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Fixxion, n° 15 :

Fixxion, n° 15 : "Le best-seller"

Publié le par Marc Escola (Source : Ivan Arickx)

FIXXION n°15 : "LE BEST-SELLER"

Michel Murat, Marie-Eve Thérenty, Adeline Wrona

 

Le best-seller est un objet faussement évident. Il semble facile de le définir comme « le livre qui fait les meilleures ventes », mais l’établissement de cette donnée empirique, ses usages et ses conséquences soulèvent de nombreux problèmes. Le best-seller ne se confond pas avec un livre largement diffusé. Ranger la Bible, ou L’Etranger de Camus sous cette étiquette serait hors de propos ; identifier best-seller et roman populaire est une erreur d’appréciation non dépourvue d’intentions idéologiques. Le best-seller est indissociable du lieu où il se produit, c’est-à-dire d’un palmarès des ventes présenté sous forme de liste classée, du lieu de publication de cette liste, des opérations de marketing qui l’accompagnent, et des effets de promotion auto-réalisatrice qu’il induit. Cette pratique existe aux Etats-Unis depuis la fin du XIXe siècle ; elle a été importée en France dans les années 1950, L’Express faisant office de pionnier. Elle a modifié les pratiques d’achat, non sans conséquences sur le goût littéraire, sur la production d’ouvrages et sur l’idée même de littérature. Ces conséquences sont difficiles à apprécier ; l’une d’elles est la constitution du mot best-seller en catégorie générique.

Le best-seller désigne en effet un certain type d’ouvrage, mais la définition de ce type ne fait pas consensus, parce qu’il résulte de la combinaison de critères hétérogènes et équivoques. Même la définition stricte du livre « fait pour se vendre » ne va pas de soi, parce qu’elle confond le best-seller, qui est un ouvrage individualisé, ou l’ouvrage d’un auteur individualisé qui fait fonction de marque, avec la masse de la production sérielle. Dès qu’on essaie d’établir un corpus, on se rend compte de la prégnance et du caractère oblique des jugements de valeur. Le best-seller pourtant se situe bien « quelque part » entre la littérature légitime et la production de masse. Ces frontières sont mouvantes, mais il n’en reste pas moins qu’il correspond à une pratique moyenne de la lecture – au sens où Bourdieu qualifiait la photographie d’art moyen. Ce mot dit clairement son importance.

 

Le corpus à envisager prioritairement est celui de la fiction de langue française depuis les années 1980 ; cependant la réflexion pourra s’étendre à d’autres langues (l’anglais principalement) et d’autres genres comme le document ou l’essai.

Notre appel à communications souhaite attirer l’attention sur les points suivants :

1. Le corpus est à constituer en partant des listes disponibles. Les plus fiables sont fournies par les acteurs institutionnels (Direction du Livre du Ministère de la culture) et professionnels (Edistat, GFK). Mais le jeu des listes, leur support, leur mode d’affichage, leur périodicité, mérite d’être examiné, car il est la source d’une événementialité spécifique – narrativisée par les médias comme un feuilleton à suspense (Delacourt remonte, Musso s’effrite, Pancol se maintient, etc.).

2. Nationalité : il est nécessaire de prendre en compte la dimension transculturelle – de fait surtout bi-culturelle. Les best-sellers américains traduits interfèrent avec les ouvrages français ; ils ont les mêmes lecteurs ; ils inspirent les auteurs et fournissent une topique et des modèles narratifs (La Vérité sur l’affaire Harry Quebert de Joël Dicker, roman américain d’un auteur suisse publié par un éditeur français, en est un exemple probant). Quels sont, dans ce genre de production, les effets propres à l’espace francophone ? Comment entrent-ils en rapport avec la mondialisation en cours, dont les effets, moins visibles, seraient à évaluer ?

3. Evénementialité : s’agissant d’un livre particulier, dans quelles conditions le succès fait-il événement ? Selon quelle temporalité, et pour quelle durée ? Avec quelle prédictibilité ? Selon quelle rationalité accessible après coup ?

4. Auctorialité : qu’est-ce qu’un auteur à succès ? comment sa carrière se construit-elle ? comment sa promotion est-elle organisée ? peut-on construire et gérer l’auctorialité comme une marque ? peut-on établir une typologie des auteurs, et dans quelle mesure celle-ci est-elle « genrée » (différenciant par exemple Guillaume Musso de Tatiana de Rosnay ou Françoise Bourdin) ?

5. Politique éditoriale : certains éditeurs, comme Fixot, se sont en quelque sorte spécialisés dans le best-seller, ont constitué une écurie d’auteurs et occupent un créneau spécifique dans le paysage éditorial. Leurs pratiques sont-elles différentes de celles d’éditeurs « classiques », comme Grasset, pionnier de la promotion des ouvrages, ou Robert Laffont ?

6. Généricité : quel rapport entre best-seller et littérature de genre ? Certains livres ressortissent par exemple au policier (Stig Larsson, Fred Vargas), à la fantasy, mais il n’existe pas en France de genre identifié pour les livres de Musso ou Lévy (la typologie du romance n’y étant ni consistante ni stable comme elle l’est aux USA). Quelles sont les conséquences de ce rapport au genre et du processus de générisation (que l’on observe actuellement pour la fiction érotique) ?

7. Sérialité : la question est liée à celle du genre sans se confondre avec elle. Faut-il différencier les œuvres conçues comme des cycles (comme Twilight) des suites destinées à prolonger un succès ? Peut-on considérer un auteur à succès identifié comme tel (Musso) comme un « auteur sériel » ?

8. Transmédialité : le succès d’une œuvre et son profit se mesure aujourd’hui à sa capacité de réinvestissement dans d’autres médias et supports. La transmédialité est-elle une norme, une condition, une conséquence du succès ? Met-elle en question la notion d’œuvre « première » et la position centrale du texte écrit ? Permet-elle de rattacher la question du best-seller au fonctionnement contemporain des industries culturelles ?

9. Poétique du best-seller : il paraît nécessaire de faire l’analyse de certaines œuvres caractéristiques, du point de vue de la structure énonciative, de la tension narrative, de la topique, des ressorts émotionnels, de l’éthos auctorial. Peut-on observer des traits récurrents, ou s’agit-il plutôt d’un mode « moyen » d’agencement et de thématisation ? Quels rapports ces textes entretiennent-ils avec la tradition romanesque ? Peut-on constater une évolution des formes dans le temps ?

10. Légitimité : certains best-sellers se situent à la marge de la littérature légitime, plutôt à l’extérieur (Delphine de Vigan), plutôt à l’intérieur (Amélie Nothomb), ou sur la limite (Eric-Emmanuel Schmitt) ; d’autres sont considérés comme des œuvres importantes (Houellebecq) mais ne font pas l’objet de consensus. La tradition en France ne tend-elle pas à réduire l’espace médian (largement occupé aux USA par des auteurs comme Stephen King, Ken Follett ou Harlan Coben) en imposant comme une alternative binaire le rapport production de masse vs littérature légitime, et en légitimant rapidement certains auteurs à succès (les prix décernés à Joël Dicker ou David Foenkinos) – de manière que la littérature reste une culture d’élite et ne soit pas ravalée au rang d’un « art moyen » ?

 

Les propositions de contributions, environ 300 mots, en français ou en anglais, sont à envoyer d’ici le 1er décembre 2016 à Michel Murat, Marie-Eve Thérenty ou Adeline Wrona. Les articles définitifs seront à remettre avant le 1er juin 2017 sur le site  de la revue (rubrique Soumissions) pour évaluation par le comité de la Revue critique de fixxion française contemporaine.