Questions de société

"La violence est du côté du ministère" (entretien avec Ph. Selosse)

Publié le par Arnauld Welfringer

Pour lire cet entretien sur le site de Lyoncapitale.fr

Alorsque les universités lyonnaises sont en vacances, le mouvement contreles réformes Pécresse-Darcos ne semble pas faiblir, malgré les examensqui approchent. A Lyon 1 et Lyon 2, les deux facs en pointe,enseignants et étudiants se sont donné rendez-vous à la rentrée pour denouvelles assemblées générales qui devront se prononcer sur lapoursuite ou non de la grève. En attendant, Lyon Capitale fait le pointsur le mouvement avec Philippe Selosse, le responsable pour Lyon 2 duSnesup, le principal syndicat du supérieur. Maître de conférences à lafaculté LESLA (Lettres, sciences du langage, arts du spectacle), ilrevient sur les principaux enjeux d'un mouvement qui dure depuis dixsemaines.

Lyon Capitale :Valérie Pécresse ainsi que de nombreux présidents d'universitéappellent à la reprise des cours pour “sauver l'année universitaire”.Est-ce que vous entendez cet appel ?

Philippe Selosse :En réalité, depuis qu'on est en grève, c'est-à-dire depuis dixsemaines, la situation aurait pu se calmer. C'est au ministère deprendre ses responsabilités, en retirant ses réformes et en ouvrant desnégociations. Après quoi, les cours reprendront sans blocage et sansproblème de validation. Quant à la Conférence des présidentsd'université qui appelle à la reprise des cours, nous considéronsqu'elle ne représente pas la communauté universitaire. Plusieursprésidents d'université, notamment Georges Molinié, le président de laSorbonne, appellent, eux, à poursuivre le mouvement.

Leprésident de la CPU, Lionel Collet (président de Lyon 1) a déclaré quela ministre de l'Enseignement supérieur avait accepté de nombreusesavancées à même de permettre la reprise des cours !

Sion regarde du côté du projet de décret sur le statut desenseignants-chercheurs, il n'y a pratiquement pas d'avancée. Ladernière réécriture du texte est pire que tout et enfonce le coin de lamodulation des services.

C'est-à-dire ?

D'un côté on laisse entendre que lamodulation n'existe plus, et de l'autre côté, il y a un point du projetde décret qui prévoit, pour besoin de service, que le présidentd'université pourra imposer une charge supplémentaire d'enseignement.On refuse toujours ce principe de la modulation, à savoir qu'un“mauvais” chercheur, évalué pour des raisons simplement quantitatives,devrait faire plus d'enseignement. Cette modulation des servicesrevient à casser le statut d'enseignant-chercheur. Un bon universitairedoit puiser la matière de son enseignement dans ses recherches. Etcontrairement à ce qu'on peut entendre, nous sommes déjà évalués (juryde thèse, qualification nationale, concours de recrutement). Si on doitparler d'évaluation, on devrait retourner la balle dans le camp duministère. Tous les projets de décrets proposés par Valérie Pécressesont refusés par l'ensemble de la communauté universitaire depuis plusde deux mois. Ils ont été évalués par des chercheurs particulièrementaptes que ce soit des historiens, des juristes ou des sociologues. Cesprojets sont récusés. Si on doit tenir compte de l'évaluation, ValériePécresse devrait retirer toutes ses copies !

Pourquoiconsidérez-vous qu'il est nécessaire de retirer la loi sur l'autonomiedes universités dite “loi LRU”, malgré la ferme opposition de ValériePécresse ?

Beaucoup des réformes contrelesquelles nous luttons sont des décrets d'application de la LRU. Si onne fait que retirer les décrets contestés et que la LRU demeure, laministre pourra toujours revenir avec un décret compatible avec la LRU.Nous souhaitons donc son abrogation.

Qu'est-ce qui rend la LRU inacceptable à vos yeux ?

Toutva dans le sens d'un désengagement financier de l'Etat, d'unfinancement accru par le privé, et d'une précarité aggravée pour tousles acteurs universitaires. Le désengagement financier de l'Etat, on levoit déjà avec le Plan Campus à Lyon, qui mettra en oeuvre lespartenariats public-privé prévus par la LRU. Les bâtiments du PlanCampus seront construits et appartiendront au privé et l'universitédevra les louer environ 60 millions d'euros, dont 35 millions débourséspar elle-même au titre de son “autonomie”. S'il n'y a pas de financeursprivés, on va trouver cet argent en augmentant les fraisd'inscriptions. Ce n'est sans doute pas pour rien qu'une centaine dedéputés UMP sont en train de proposer un projet de loi visant àfavoriser le prêt bancaire pour les étudiants. Toujours dans le cadrede la LRU, Valérie Pécresse l'a dit sans honte, on va supprimer lamoitié des postes de personnels administratifs et d'entretien de lafonction publique. On va externaliser leurs fonctions en recourant auprivé et à l'emploi précaire.Pour ces personnels, la LRU met en place une logiqued'individualisation des carrières. Le recrutement se fera moins parconcours que par entretien d'embauche individuel, le salaire, aumérite, reposera sur des primes et participera à une mise enconcurrence. Autre dispositif : le nouveau contrat doctoral pour lesthésards. Il s'inscrit dans le même cadre : période d'essai,licenciement sans préavis, évaluation individuelle et mise enconcurrence des universités entre elles puisque une université pourraproposer un salaire plus ou moins élevé. Il y a un risque de pressionaussi de la part des entreprises qui financeront les recherches.

Ce sera la prime aux grosses universités par rapport aux petites ?

Lalogique n'est pas de détruire seulement les petites universités auprofit des grandes puisque certaines grandes universités sont déjàlésées par les dispositions de la LRU. Prenez une grosse universitécomme Aix-Marseille 2 qui est passé à l'autonomie comme Lyon 1. Lebesoin d'assurer des tâches administratives jusque-là remplies auniveau ministériel va conduire à la création de 62 postesadministratifs. C'est autant de postes d'enseignement ou autres quisont supprimés. Le nouveau système d'allocations des moyens financiers,fondé sur la performance et l'insertion professionnelle des étudiants,au lieu d'être fondé sur le nombre d'étudiants à former, va renforcerle système de concurrence, au détriment des petites universités.

Le retrait de la LRU n'est qu'une partie de vos revendications. Sur quels points souhaitez-vous des changements ?

Surla réforme de la formation des enseignants, dite “mastérisation”. Celaconcerne 160 000 étudiants qui préparent les concours de professeur desécoles ou de collège/lycée. Jusque-là , pour devenir enseignant, ilfaut être titulaire d'une licence (bac+3), puis réussir au concoursaprès une année de préparation, puis une année de formation rémunéréepartagée entre un stage en établissement et une formation à l'IUFM.

Avecla mastérisation, il faudra un master 2 (bac+5) pour passer et validerle concours. Il s'agit d'un allongement des études, avec un dispositifcomplexe où l'étudiant devra, en master 2, à la fois effectuer desstages (offerts aux deux tiers des candidats et réduits à une centained'heures), s'initier à la recherche, faire son mémoire, obtenir descertificats supplémentaires (dont un niveau de licence d'anglais) etpréparer le concours pour janvier. Le tout, sans accompagnementfinancier digne de ce nom (bourses de 108 à 220 €/mois) et avecsuppression de l'année de stage.

On se prépare,comme en Italie, à un découplage : même si vous avez le concours, vousn'êtes pas sûr d'avoir un poste. On demande donc le retrait de ceprojet en maintenant un accompagnement financier et le maintien ducouplage concours/poste/statut de fonctionnaire.

Vous parlez de la possible suppression de 20 000 bourses. De quoi s'agit-il ?

Lescritères d'éloignement géographique et de la situation monoparentaleseront supprimés à la rentrée 2009. Le critère de handicap ne sera pluspris en compte qu'à moitié. 20 000 étudiants vont donc voir leurbourses disparaître ou diminuer de 500 à 2000 euros par an (le montantmaximal étant de 4000 euros par an). Pour compenser cela, ValériePécresse va augmenter le plafond des revenus parentaux ce qui ouvre desbourses à 50 000 nouveau étudiants qui ont peu ou pas besoin debourses. On déshabille les plus pauvres, pour habiller des étudiantsqui pouvaient mieux assumer leurs études. C'est un dispositifinégalitaire.

Commentallez-vous prendre en compte l'inquiétude de certains étudiants pour lavalidation de leur semestre et la continuation du mouvement ?

Ilfaudrait relativiser. A Lyon 2, quand on croise des étudiants, il estrare que leurs inquiétudes concernent la validation des diplômes.L'inquiétude porte sur le coeur même des réformes. Concernant lapoursuite du mouvement, tout le monde a très clairement en tête que leministère n'attend qu'une chose : le pourrissement du mouvement.Autrement dit, le ministère attend que le combat externe, contre lecontenu des réformes, se retourne en combat interne, entre étudiants etenseignants. Pour nous faire entendre du ministère, nous envisageonsune démission collective des charges administratives non électives(responsabilité d'année, présidence de jury d'examen, direction dedépartement…), comme certains l'ont déjà fait à Lyon 1 ou ailleurs.

Avez-vous réfléchi à des manières alternatives de valider l'année ?

Celadoit faire l'objet d'une discussion et d'une décision collectives auniveau du conseil des études de la vie universitaire. La seule choseque nous pouvons garantir aux étudiants, c'est que nous nous battonspour eux et avec eux. En termes de validation de leurs diplômes, ils neseront pas pénalisés. L'essentiel est d'aller jusqu'au bout pour sefaire entendre. La coordination nationale des universités, la facultéLESLA à Lyon2… appellent désormais à la démission de la ministre. Cettedernière est censée représenter l'ensemble de la communautéuniversitaire mais elle ne tient absolument compte de rien.

Soutenez-vous le blocage de l'université ?

Surla question du blocage, les personnels mobilisés ne portent aucunjugement. C'est une action des étudiants. Nous restons en dehors decela. Nous sommes dans le principe d'une grève active. C'est une grèvequi nous pénalise. Elle a des répercussions financières : nous avonsconstitué une caisse de solidarité pour permettre aux enseignants lesplus précaires de pouvoir se mobiliser. Contrairement à ce que dit leministère, cela nous coûte beaucoup financièrement. Nous travaillonsénormément pendant cette grève, en étant constamment présents sur lescampus et en animant des assemblées générales, réunions d'informationsur les réformes et cours alternatifs. Nous voulons une université oùle fonctionnement traditionnel s'arrête pour réfléchir au typed'éducation que nous voulons.

ALyon 2, certains étudiants, qualifiés d'anti-bloqueurs, reprochent auprésident de l'université Olivier Christin son “inaction” vis-à-vis deceux qui bloquent l'université. Comment jugez-vous sa gestion de lacrise ?

C'est quelqu'un qui est très àl'écoute de tous, grévistes comme non grévistes. Il n'a pas prisposition pour les bloqueurs car il se situe en dehors de cettequestion. Il tient à ce que l'université reste ouverte. Il a permis etsoutenu la Nuit Blanche des universités qui a été un vrai succès. Car,bloqueurs comme antibloqueurs, tous sont demandeurs d'un débat et d'unerésistance à l'arbitraire des réformes. La vraie violence est du côtédu ministère qui nie complètement le front du refus exprimé par près detrois millions d'individus qui constituent la communauté universitaire.Quand Valérie Pécresse supprime des milliers d'emplois et prévoit lemassacre des étudiants pauvres avec la mastérisation et la réforme desbourses, ou le massacre des emplois administratifs, on fabriquebeaucoup de chômeurs. Mais ces chômeurs n'ont pas encore de visage et,du coup, on en parle moins que lorsqu'une usine ferme.

Mais le ministère a annoncé le maintien des postes dans les universités !

C'estune annonce en trompe l'oeil. Le ministère a maintenu la massesalariale. Il ne maintient pas les postes, mais le financement desheures à effectuer. Cela entraîne soit des heures supplémentaires, soitle recrutement de vacataires, donc la précarité.

Comment jugez-vous le placardage des noms des étudiants opposés au blocage ?

Ils'agit de dérapages individuels que les étudiants et personnelsimpliqués dans le mouvement déplorent et condamnent. Ils trouvent leurmodèle lorsque des hommes politiques désignent des bouc-émissaires oulorsque l'on fiche les sans-papiers pour mieux les chasser. Ce sont despratiques condamnables qui apparaissent dans un contexte de violence etde mépris du côté du ministère. Si le ministère prenait sesresponsabilités, il ferait en sorte de retirer ce qui est contesté partous et on retrouverait la sérénité.