Questions de société

"La tragédie de l'ange exterminateur", par C. Patriat (L'Humanité, 23/5/9)

Publié le par Bérenger Boulay

"La tragédie del'ange exterminateur", Par Claude Patriat, professeur de sciencepolitique, université de Bourgogne, L'Humanité, 23 mai 2009

http://www.humanite.fr/2009-05-23_Tribune-libre_La-tragedie-de-l-ange-exterminateur

L'université sera-t-elle punie pour l'exemple ?

« Deux verbes expriment toutes les formes que prennentces deux causes de mort : vouloir et pouvoir. Vouloir nous brûle etpouvoir nous détruit. » Honoré de Balzac, la Peau de chagrin.

Ainsi, le président de la République pense avoir gagnéla bataille des universités : il pourra se targuer d'avoir réformél'irréformable, d'avoir brisé la résistance d'un milieu réputé rebelleau changement. Et c'est cela qui compte avant tout pour lui : démontrersa puissance réformatrice. Peu importe le prix à payer, qui est lourd :rupture profonde entre le pouvoir politique et l'immense majorité de lacommunauté scientifique, humiliation, désarroi des universitaires etdes étudiants, discrédit jeté sur l'institution… Peu importent lesméthodes : démagogie, chantage aux examens, menaces ou répression. Etsurtout cynisme éhonté : François Fillon, interpellé sur l'ouvertured'une négociation, répliquait : « Pourquoi discuter alors que 80 % desuniversités sont maintenant au travail ? » Voilà une manière bienparticulière de donner raison finalement aux bloqueurs, qui disaientn'avoir pas d'autres moyens de se faire entendre. Posez les armes, etl'Exécutif vous fusille dans le dos ! Peu importe, enfin, pour combiende temps, le calme est retrouvé : les problèmes restent en suspens etla révolte succédera inévitablement à la désespérance.

Mais, au-delà du cas d'espèce, l'affaire devraitinquiéter tous les Français. Cette volonté irréductible de passer enforce, qui n'a pas été aussi radicale ailleurs qu'en face desuniversitaires, en dit long sur la conception de l'exercice du pouvoirde notre président, sur son refus viscéral de tout foyer de résistanceà ses volontés : l'université est un lieu éminemment symbolique ; larendre à merci devient une manière de la punir de son indépendance etde faire un exemple. Cela n'est pas sans rappeler la sombre figure dece sombre XIVe siècle, que dépeint Michelet sous les traits de Charlesle Téméraire : même volonté d'imposer un ordre rêvé par lui, envers etcontre tous les obstacles, même désir d'affaiblir et de punir ceux quipensent et agissent contre son projet. Avec le duc de Bourgogne, ils'agissait d'un rêve de chevalerie, il s'agissait des paisibles paysanssuisses, des marchands flamands. Ici, on rêve d'une société de forts,d'hommes qui réussissent, de libre concurrence. Tant pis si le réelcontredit le désir, si l'attente se fait chaque jour plus forte d'unÉtat protecteur. L'homme de pouvoir s'abandonne aux forces aveugles etprend le masque tragique de l'ange exterminateur.

Le temps est venu de lire Balzac. On y verra que leromancier, après avoir dénoncé la diabolique logique du pouvoir,propose un remède : « Vouloir et pouvoir ; entre ces deux termes del'action humaine, il est une autre formule dont s'emparent les sages.Vouloir nous brûle et pouvoir nous détruit, mais savoir laisse notrefaible organisation dans un perpétuel état de calme. » Puisse-t-onsaluer ce conseil avant que l'université ne devienne une peau dechagrin. Évitons le retour des loups.