Essai
Nouvelle parution
Le Journal intime, genre littéraire et écriture ordinaire

Le Journal intime, genre littéraire et écriture ordinaire

Publié le par Jean-Louis Jeannelle (Source : Editions Téraèdre)


Françoise Simonet-Tenant, LeJournal intime, genre littéraire et écriture ordinaire, avant-propos de
Philippe Lejeune, Paris, Téraèdre, coll. « L'écriture dela vie », 2004, 192 p., 15€90

 

 

Avant-propos de Philippe Lejeune

 

C'est un bonheur de voirreparaître ici le petit livre de Françoise monet-Tenant,d'abord publié en 2001 chez Nathan. Mis à jour, complété par desentretiens avec trois diaristes, il a gardé ses vertus cardinales : science,clarté, sérénité.

II est si difficile de parler dujournal intime. On connaît le sien, quand on en tient un, mais que sait-on deceux des autres ?

Est-cevraiment un « genre littéraire » ? Oui, certes, mais qui s'est développé tardivement, et sur lequel la «littérature » pèse comme un soupçon :car le journal est d'abord une écriture ordinaire, à la portée de tout un chacun, qui vaut parce qu'elleest en prise directe sur l'instant, et sans arrière-pensée de séduction. Sonbut principal est de fixer notresillage et de nous aider à trouver notre chemin : c'est une pratique de vie.Pour en bien parler, il faut connaître ses classiques, mais aussi savoir sefaire historien, suivre au fil des siècles comment la perception du temps, lesoutils d'écriture, les pratiques religieuses, les relations socialesont peu à peu évolué pour amener des individus à consigner leur vie au jour lejour sur du papier ; et se faire également psychologue, pour comprendre quelsbénéfices ils en tirent. Finalement, c'est une sorte de rechercheanthropologique : elle suppose qu'on travaille à la fois enbibliothèque, en archive et « sur le terrain », comme un ethnologue, en allantinterroger ceux qui tiennent un journal et qui, parfois, veulent bien vous lelaisser regarder.

Enquoi consiste la clarté de cet essai ? Françoise Simonet-Tenant sait d'abordnous informer rapidement, faire des croquis évocateurs, pour nous diriger dansun monde souvent inconnu, et nous donner des curiosités de lecture. Sa sciencen'intimide pas. Mais elle ne simplifie pas non plus. Elle sait éviterles généralisations abusives. Dujournal, on ne peut guère dire autre chose, sinon qu'il est une série de traces datées. Tout le reste varie.Être clair, c'est savoirdistinguer ses contenus, ses formes, ses fonctions, ses différentes branches et les facteurs de leurévolution. C'est aussi le prendre dans sa logique organique, commeelle le fait dans les chapitres 3 et 4, en suivant par exemple le développementd'un journal dans le temps ou l'histoire de sa(re)lecture.

Pourquoiai-je aussi parlé de sérénité ? Parce qu'en France du moins, le journal a eu lerare privilège d'avoir d'abord des spécialistes, sinon hostiles, du moins méfiants, sepenchant parfois avec condescendancesur un genre mineur, pratiqué par des individus psychologiquement suspects. Narcissique, névrotique,stérile, voilà ce qu'il serait : mêmeceux qui tiennent un journal partagent parfois ces préjugés. Ils s'estompentun peu, sans disparaître, depuis quinzained'années. Le démenti le plus éclatant qui leur aitété apporté est le Journal d'Anne Frank : on nesaurait imaginer une « diariste » plus extravertie, tonique etcréatrice ! De fait, les gens tiennentun journal sont comme tout le monde : on compte autant de Narcisse et dedéprimés chez les non-diaristes que chez diaristes ; ce qui distingue ces derniers est leur amour de l'écriture leur hantise dutemps. II n'est ni bien ni mal de tenir un journal, c'est une pratique qui joint souvent l'utile à l'agréable. Ni critique, nipanégyriste, Françoise Simonet-Tenant trouve pour en parler la bonne distance.

Sonlivre devrait toucher un large public : il s'adresse aussi àceux qui n'ont jamais tenu de journal, et se demandent ment on peut faire une telle chose, qu'a ceux quila font, mais parfois dans une solitude inquiète, ou dans l'ignorance de la tradition culturelledont ils ont pris le relais.

Ilarrive à un moment où l'enseignement s'ouvre au « biographique » : les élèves de première, qui souvent tiennent unjournal, et leurs professeurs, qui enont souvent tenu, y puiseront de quoi nourri leur réflexion, avec peut-être lesecret espoir qu'un jour une Anthologiedu journal personnel vienne enfaciliter l'étude.

Enfin,ce panorama ramassé et lumineux suggèrera aux chercheurs qui se pressentpeut-être trop nombreux dans les voies classiques du canon littéraire, denouvelles aventures à tenter : aussibien du côté du passé (les écritures ordinaires sont un terrain « archéologique» presque vierge où de fantastiques trouvailles sont encoreà faire) que du côté de l'avenir (le « métissage » de la forme journalavec les arts de l'imageet les nouveaux moyens de communication). Peut-être le journal est-il une sorte denouvelle frontière.