Questions de société

"Le gâchis de la «mastérisation»", V. Soulé, Libération, 21/01/2011

Publié le par Arnaud Welfringer (Source : SLU)

 

"Le gâchis de la mastérisation" par Véronique Soulé, Libération, 21/01/2011

Tout le monde, ou presque, en était déjà convaincu : la réforme de la formation des enseignants, appelée «mastérisation» parce qu'elle impose d'avoir un master pour devenir prof, a été bâclée, précipitée, en un mot ratée. C'est désormais reconnu officiellement. Présentant ses voeux mercredi, Nicolas Sarkozy a estimé qu'il fallait remettre en chantier «des éléments de la formation».

Mais les syndicats veulent plus : une renégociation de la réforme, dont l'intérêt majeur pour le gouvernement était qu'elle permettait d'économiser 16 000 postes - grâce à la suppression de l'année, payée, de formation en alternance juste après la réussite au concours. Beaucoup redoutent que ce ne soit qu'un geste sans conséquences, à trois jours d'une journée de mobilisation, et que la «mastérisation» continue ses ravages - des débutants mal formés et découragés, une baisse accélérée de vocations, une image du métier de plus en plus dégradée…

La réforme, appliquée à la rentrée, était devenue difficilement défendable. Un rapport officiel, diffusé en janvier, reconnaissait les «difficultés» rencontrées dès octobre par les profs débutants, parachutés devant des classes sans formation - stress, fatigue pouvant aller jusqu'à l'arrêt-maladie, voire à la démission.

Dans le secondaire, ils ont davantage souffert que dans le primaire où ils ont été en duo avec un autre enseignant jusqu'à la Toussaint. Ils devaient être aidés par des «tuteurs» expérimentés. Mais beaucoup se sont retrouvés avec des tuteurs d'une autre discipline ou dans un établissement à des dizaines de kilomètres. Il leur a fallu rencontrer, paniqués, des parents, remplir des bulletins sans savoir comment faire, et en plus de leurs cours, suivre, fatigués, des journées de formation.

Les nouveaux masters «Métiers de l'enseignement» ne sont guère plus concluants. Comme la réforme était soi-disant urgente, les universités ont dû les mettre en place à la hâte. En deuxième année de master, dès septembre et octobre, les étudiants se retrouvent à devoir passer les premières épreuves des concours. S'ils sont recalés, dans certains masters - ils sont différents selon les universités -, ils doivent continuer à suivre des cours qui les préparent à la seconde partie du concours… qu'ils ne passeront pas, n'étant pas admissibles. Simultanément, tous doivent préparer un mémoire de master, ce qui est lourd pour les admissibles. Sans compter les stages pour découvrir le métier. Mercredi, Alain Boissinot, le recteur de l'académie de Versailles reconnaissait qu'il «faudrait encore du temps» avant que ces formations soient au point. En attendant, des jeunes profs, pleins d'enthousiasme, déchantent. Et en maths et en lettres, on commence à manquer de candidats pour les postes à pourvoir.