Revue
Nouvelle parution
Le Banian, n° 6

Le Banian, n° 6

Publié le par Marielle Macé (Source : Association franco-indonésienne Pasar Malam)

Le Banian n° 6


Sexe, pouvoir et nation
, Paris, décembre 2008.

ISSN 1779-8485
Publication semestrielle de l'association franco-indonésienne Pasar Malam.

Directeur de publication Johanna Lederer.


Prix 8 euros (hors frais d'envoi 3 euros) à commander par courriel
afi.pasar-malam@wanadoo.fr, disponible aussi à la
Librairie Sudestasie, 17 rue du Cardinal Lemoine - 75005 Paris



Sommaire
.Johanna Lederer - Editorial
.Etienne Naveau – Islam et nation en Indonésie
.Henk Schulte Nordholt – Essai sur la politique identitaire, citoyenneté et l'Etat “léger” en Indonésie
.William Gervase Clarence-Smith - Eunuques et concubines dans le Sud-est asiatique musulman
.Saskia E. Wieringa - L'inégalité des sexes. Un aspect obstinément occulté dans les études sur l'Indonésie. Le professeur Wertheim et la question féminine
.Maya sutedja-Liem – Njai Dasima
.Hélène Poitevin-Blanchard - « Sastrawangi » ou les femmes dans la littérature indonésienne contemporaine
.Lily Yulianti Farid - “Makkunrai ” et autres considérations sur le concept de l'idéal féminin chez les Bugis
.Kirstin Pauka - Les filles prennent le contrôle ? Les interprètes femmes dans le théâtre Randai
.Martine Estrade – Pouvoir spirituel ?
.Wilma Margono – Lettre à une amie non excisée
.Jean Rocher – Double meurtre au sauna
.Dede Oetomo - Quelquefois, ça se voit, quelquefois ça ne se voit pas : la culture homosexuelle en Indonésie
.Catherine van Moppès – Olivia Raffles. Un destin
. Monique Zaini-Lajoubert - Kartini vue par Pramoedya Ananta Toer
.Jean Le Cercle – Lettre à Raden Adjeng Kartini
. Ghislaine Guygot - Rubrique : l'indonésien,  langue exotique ?
.Nigel Barley – L'île des démons
.Paul Eluard – Jam Malam (Couvre-feu)
.Afrizal Malna - Comment je suis devenu mère au foyer  
.Sitor Situmorang – La ronde
.Iwan Simatupang

Et photos de Pierre Damour, Karyne Lamouille, Dominique Maison, François Paufique


Editorial
Johanna Lederer

Sexe, pouvoir et nation

Années 70 en Europe, peut-être vous en souvenez-vous ? Il y avait des films "interdits aux moins de dix-huit ans" comme Les Valseuses, Emmanuelle et autre Dernier tango à Paris, films qu'on peut voir aujourd'hui dès 12 ans… Mme de Gaulle  pouvait faire interdire le strip-tease à la Foire du Trône ; la “première dame de France” le ferait-elle aujourd'hui, en s'accompagnant à la guitare ?
C'était l'époque exaltante du MLF où le soir, après les réunions houleuses bâtissant les projets les plus fous, les plus osés, comme la banalisation de “bordels où les femmes seraient clientes et les hommes chair à consommer”, nous les femmes, nous rentrions « coucher avec l'ennemi». Ce qui fit scandale en son temps, ce qu'on applaudissait comme apte à briser les tabous, ce qu'on jugeait pornographique ou sulfureux, ce ne seraient, en fin de compte, que des soubresauts contextuels. Rien de fondamental n'aurait donc modifié la société : les pauvres resteront pauvres, les femmes continueront de se montrer dans bien des domaines “plus hommes” que leurs homologues mâles, tout en gagnant moins qu'eux dans le monde du travail. On pourra continuer à les voir comme des monstres assoiffés de sexe, ou comme des êtres dont il faut réduire la capacité de jouissance. Tout de même, en France, le mouvement du MLF a permis aux femmes de choisir d'être mère ou pas : la pilule pour toutes et l'avortement possible restent aujourd'hui encore des victoires réelles, dont la pérennité réclame notre vigilance.

Le sexe c'est aussi l'autre, le deuxième, ou, comme on dit depuis les années 60 chez les anglophones, le genre (gender), concept qui se réfère non pas à la sexualité mais à la culture, au contenu culturel et social –ce qui n'en fait pas pour autant un domaine plus aisé à traiter. Dirions-nous encore comme Freud que “l'homosexualité est un arrêt du développement sexuel” ? Est-ce un tabou aujourd'hui encore ? Le droit de chacun à vivre sa sexualité comme il l'entend est-il enfin établi ? En France ?... En Indonésie ? Et que cherche-t-on à ranger là-bas sous le terme de pornographie, en Indonésie, où depuis trois ans on entend parler d'un projet de loi, stupide mais dangereux, baptisé projet de loi “antipornografi ” et “antipornoaksi ” ?

Ibu (madame ou Mère) Tien, l'épouse de Suharto, président qui a régné d'une main de fer sur le pays pendant 30 ans, possédait-elle un pouvoir (d'après le dictionnaire Robert, capacité à accomplir une action sur les plans économique, social et politique) ? Elle pourrait bien (d'après Julia Suryakusuma) personnifier le modèle idéal de la Femme indonésienne dans les cercles politiques du pouvoir. Sa loyauté et son soutien envers son mari furent inconditionnels et illimités. Elle n'était “que” sa femme, sans rôle autre que celui de femme fidèle et dévouée mère de famille nombreuse. Pourtant, les intellectuels du régime ont forgé à son propos l'expression  d' « Ibuisme d'état » (féroce mélange, qui perdure, de valeurs javanaises féodales, hollandaises petites bourgeoises, dans le moule militaro-hiérarchique.) Ce pouvoir est institutionnalisé dans le Dharma Wanita, l'association des femmes de fonctionnaires (adhésion obligatoire) qui, à travers le mouvement pour la protection de la famille, propage une idéologie part intégrante de l'appareil d'Etat. Idéologie totalement inadaptée à la vie des femmes pauvres, qui reste néanmoins un excellent moyen de contrôle de la population villageoise. Cette politique de chambre-à-coucher se répand dans la structure bureaucratique toute entière, et la prestation d'une épouse au sein de Dharma Wanita peut sérieusement influencer la carrière de son mari.

Comment l'Indonésie contemporaine a-t-elle intégré toutes les évolutions du XX° siècle, depuis la société traditionnelle, à travers l'empreinte coloniale, la construction de la République, jusqu'à la mondialisation actuelle des plus tristes modèles ? Ce numéro du Banian voudrait vous proposer quelques vignettes qui tentent d'en donner une image.

 Dernière minute : comme tous les amis de l'Indonésie le redoutaient, le 30 octobre 2008  le projet est devenu réalité. La loi liberticide “antipornografi ” a été votée par le Parlement. Même purgée du terme de “ pornoaksi “, cette loi soulève les plus grandes inquiétudes. Si elle est signée par le Président, rien n'empêchera plus les groupes extrémistes de prendre pour cible les minorités religieuses, sexuelles, politiques, culturelles, ni de s'attaquer à la presse, aux défenseurs des droits humains, aux artistes, etc. Les femmes seront, comme toujours, les plus exposées, dans un pays où l'on ose parler de “défendre les enfants” contre l'invasion de la pornographie, alors que rien n'empêche un vieux religieux – qui est en même temps un riche homme d'affaires – de s'acheter une femme de 12 ans.

Bonne lecture et bonne année 2009 !