Actualité
Appels à contributions
Le cinéma ou les territoires de l'imaginaire (Revue Entrelacs n°8)

Le cinéma ou les territoires de l'imaginaire (Revue Entrelacs n°8)

Publié le par Florian Pennanech (Source : Pierre ARBUS)

Appel à contribution : Le cinéma ou les territoires de l'imaginaire

Ce titre en forme d'hommage à Edgar Morin[1] est une invitation à l'exploration d'un univers qui depuis 1895 ne cesse de questionner le rapport entre le réel et l'imaginaire.

Dans la préface à son ouvrage Edgar Morin écrit [2] : « Ce qui m'avait sans cesse animé en travaillant « l'homme et la mort », c'était l'étonnement devant ce formidable univers imaginaire de mythes, dieux, esprits, univers non seulement surimprimé sur la vie réelle, mais faisant partie de cette vie anthroposociale réelle. C'était en somme l'étonnement que l'imaginaire soit partie constitutive de la réalité humaine. […]Or, à sa façon, le formidable sentiment de réalité émanant des images artificiellement reproduites sur écran, me posait, comme à l'envers, le même problème. […] Et je suis parti de cette question : dans quel sens et de quelle façon l'univers cinématographique moderne ressuscite-t-il l'univers archaïque des doubles ? Pourquoi, le cinématographe, à l'origine une technique de reproduction du mouvement dont l'usage semblait devoir être pratique, voire scientifique, a-t-il dès sa naissance dérivé en cinéma, c'est-à-dire en spectacle imaginaire. »

Cette question du lien indéfectible entre réel et imaginaire n'a pourtant pas toujours été reconnue et d'Epicure à Kant en passant par les stoïciens, Pascal, Leibniz… la question de l'imagination et de l'imaginaire a donné lieu à un grand nombre de théories. Depuis l'Antiquité classique jusqu'à Jung, l'histoire de l'imaginaire se confond avec celle de l'image et des différents statuts que les sociétés ont bien voulu lui donner.

C'est depuis les travaux de Jung (sur l'image, les symboles et la notion d'archétype), puis grâce aux recherches de Gaston Bachelard[3], Mircéa Eliade[4], Henry Corbin[5], Edgar Morin[6] et ceux de Gilbert Durand[7] que la notion d'imaginaire perd sa caractéristique de « folle du logis » si chère à Mallebranche, et celle de chimère (Pascal, Voltaire, Rousseau) pour conquérir son véritable statut de moteur de la construction de l'esprit et en faire une fonction centrale de la psyché humaine, une fonction de création vitale[8].

C'est comme reproduction du réel que l'image a d'abord joué un rôle au cinéma. L'invention du cinéma est déjà en elle-même le résultat d'un imaginaire… l'aboutissement d'une réflexion issue du cerveau de nombreux rêveurs. La concrétisation, à des siècles d'intervalle, de la caverne de Platon.

Image d'Epinal, certes, mais jusqu'à preuve du contraire, personne n'a jamais rien trouvé de mieux pour montrer le côté à la fois réel et imaginaire de l'image projetée et la conscience d'être dans un univers qui, dès 1909, faisait dire à Apollinaire « Le cinéma est créateur d'une vie surréelle ». Cette notion sera reprise par André Breton en 1921 lorsqu'il écrit le Manifeste du surréalisme : «Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, de surréalité, si l'on peut dire.»

Lorsqu'il écrit « Le cinéma ou l'homme imaginaire » Edgar Morin poursuit : « L'image, ce n'est pas seulement la plaque tournante entre le réel et l'imaginaire, c'est l'acte constitutif radical et simultané du réel et de l'imaginaire. »

Entre le réel et l'imaginaire au cinéma il y a donc quelque chose. D'un côté l'être pensant, de l'autre un écran. Entre les deux : l'image. L'image et tout ce qu'elle comporte à la fois d'évidence mais également de trouble. L'image comme support de nos rêves, de nos fantasmes, comme intermédiaire entre notre univers et celui des dieux (stars ?). L'image, (reflet, mimesis, double, …) comme réponse possible à nos interrogations.

Ce numéro 8 d'entrelacs sera envisagé comme l'exploration d'un territoire dont les limites semblent infinies. Parcourir les chemins, les méandres de ce pays pour en découvrir les reliefs, les creux, les voies navigables et les abîmes. Le chercheur se fera explorateur d'une histoire, d'une géographie, d'un peuple… Comme la carte du tendre permettait autrefois de se raconter des histoires, le parcours sur cette carte de l'imaginaire au cinéma permettra la rencontre entre des approches techniques, sociologiques, culturelles, mythologiques, poétiques, musicales… Champs qui forcément se recoupent comme les chemins se croisent aux carrefours.

Tenter d'en stabiliser les limites serait se condamner à la stérilité (l'imagination comme son territoire l'imaginaire est le plus grand espace de liberté encore à la disposition des êtres humains) mais l'éclairer d'un regard curieux, audacieux permettrait de comprendre pourquoi, depuis les temps préhistoriques l'image (et avec elle le signe et le symbole) est à la base de notre existence.

Plusieurs pistes s'offrent au chercheur :

Il y a mille façons de rêver, d'inventer, il y a mille chemins pour arriver à l'acte créateur. Ce sont tous ces itinéraires possibles qui font l'objet de ce numéro d'Entrelacs. D'où est parti le rêveur (cinéaste, scénariste, musicien, technicien…) où est-il arrivé, par quel chemin nous a-t-il emmené pour que nous réussissions à faire le voyage avec lui. Au final, le souvenir (l'image toujours) qui nous en reste n'est-il pas encore le début d'une autre aventure pour aller encore plus loin ?

« Avec l'image, le bonheur est toujours au bout des images ! »[9]

Les propositions d'articles seront reçues par mail  jusqu'au 15 décembre 2009. Les articles devront nous parvenir ensuite avant le 28 février 2010. Adresse : pierre.arbus@univ-tlse2.fr ou fran.march@free.fr


[1] Edgar Morin, Le cinéma ou l'homme imaginaire, Les éditions de Minuit, 1956.

[2] Ibid

[3] Notamment les cinq ouvrages consacrés aux éléments.

[4] Entre autres : Traité d'histoire des religions, Paris, Payot, 1949 – Images et symboles, Paris, Gallimard, 1952 – Mythes, rêves et mystères, Paris, Gallimard, 1957.

[5] Henry Corbin, L'imagination créatrice dans le soufisme d'Ibn'Arabî, Paris, Flammarion, 1976.

[6] Edgar Morin, cf note 1 et Les stars, Le Seuil, 1957

[7] Gilbert Durand, Les structures anthropologiques de l'imaginaire, Paris, 1960 (Dunod, 1992) – L'imagination symbolique, PUF, Quadrige, 1993

[8] Même si Sartre ramène l'imagination à un jugement de négation : imaginer, c'est poser l'objet comme n'étant pas là (L'imaginaire, Paris, Gallimard, 1940 – L'imagination, Paris, PUF, 1950) et que pour Lacan l'imaginaire est le signe d'un échec de la fonction symbolique de l'être humain (Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je, Ecrits, Paris, Seuil, 1966) il est important de rappeler que chez ce même être humain, comme chez les animaux, interrompre la phase du rêve durant le sommeil conduit à la mort.

[9] Serge Tisseron, Psychanalyse de l'image, Dunod, 2005.