple d' « information télévisée », voir comment DavidPujadas présentait, sans le moindre reportage annexé, la mobilisation,au JT de 20h sur France 2 le 13 mars 2009 : « Une nouvelle journéede mobilisation dans le monde universitaire, la cinquième. Desmanifestations un peu partout en France ont rassemblé, selon lessources, entre 30 et 60 000 enseignants-chercheurs et étudiantsnotamment ici à Paris ou encore, Place du Capitole à Toulouse. Legouvernement pensait, la semaine dernière, avoir désamorcé lacontestation en rédigeant un nouveau décret sur le statut desenseignants-chercheurs mais le mouvement reste donc mobilisé et s'élargit à d'autres revendications . » Ah bon ! Lesquelles ?

[2] Voir « Le Point en pointe contre les universitaires » sur le blog « C'est classe ! » de Véronique Soulé, journaliste à Libération.

[3] C'est sur le blog [Sciences2] de Sylvestre Huet, journaliste à Libération que l'on trouve l'un des meilleurs recueils d'informations et d'analyses. (Rubrique : Politique-Recherche-Université). Le site liberation.fr renvoie systématiquement aux articles de ce blog.

[4]Le 1er janvier, l'article intitulé « « Avec l'autonomie, lesuniversités doivent apprendre la gestion des ressources humaines »(Catherine Rollot ») affirme sans le moindre recul que « la loi qui s'applique au 1er janvier à vingt établissements volontaires, porte un changement culturel . » Et « L'Etat s'attend à une forte baisse du nombre d'étudiants d'ici à 2017 » (Benoît Floc'h). Le 2 janvier, Le Monderésume en 90 mots ses informations de la veille : « Universités : plusd'autonomie, moins d'étudiants » et rappelle (autre titre) « [Lesprincipales dispositions de la loi du 11 août 2007l »

[5] Le 17 janvier, Le Monde titre «  Les enseignants en formation seront moins bien payés » et, relayant l'annonce ministérielle de « mesures financières pour remédier au risque de sélection sociale dû à l'allongement de la durée d'études », explique que « la réforme de la formation des enseignants se précise ». Manifestement Le Monde ne s'inquiète guère des oppositions qu'elle rencontre depuis longtemps.

[6] Voir les commentaires du « Bouillaud's Weblog - bloc-notes d'un politiste.

[7] Sur la « grogne », lire ici même : « La “grogne” : grévistes et manifestants sont-ils des animaux ? », juin 2003 et voir ce mot - Voir également, notre livre Médias et mobilisations sociales, chapitre III. “Les grognements du peuple : Où l'on tend l'oreille pour entendre les patients témoigner de leur « malaises » et de leurs propres actions.”

[8] L'article propose un point sur le système actuel d'évaluation, les « reproches » qui lui sont adressés, puis indique qu'« en réponse à ceux qui craignaient l'arbitraire , la ministre a légèrement modifié son projet […] malgré ses précisions ,les opposants au projet ne désarment pas […] » le Snesup-fsu qui se ditfavorable à l'évaluation tout en précisant qu'elle fait déjà partie duquotidien des enseignants-chercheurs, proteste contre la philosophiegénérale du texte ». Ici prend place la seule citation des« opposants », mais qui n'explique pas leur protestation contre la« philosophie du texte », puisqu'elle porte uniquement sur le systèmeactuel d'évaluation.

[9] Comme le semble le confirmer son article sur les « rumeurs » opposées aux informations officielles, voir infra

[10] Article intitulé « La contestation enfle dans les universités contre les réformes du gouvernement ».

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Le Monde et le mouvement universitaire (2) : les « grognons et les « diplomates »

Publié en 2009 par Henri Maler, Olivier Poche

Ainsi que nous avons essayé de le montrer dans notre article principal - « Le Monde et le mouvement universitaire », les portraits des acteurs et le scénario de la mobilisation étaient, pour Le Monde, tracés dès les premiers jours. Reprenons en détail.

puce-32883.gif Dès le samedi 24 janvier, dans un article de Catherine Rollot intitulé « Universités : appels à la grève contre le statut des enseignants chercheurs », la cause est entendue : Le Monde n'entend qu'une « grogne » et ne perçoit qu'une « fronde ».

- Le 24 janvier donc, grâce à la plume de Catherine Rollot, nous apprenons ceci : « La grogne monte dans les universités ]. Et le même article de distinguer, d'une part des « objectifs » (« Le décret s'inscrit dans une réforme globale de l'université dont l'un des objectifs est de mieux encadrer les étudiants ») et de l'autre une « fronde » à maîtriser (« Pour tenter de contenir la fronde […] Valérie Pécresse a concédé des aménagements […]. »)
- le 28 janvier, le supplément Le Monde de l'éducation, évoquant « le grand saut périlleux dans l'autonomie », identifie déjà des «  crispations  »,et concède même d'« éventuelles insuffisances, voire desinconvénients » dans la loi d'autonomie. Mais pas de panique : on ferale point, nous dit-on, dans cinq ans.
- le 31 janvier, une brève indique que le décretest envoyé au conseil d'Etat, alors que la première coordinationnationale a réclamé son retrait pur et simple, faute de quoi elleappellera à la grève illimitée. Mais la vision du Monde est plus optimiste, le gouvernement ayant apporté « une précision destinée à rassurer la communauté universitaire. »
- Le 3 février, dans un portrait d'Olivier Beaud signé CatherineRollot, et délicatement intitulé « Dans la rue, malgré lui », onprécise que « son exaspération n'a rien d'un coup de sang. » Une colère réfléchie ? Et notre portraitiste de s'interroger : « Sa révolte ne serait-elle qu'un réflexe de mandarin ? Une réaction de défense corporatiste  ? » Difficile à croire d'autant qu'Olivier Beaud « réfute toute trace d'aigreur ou de nostalgie dans son engagement ». Précisions qui permettent tout de même de les suggérer.

puce-32883.gif Le 5 février, a lieu la première journée nationale d'action contre la réforme. Mais Le Monde n'attend pas…

- Le 4 février, dans un article qui paraît dans l'édition du lendemain, Catherine Rollot parvient « au coeur de l'agitation » : c'est « l'évaluation », bien entendu. Car la modulation « n'est possible que si leur travail est soumis à évaluation individuelle. Une notion qui suscite de fortes réticences dans le milieu universitaire ».Réticences dont le lecteur devra imaginer les causes ou les raisonstout seul, car l'article est entièrement consacré au système actuel« d'évaluation ». Il pourra à cette occasion tenter de s'expliquer les« réticences » d'un « milieu » à une « notion » qu'il pratique déjà [1]
- Dans l'édition datée du 5 février toujours, sous le titre « Quand les dossiers de M. Darcos et Mme Pécresse agrègent les contestations », Le Monde nous propose « un éclairage » mémorable de Luc Cédelle, illuminant le visage de « Mme Pécresse » tente sans succès «  d'arrondir les angles  », face à « ses détracteurs (qui) durcissent leur position » .

puce-32883.gif Le 10 février se tient une nouvelle journée de mobilisations. Mais Le Monde n'attend pas.

- Le 9 février, dans un article qui paraît dans l'édition du 10 février, en page 11, Le Monde renouvelle son vocabulaire, puisqu'il coiffe un article titré « Enseignants-chercheurs : la fronde s'étend », d'un surtitre novateur : « Le gouvernement fait face à une grogne qui touche les facs les plus conservatrices comme les plus remuantes ».
- Dans cette même édition, la « chronique » de Gérard Courtoisconsacrée à « La fracture universitaire » relève d'abord des « proposrageurs », la « hargne » des chercheurs en colère, alors que, note-t-ilmalicieusement, quand on écoute Valérie Pécresse, « on lui donnerait le Bon Dieu sans confession. » Comment expliquer ce décalage ? Répugnant à mettre en cause l'ingénuité de la ministre, il pense d'abord avoir affaire à des « excités d'extrême gauche ». Même si « l'argument plaît à droite », il convient qu'il « ne fait pas long feu. » « Corporatisme », alors ? Et quoi dautre ?! « Cet argument-là est plus embarrassant. » Mais c'est surtout, nous apprend-il, l'histoire d'une « fracture entre deux modèles […] un affrontement entre deux philosophies » : « entre une logique ouvertement libérale et une tradition républicaine qui est tout sauf irréprochable. » Une chronique irréprochablement libérale ?

- Le 11 février, Mme Rollot nous informe que « Valérie Pécresse nomme une médiatrice », mais elle craint que cela ne suffise pas : « il faudra donc qu'elle aille plus loin pour avoir une chance d'être comprise de ceux qui veulent encore entendre parler du décret. » Inutile d'envisager l'hypothèse saugrenue selon laquelle les opposants auraient très bien compris la ministre et sa « réforme ».
- Le 13 février, le Monde s'inquiète, et annonce en « Une » :« Affaiblis, plusieurs ministres s'essoufflent ». Dans ce numéro, unarticle inoubliable de Luc Cédelle plaint les ministres confrontés àdes « perceptions » impossible à « enrayer », et déplore la « cruauté » des contestataires.

- Le 14 février, une fois de plus, en page 10, un titre condense les « mobiles » de la contestation  : « Universités, organismes de recherche, enseignement scolaire : la grogne se propage ». Et le sous-titre complète ce diagnostic en adoptant le point de vue des thérapeutes du gouvernement : « La désignation d'une médiatrice sur le dossier des enseignants-chercheurs n'a pas l'effet apaisant escompté »– et sans préciser, ni ce jour, ni les suivants, que cette apaisantemédiatrice était la directrice de la commission de suivi de la LRU.Mais il y a plus grave : « La plus mauvaise nouvelle, pour leministre de l'éducation Xavier Darcos et la ministre de l'EnseignementSupérieur Valérie Pécresse, a été le durcissement de la Conférence des Présidents d'Universités à leur égard ». « Durcissement » qui ne saurait être imputé aux ministres, toujours prêt à tendre la main « pour tenter de renouer le dialogue  », à la différence des opposants durcis qui réclament des négociations, mais sur de tout autres bases. Et ce n'est pas fini, car « les membres des organismes de recherche se mobilisent eux aussi » en raison sans doute d'une mauvaise analyse de la situation : « ils s e jugent menacés par le projet gouvernemental de restructuration de la recherche publique » (dont on ne dira pas un mot). Une mauvaise perception… et un peu de mauvaise humeur : « leur mécontentement se nourrit de l'onde de choc du discours [de Nicolas Sarkozy] ».

- L'édition du 15-16 février indique en une que « le gouvernement lâche également du lest sur la formation des enseignants ». Face au durcissement tous azimuts de ses opposants, le pouvoir n'en finit pas de s'amollir : « l'Elysée annonce de nouvelles pistes », ce qui cacherait un « recul probable ». Le Monde s'inquiète d'un « nouveau coup de canif au projet de réforme du statut des enseignants-chercheurs », et d'une autre «  concession  »(le report au 31 mars de la remise des maquettes des mastersd'enseignement, quand le mouvement réclame unanimement le report decette réforme à l'année suivante, et majoritairement son retrait pur etsimple).
- Le 19 février, Le Monde publie son « dossier spécial »,dans lequel figurent huit tribunes d'universitaires opposés aux projetsgouvernementaux. Les annonces de « Une » ne s'écartent guère desprésupposés jusqu'ici en vigueur : « Les universitaires face à la réforme / Les raisons de la colère / Les chercheurs ulcérés / Comment sortir de l'impasse.  » Présupposés largement développés dans une « analyse » impérissable de Catherine Rollot, disséquant l'«  hypersensibilité du milieu universitaire  ».
- Le 21 février l'espoir renaît : « Les Présidents d'Université posent leurs conditions pour sauver la réforme », bien que dans le dernier paragraphe de l'article l'on apprenne avec un peu d'angoisse que « les opposants les plus farouches aux réformes ne désarment pas. »

puce-32883.gif Le 26 février se tient une nouvelle journée de mobilisation. Mais Le Monde n'attend pas…

- Le 26 février, dans un article qui paraît dans l'édition datée du 27 février à la « Une », Le Monde annonce que « le gouvernement jette [une nouvelle fois…] du lest », et rapporte que l'ouverture vient cette fois de « M. Fillon » qui «  fait un geste pour tenter de renouer le dialogue  ». Le Monde qui s'envole dans la montgolfière gouvernementale parvient malgré tout à distinguer encore un « autre point de crispation  » (la réforme de la formation des enseignants), et s'interroge gravement : «  tous ces gestes suffiront-ils à sortir de la crise ? »
- Le 28 février, un article indique en sous-titre : « si la mobilisation a semblé marquer le pas , jeudi 26/02, de nouvelles journées d'action sont prévues les 5 et 10 mars ». Le corps du texte évoque quant à lui des « cortèges sensiblement moins nombreux ». Mais « en conclure que le mouvement aurait déjà amorcé sa décrue serait toutefois aventureux », poursuit l'auteur, signalant au passage que certaines universités sont en « vacances scolaires ». « Conclure » à la décrue du mouvement, peut-être, mais pas l'évoquer en titre.

- Et dans l'édition du lendemain (1er-2 mars), l'heure est presque à l'euphorie : « le gouvernement confiant sur l'issue du conflit » [2], et « après sept heures de discussions, [les 3 syndicats] se disaient satisfaits ». Certes, il reste un souci : le Snesup (syndicat majoritaire), qui « boude les négociations ». La veille, Le Monde nous avait déjà alertés sur le manque de civilité de ce syndicat boudeur qui avait «  déclin[é] l'invitation à négocier de Valérie Pécresse ». Mais tout devrait rentrer dans l'ordre, le gouvernement cherchant à « rétablir le contact. »

puce-32883.gif En tout cas, Le Mondene cherchera pas à troubler ce climat d'« apaisement », puisque pendantune semaine son édition papier, à l'exception d'une « brève » qui, le 3mars, signale de « nouveaux appels a manifester », ne consacre plusd'articles au mouvement en cours…

… Alors que le 5 mars a lieu une nouvelle journée de mobilisation.

- Le 8-9 mars, Le Monde annonce fièrement un « compromis entre Valérie Pécresse et quatre syndicats sur le statut des enseignants-chercheurs »,en rejetant dans un encadré la seule mention de la manifestation de lasemaine. Catherine Rollot présente le compromis comme un «  savant mélange de reculs, d'avancées et de statu quo [qui] devrait satisfaire une partie de la communauté universitaire », et distribue les points : un bon pour le « gouvernement » (« en réussissant à faire passer l'idée d'une évaluation obligatoire et régulière, le gouvernement marque là un point »), un mauvais pour… « les universités » (en ce qui concerne les promotions) : « cette nouvelle version se fait au détriment des universités . La première mouture du projet leur accordait en effet le pouvoir de décider de 100% des promotions. »

- Le même jour, Le Monde publie également un récapitulatif révélateur que voici

« Les étapes du conflit

- 31 octobre 2008 : Valérie Pécresse divulgue son projet de révision du statut des enseignants-chercheurs.
- 2 février 2009 : La coordination nationale des universités appelle à une grève illimitée dans toutes les universités.
- 5 février : Première journée nationale d'action contre la réforme.
- 9 février : Une médiatrice, Claire Bazy-Malaurie, est nommée.
- 10, 19, 26 février et 5 mars : Journées de mobilisation.
- 13 février : Nicolas Sarkozy demande que « soient rapidement explorées de nouvelles pistes ».
- 25 février : François Fillon annonce qu'aucune suppression d'emplois n'aura lieu en 2010 et 2011 dans les universités.
- 27 février : Première rencontre entre les syndicats et Mme Pécresse pour dénouer la crise.
- 3 et 6 mars : Poursuite des négociations »

Un historique qui observe le mouvement à la jumelle depuis le toitde Matignon : sur les neuf « étapes » retenues, cinq concernent les« gestes » du gouvernement, quand les quatre manifestations (quisemblent indiquer assez clairement la réaction du mouvement à ces« gestes ») sont réduites à une seule étape, déjà dépassée par la« poursuite des négociations ». Nul doute qu'un historique qui auraittenu compte du point de vue des acteurs du mouvement aurait autrementmis en valeur ces « journées de mobilisations », fait place à certainesprises de position de personnalités ou d'institutions (CPU, Académiedes sciences, Institut universitaire de France…), et n'aurait pasretenu comme dernières étapes des déclarations officielles aussimarquantes que celle de Nicolas Sarkozy appelant à explorer de« nouvelles pistes », ou des négociations avec des « syndicats »minoritaires.

- Le 11 mars, l'éditorial du supplément Le Monde de l'éducation s'effraye d'un « recul à marche forcée » et d'une « Berezina ». Mais rend hommage à la ministre : « A force de patience et de diplomatie , fait d'un savant dosage de reculs et d'avancées, Valérie Pécresse semble proche du cessez-le-feu avec la communauté universitaire ». Puis Luc Cédelle et Catherine Rollot s'attaquent en ophtalmologistes au « Budget des universités. Les Milliards sont là, mais tout le monde ne les voit pas ».Tout l'article consiste à rendre compte des annonces du gouvernement etd'y opposer les « perceptions » divergentes de la communautéuniversitaire, en se gardant bien de fournir un « point de vueextérieur. Méthode que résume admirablement la conclusion de l'articlequi détaille les « milliards supplémentaires » annoncés dans le plan de relance, avant de poser la bonne question : «  seront-ils considérés comme fictifs ?  »

- Le 13 mars, Le Monde est de plus en plus perplexe. En effet, contre toute attente, annonce-t-il en « Une », « le gouvernement ne parvient pas à dénouer la crise. » «  Malgré les annonces de François Fillon [...] entre 30000 et 60000 manifestants ont encore défilé dans toute la France », et « la situation se radicalise dans les universités », regrette le quotidien qui a publié la veille une brève intitulée : « Universités : violences et blocages. » Commepreuve de cette radicalisation, il « cite » (pour la troisième fois) laCoordination nationale des universités qui « réclame le retrait duprojet et l'abrogation de la LRU » – ce qu'elle fait depuis le 20février.

En page intérieure, Philippe Jacqué se propose d'expliquer – c'est le titre – « Pourquoi le gouvernement ne parvient pas à calmer la fronde ». « Malgré des discussions tous azimuts »,s'étonne-t-il, la mobilisation ne faiblit pas. Et plutôt que d'exposerles motifs rationnels (bien qu'ils soient évidemment discutables…)d'une contestation généralisée (irréductible par conséquent à unesimple « fronde »), l' « analyste » du Monde, adoptant le pointde vue d'un conseiller du gouvernement qui s'interrogerait sur sonimpuissance, notre journaliste tente de comprendre : « Un simple problème de méthode  ? Une mauvaise lecture de l'état d'exaspération de la communauté universitaire ? […] François Fillon pensait avoir trouvé la clé [...] il avait réussi à regagner la confiance des Présidents d'Université et de la majorité des syndicats les plus modérés […] Comment expliquer qu'en multipliant les réunions sur les sujets qui fâchent et en cédant chaque jour un peu plus aux demandes syndicales, le gouvernement n'arrive pas à sortir de la crise ? »Mais est-ce vraiment incompréhensible qu'en cédant « chaque jourdavantage » à une « majorité de syndicats » minoritaires, dont lamoitié était déjà favorable au premier projet de décret, legouvernement n'utilise peut-être pas la bonne « clé » ?

A suivre…

Notes

[1] L'article propose un point sur le système actuel d'évaluation, les « reproches » qui lui sont adressés, puis indique qu'« en réponse à ceux qui craignaient l'arbitraire , la ministre a légèrement modifié son projet […] malgré ses précisions ,les opposants au projet ne désarment pas […] le Snesup-fsu qui se ditfavorable à l'évaluation tout en précisant qu'elle fait déjà partie duquotidien des enseignants-chercheurs, proteste contre la philosophiegénérale du texte ». ici prend place la seule citation des« opposants », mais qui n'explique pas leur protestation contre laphilosophie du texte », puisqu'elle porte uniquement sur le systèmeactuel d'évaluation.

[2] la conclusion de l'article cite « Matignon », « où l'on se déclare "assez confiant ", ... "le climat pourrait bien être à l'apaisement " ».